Dans son célèbre article sur la Tragédie des Communs, G. Hardin[1] mettait en évidence que les biens communs nécessitent une gouvernance spécifique, le simple marché ne suffisant pas à organiser adéquatement ces ressources. A ce propos, allez consulter sur IPdigIT (ici) un post qui pose quelques questions de base sur la justification des droits de propriété intellectuelle. Et sur la limitation de la théorie de Hardin qui expliquait que la surexploitation des sols agricoles communs menait à une réduction de productivité, ce qui rend un système de régulation nécessaire, par exemple par un droit de propriété.
La limitation de l’accès et de l’utilisation des ressources vraiment intangibles (et donc leur rareté) dépend de la protection juridique ou technique mise en place.
Sur le plan technique, on connaît les systèmes DRM (Digital Right Management), qui permettent de limiter le téléchargement de certains contenus digitaux à certains ordinateurs, ou dans certaines régions (géoblocking). De manière similaire, certains systèmes DRM limitent le temps d’utilisation de certains produits, le nombre de téléchargements possibles, etc.
Sur le plan juridique, tant les contrats que des législations permettent d’exclure l’accès et l’utilisation de certaines ressources immatérielles. Par exemple, les accords de confidentialité auront pour effet que seuls les parties liées par le contrat pourront prendre connaissance d’un certain savoir. Pareillement, sur le plan législatif, le règlement général sur la protection des données personnes (RGPD)[2] organise et limite les circonstances dans lesquelles des données personnelles peuvent être transmises à des tiers, par exemple des sociétés de marketing ou même à des États.
A mi-chemin des stratégies techniques et juridiques, les éditeurs de logiciels développent à présent des moyens de conserver le contrôle sur l’utilisation de leur produit à travers le temps en ne permettant qu’un accès (et non un droit de propriété) par le biais de licences limitées.
Un précédent post abordait la définition de ce que constitue un patrimoine, et s’interrogeait sur ses composants. Le présent post pose la question de la gouvernance de deux types de ressources qui doivent être considérés comme des biens.
Tout d’abord, le droit qu’une entreprise a sur un nom de domaine à travers la saga jurisprudentielle sur le nom de domaine “france.com”, qui a été tranchée par la cour d’appel de Paris en 2017[3] et qui a aussi donné lieu à une décision de la Cour de Justice de l’UE en juin 2018[4]. Cette saga n’est pas achevée, puisque la société France.com a introduit une requête devant les tribunaux américains en raison de la prétendue violation de ses droits par l’État français[5].
Ensuite, se pose la question du droit d’accéder aux données liées à un compte sur un réseau social (Facebook) par une autre personne que celle qui s’est inscrite . Des ayants droits d’un défunt ont-ils le droit d’accéder aux messages privés de ce dernier? Par ailleurs, de quels moyens dispose une entreprise qui souhaiterait récupérer les accès à un compte d’entreprise ouvert par un ancien employé sur un réseau social (une page Facebook) après son licenciement?
Pour explorer ces problématiques de gouvernance des information sur Internet, nous vous proposons de répondre aux questions suivantes :
- Présentez a) les faits, b) la spécificité des procédures envisagées (ainsi que leur état) et c) les dispositifs/principaux motifs dans les différentes affaires impliquant « France.com ».
- Y a-t-il un droit de propriété intellectuelle, matérielle ou numérique sur le nom de domaine (en l’espèce « France.com ») ? Expliquez en vous appuyant sur une source juridique du droit en question. A qui appartient ce droit ? A quelles conditions peut-on transférer ce droit (et quelles règles s’appliquent à ce transfert) ?
- La position de la juridiction US dans l’affaire impliquant « sex.com » (Kremen v. Cohen) va-t-elle dans le même sens ? Y a-t-il un conflit entre le point de vue dans Kremen v. Cohen et l’Anticybersquatting Consumer Protection Act (ACPA) aux Etats-Unis ? Y a-t-il une loi équivalente à l’ACPA en Belgique ?
- Est-ce que la même forme de propriété s’applique à un compte Facebook (que ce soit le vôtre ou celui de votre entreprise), voire à un « Like » que vous postez sur Facebook ? Pouvez-vous trouver de la jurisprudence (belge ou étrangère) à ce sujet ?
- Pour davantage réfléchir à ces questions : Lisez le chapitre 6 du livre de J. Fairfield (Owned) : que peut-on en tirer pour une analyse des biens et propriétés des entreprises ?
Enguerrand Marique et Alain Strowel
[1] Garett. Hardin, “The tragedy of the commons”, Science, 1968, vol 162, p.1243-1248.
[2] Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, OJ L 119, 4.5.2016, p. 1–88.
[3] Voy. par exemple https://www.legalis.net/jurisprudences/cour-dappel-de-paris-pole-5-ch-2-arret-du-22-septembre-2017/
[4] CJUE, France.com c. EUIPO, 26 juin 2018, T-71/17 (ECLI:EU:T:2018:381)
[5] Voy. le site web suivant : https://assets.documentcloud.org/documents/4446066/1-Complaint.pdf