Comments for De UsedSoft à Allposters: dans le numérique, le droit d’auteur s’épuiserait mais il n’y a pas d’épuisement physique!

Michael Lognoul, Brieuc Piette
L'arrêt UsedSoft rendu par la Cour de Justice de l'UE nous apprend que le titulaire des droits d'un logiciel ne pourrait interdire la revente d’occasion, et ce, en dépit de clauses contractuelles insérées à cet effet dans la licence ou les conditions d’utilisation Cependant, cet arrêt soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Parmi celles qui nous semble les…
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L’arrêt UsedSoft rendu par la Cour de Justice de l’UE nous apprend que le titulaire des droits d’un logiciel ne pourrait interdire la revente d’occasion, et ce, en dépit de clauses contractuelles insérées à cet effet dans la licence ou les conditions d’utilisation Cependant, cet arrêt soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Parmi celles qui nous semble les plus intéressantes : la règle dégagée est elle applicable à des programmes qui ne peuvent être revendus? Ainsi, certaines applications mobiles ne peuvent être cédées, car elles sont liées à un compte d’utilisateur. (voir par exemple la position dAmazon à propos du contenu de sa liseuse Kindle en cas de décès de l’acquéreur… ) Comment l’éditeur de logiciel peut-il s’assurer que la personne qui revend sa licence d’utilisation a bien supprimé le logiciel de son ordinateur? Quid des mesures techniques envisagées et envisageables? Enfin, la question qui nous intéresse ici : cette règle d’épuisement est elle limitée aux logiciels ou peut elle être étendue aux jeux vidéos, livres numériques, contenus musicaux etc…? Pour reprendre les mots de l’avocat Jean-Sebastien Mariez du barreau de Paris, faut-il se préparer à l’émergence d’un « marché aux puces » du numérique?

1. Deux affaires récentes permettent de nous éclairer un peu sur les intentions des acteurs juridiques européens.

a) affaire Nintendo

Elle concerne un litige qui opposait Nintendo Co. Ltd, Nintendo of America Inc. et Nintendo of Europe GmbH (ci-après, les «entreprises Nintendo») à PC Box Srl (ci-après «PC Box») ainsi qu’à 9Net Srl (ci-après «9Net»), au sujet de la commercialisation, par PC Box, de «mod chips» et de «game copiers» (ci-après les «appareils de PC Box») au moyen du site Internet géré par PC Box et hébergé par 9Net.
Cet arrêt est intéressant à plus d’un titre. En effet, il donne des précisions sur ce que la Cour entend par les mesures techniques à mettre en oeuvre pour protéger les droits d’auteurs . Mais surtout il semble aussi faire une distinction entre les logiciels et les jeux-vidéos. Le point 23 énonce : “[V]ideogames … constitute complex matter comprising not only a computer program but also graphic and sound elements, which, although encrypted in computer language, have a unique creative value which cannot be reduced to that encryption. In so far as the parts of a videogame … are part of its originality, they are protected, together with the entire work, by copyright in the context of the system established by Directive 2001/29.”
La CJUE nous dit que les jeux-vidéos sont plus que de simples logiciels : ils contiennent des éléments graphiques/sonores ayant une valeur créatrice propre. Cela signifie-t-il que le droit de distribution de l’éditeur de jeux ne serait pas épuisé pour ces aspects créatifs? On peut aussi se poser la question de savoir si un logiciel « classique » ne contient pas d’éléments créatifs… Ou alors que la règle d’épuisement ne vaudrait pas pour les jeux vidéos? Enfin, on pourrait même se demander si les parties pourraient prévoir des restrictions contractuelles…Il faudra plus de précisions de la part de la Cour pour éclairer ces questions.
b) Commission c. France
Le communiqué de presse de la CJUE du 5 mars 2015 nous présente ainsi les faits : « En France et au Luxembourg, la fourniture de livres électroniques est soumise à un taux réduit de TVA. Ainsi, depuis le 1er janvier 2012, la France et le Luxembourg appliquent respectivement un taux de TVA de 5,5 % et de 3 % à la fourniture de livres électroniques.
Les livres électroniques (ou numériques) en cause en l’espèce recouvrent les livres au format électronique fournis à titre onéreux par voie de téléchargement ou de diffusion en flux (streaming) à partir d’un site web pour être consultés sur un ordinateur, sur un téléphone intelligent, sur un lecteur de livres électroniques ou sur tout autre système de lecture.La Commission demande à la Cour de justice de constater qu’en appliquant un taux réduit de TVA à la fourniture de livres électroniques, la France et le Luxembourg ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu de la directive TVA1. Dans ses arrêts de ce jour, la Cour accueille les recours en manquement de la Commission.
Dans cet arrêt, la Cour interprète de manière très stricte la directive de l’annexe III excluant ainsi la possibilité pour la France et le Luxembourg d’instaurer des taux de TVA réduits pour les livres numériques. Derrière, cet argument juridique se cache en fait des motifs économiques considérables. En effet, une différence de taux crée une distorsion de concurrence fiscale entre Etats Membres. Certains d’entre eux croient, à bon droit, que les librairies électroniques (ex. Amazone) profiteraient de ses disparités pour organiser leurs ventes dans le pays dans lequel le taux de TVA réduit est le plus favorable. Bous nous demandons aussi s’il n’y a pas là un certain conservatisme ou du moins la volonté de protéger les petites libraires face aux géants du numérique.

Même si cet arrêt relève du domaine fiscal on peut en tirer certaines conclusions intéressantes par rapport à la règle de l’épuisement numérique. En effet, La Cour ne semble pas vouloir l’étendre aux e-books. Ainsi, contrairement à sa position sur les logiciels dans l’arrêt UsedSoft (ou elle assimile les logiciels matériels et les logiciels immatériels.) la Cour instaure dans cet arrêt une distinction entre les livres papiers et les livres numériques. A fortiori, la règle d’épuisement qui vaut pour les livres papiers ne serait pas applicable à des livres numériques. Cela est fortement critiquable. Par exemple pour l’eurodéputée socialiste Pervenche Berès cela «est absurde ». Elle considère que ce qui définit un livre, « ce n’est pas son support. Sur de la pierre, sur un parchemin, sur du papier ou sur une tablette, un livre reste un livre, une œuvre de l’esprit.»

Nous pensons que ces deux arrêts semblent indiquer que la CJUE va pas dans le sens d’un élargissement de la règle de l’épuisement numérique à d’autres secteurs que celui du logiciel. Du même coup cela confirmerait le fait que les logiciels fassent l’objet d’un traitement spécifique. Toutefois, nous pensons qu’il faudra attendre des arrêts concernant explicitement le domaine de jeux vidéos par exemple pour avoir plus de certitudes.

2.

Dans l’arrêt Allposters, la Cour précise que l’épuisement des droits concerne exclusivement le support tangible sur lequel est fixé l’oeuvre, et non l’oeuvre elle-même. Cela semble indiquer que la réalisation d’une copie nécessaire à une revente n’est pas couverte par l’épuisement. La Cour ne va donc pas dans le même sens que pour la revente de logiciels d’occasion. Un moyen de concilier les deux arrêts serait de dire que la Cour a entendu prévoir un régime spécial pour les logiciels.

Il y a plusieurs motifs économiques là derrière. Cela a un impact au moment de la négociation des licences d’utilisation. En effet, Pictoright affirme qu’elle aurait revu ses prix à la hausse s’il s’agissait de toiles plutôt que de posters. Mais plus fondamentalement, cet arrêt concerne tout le marché d’occasion. (notons que le terme « de seconde main » n’est pas vraiment adéquat pour le numérique, en effet il n’y a pas de transfert de la main à la main) Avec la particularité qu’un livre, de la musique d’occasion sur internet est moins cher alors qu’il n’est pas de moins bonne qualité. Forcément, il n’y a pas d’altération du support de l’oeuvre. C’est toute la spécificité du numérique par rapport au matériel. Cet aspect économique est clairement exprimé par la Cour dans l’arrêt UsedSoft en ses termes :

 Il convient encore d’ajouter que, d’un point de vue économique, la vente d’un programme d’ordinateur sur CD-ROM ou DVD et la vente d’un programme d’ordinateur par téléchargement au moyen d’Internet sont similaires. En effet, le mode de transmission en ligne est l’équivalent fonctionnel de la remise d’un support matériel. L’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 à la lumière du principe d’égalité de traitement confirme que l’épuisement du droit de distribution prévu à ladite disposition prend effet après la première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans l’Union par le titulaire du droit d’auteur ou avec son consentement, indépendamment du point de savoir si la vente porte sur une copie matérielle ou immatérielle dudit programme.
62      Quant à l’argument de la Commission selon lequel le droit de l’Union ne prévoirait pas pour les services l’épuisement du droit de distribution, il doit être rappelé que l’objectif du principe de l’épuisement du droit de distribution des œuvres protégées par le droit d’auteur est de limiter, afin d’éviter le cloisonnement des marchés, les restrictions à la distribution desdites œuvres à ce qui est nécessaire pour préserver l’objet spécifique de la propriété intellectuelle concernée (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 1998, Metronome Musik, C‑200/96, Rec. p. I‑1953, point 14; du 22 septembre 1998, FDV, C‑61/97, Rec. p. I‑5171, point 13, ainsi que arrêt Football Association Premier League e.a., précité, point 106).
63      Limiter, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’application du principe de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 aux seules copies de programmes d’ordinateur vendues sur un support matériel permettrait au titulaire du droit d’auteur de contrôler la revente des copies qui ont été téléchargées au moyen d’Internet et d’exiger, à l’occasion de chaque revente, une nouvelle rémunération alors que la première vente de la copie concernée aurait déjà permis audit titulaire d’obtenir une rémunération appropriée. Une telle restriction à la revente des copies de programmes d’ordinateur téléchargées au moyen d’Internet irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver l’objet spécifique de la propriété intellectuelle en cause (voir, en ce sens, arrêt Football Association Premier League e.a., précité, points 105 ainsi que 106).
L’arrêt AllPosters nous parait conforme à la jurisprudence belge, en tout cas à la décision du tribunal de première instance de Bruxelles. Le litige opposait la s.a. Casterman à une particulière qui avait vendu des posters tirés d’albums de d’Hergé qu’elle avait fait encadrer. Cette décision confirme en fait le droit de destination dégagé par la doctrine belge et française. Ce droit permet à l’auteur de contrôler l’usage des exemplaires matériels de l’oeuvre. Le moyen juridique n’est pas le même que dans l’arrêt AllPoster mais le résultat est identique.
Contrairement à certaines idées reçues, il existe certaines différences entre la notion de droit d’auteur développée en droit continental et le copyright des pays de la Common law. La principale concerne les droits moraux. Longtemps, les pays Anglo-Saxons n’ont pas connu de droit moral. Même si petit à petit les différences s’amenuisent, notamment avec les conventions internationales, comme la Convention de Berne. En fait, les pays Anglo-Saxons ont longtemps eu une vision purement économique du droit d’auteur. Cette différence de conception explique peut-être pourquoi les pays de la Common law sont plus favorables à la règle de l’épuisement. Autrement dit, ils auraient une vision plus libérale que des pays comme la France par exemple. Cette dernière étant plus protectrice et plaide donc plutôt pour qu’on préserve la règle de l’épuisement.

Sources :

http://www.gamerlaw.co.uk/2014/eu-digital-resale-rights-state-of-play/#more-1633
http://www.numerama.com/magazine/22605-en-cas-de-deces-amazon-ne-veut-pas-transferer-les-livres-aux-heritiers.html
http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2012/07/04/01007-20120704ARTFIG00454-la-revente-de-licences-logicielles-est-legale.php
http://danslesreglesdelart.com/quand-le-droit-fiscal-sinvite-dans-vos-lectures-numeriques/
http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2015-03/cp150030fr.pdf
http://juriscom.net/2012/10/faut-il-se-preparer-a-un-marche-aux-puces-du-numerique/
http://www.numerama.com/magazine/31966-droit-d-auteur-la-cjue-limite-le-droit-des-proprietaires-de-copies.html

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Prévot Corentin, Noesen John et Minne Quentin
1) A première vue, par sa jurisprudence Usedsoft, la cour de Justice de la Cour Européenne, semble créer un épuisement d’un genre nouveau en ce que cet arrêt porte sur la mise à disposition d’un logiciel et non de la (re)vente du support « dur » du logiciel (c’est à dire le CD-Rom). Cette ouverture de la règle de l’épuisement…
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1)

A première vue, par sa jurisprudence Usedsoft, la cour de Justice de la Cour Européenne, semble créer un épuisement d’un genre nouveau en ce que cet arrêt porte sur la mise à disposition d’un logiciel et non de la (re)vente du support « dur » du logiciel (c’est à dire le CD-Rom). Cette ouverture de la règle de l’épuisement pose toute une série de question dans la communauté «numérique ». En effet, dans un monde ou la copie, le téléchargement et le partage se passe si vite et si facilement, on peut se demander quelle est la portée d’un arrêt qui limite les droits de l’auteur initial d’une œuvre numérique (dans le sens ‘sans support physique’) après la première vente de l’œuvre.

Qu’est ce que ça implique par exemple pour les droits de représentation de l’œuvre ? Une chanson téléchargée légalement peut-elle être revendue de « seconde main » ? Quant est-il de la diffusion sur Youtube de contenu acquis légalement ou du partage d’une vidéo que les ayants droit avaient préalablement postée ?

Une ordonnance du 21 octobre 2014 de la CJUE porte sur cette dernière question. Par celle-ci, la CJUE considère que l’insertion sur un site, ce que l’on appelle le framing, d’une œuvre librement disponible sur internet n’est pas susceptible d’être interdit sur base du droit d’auteur. Bien que l’on puisse considérer cette limitation du droit d’auteur comme une forme d’épuisement (les ayants droit perdent concrètement un droit d’agir), la portée de l’arrêt se limite aux droits de communication au publique, c’est à dire le droit de représentation. Les faits en question ne permettent pas de vraiment se prononcer sur la réelle revente, la reproduction de l’œuvre qui n’a pas de support physique.

Dans l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014 concernant la protection de jeux vidéo par l’utilisation de mesures techniques qui peuvent empêcher la copie et le partage du contenu du jeu vidéo. En effet, l’article 6, 3 de la Directive 2001/29/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information permet l’utilisation d’une technique « qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur prévu par la loi. »

Bien que la cour ait considérée que les techniques utilisées par Nintendo dans les consoles en question sont disproportionnées en ce qu’elles n’empêchent pas seulement de jouer des jeux piratés mais aussi de faire jouer du contenu multimédia non piraté, elle n’est pas revenu sur la légalité en soi des mesures techniques de protection. La cour s’est contentée de renvoyer la question de la proportionnalité aux cours nationales. Ainsi, on peut retirer de cet arrêt que l’on peut avoir recours à des techniques de protection, qui empêcheront par conséquent la copie illégale des logiciels de jeux vidéo, mais qu’il faut le faire de manière proportionnée.

En outre, au point 30 de l’arrêt, la cour insiste sur le fait que les techniques en question ne peuvent empêcher des activités commerciales qui ont un but différent que de contourner la protection. Ceci pourrait impliquer que une revente du jeu vidéo est possible, ce qui impliquerait que l’épuisement puisse être invoqué.

La Jurisprudence européenne semble plus avoir été confronté aux problèmes de piratage et de partages illégaux que à la revente de fichiers acquis légalement. Néanmoins une certaine jurisprudence semble autoriser la vente de tels fichiers obtenus légalement avec l’application de l’épuisement comme conséquence.

2) Epuisement physique et Arrêt Allposters.

Y-a-t-il violation du droit d’auteur suite à la reproduction de l’image d’un tableau sur un autre support, et en l’occurrence une toile ? En réalité il était erroné de parler de reproduction dans ce cas-ci étant donné que le poster était apposé sur la toile de sorte qu’il n’y avait pas de copie supplémentaire. Mais cela entraînait-il dès lors l’épuisement du droit de distribution dans l’Espace Economique Européen ?

Pour analyser cela, le juge énonce dans son arrêt la définition consacrée par la Directive 2001/29 qui utilise les termes d’« objet » et de « bien matériel » et qui dès lors confirme un droit d’auteur sur « chaque objet tangible qui incorpore leur création intellectuelle » comme cité au paragraphe 37 de l’arrêt.

Le juge conclut : « la règle d’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas dans une situation où une reproduction d’une œuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union européenne avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support, tel que le transfert sur une toile de cette reproduction figurant sur une affiche en papier, et est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme. »
Pour rappel, le droit de distribution existe mais il doit se limiter au pouvoir de décision du titulaire de mise en circulation de l’objet. Une fois réalisé, le titulaire ne peut plus exercer un contrôle sur les actes de commercialisation ce qui a évidemment des considérations économiques car favorise la libre circulation des marchandises.

Ce principe est bien connu de la CJUE qui l’a consacré en droit des marques et des brevets dans l’arrêt Centrafarm et en droit de la propriété littéraire et artistique dans les arrêts Deutsche Grammophon et Musik Vertrieb.

La particularité des arrêts Usedsoft et Allposters c’est que l’un semble être en faveur de l’épuisement et l’autre pas.

Suite à une jurisprudence nationale « Poortvliet » de 1979, du Hoge Raad der Nerderlanden hollandais, une question préjudicielle est posée à la Cour de Justice de l’Union européenne. Celle-ci rattache le litige au droit de distribution et non au droit de reproduction. Ensuite elle énonce que l’épuisement n’est réalisé que par le titulaire du droit, ou avec son consentement, et uniquement en cas de première vente dans l’Union. Toute divergence entre les législations nationales porte atteinte au principe européen du marché intérieur.

Quid en cas de modification du support physique dès lors ? A-t-elle un impact sur l’épuisement du droit exclusif de distribution ? La technique du rentoilage décrite dans l’affaire Allposters modifie bien le support à un point tel qu’il y a « un nouvel objet incorporant l’image de l’œuvre protégée, tandis que l’affiche, en tant que telle, cesse d’exister ». Et dès lors : « Dans cette hypothèse, le droit de distribution d’un tel objet n’est épuisé qu’à la suite de la première vente ou du premier transfert de propriété de ce nouvel objet avec le consentement du titulaire de ce droit. »

Même si le support original est détruit ou effacé et que les copies ne circulent plus qu’en nombre limité on continuera à parler de reproduction.

Une jurisprudence canadienne a cependant affirmé le contraire dans l’affaire Théberge où les juges avaient considéré qu’un transfert, faute de créer un nouvel objet, un nouvel exemplaire, ne pouvait donc être qualifié de reproduction.

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Orban Nicolas, Wivine Labarre et Aurélie Di Trapani
De UsedSoft à Allposters: dans le numérique, le droit d’auteur s’épuiserait mais il n’y a pas d’épuisement physique! QUESTION 1 En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE…
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De UsedSoft à Allposters: dans le numérique, le droit d’auteur s’épuiserait mais il n’y a pas d’épuisement physique!

QUESTION 1

En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE (par ex. l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014, C-355/12). Il faudrait aussi examiner si le récent arrêt en matière de fiscalité des livres numériques rendu par la CJUE le 5 mars 2015 (Commission c. France, C-479/13) n’a pas une incidence sur cette question.

La règle dégagée dans l’affaire UsedSoft édicte qu’une fois un logiciel vendu ou, dans certains cas, donné en licence d’usage, le propriétaire du droit d’auteur qui porte sur le logiciel voit son droit épuisé pour le reste de l’Europe. La théorie de l’épuisement s’applique. Cependant, lorsqu’il s’agit d’autres fichiers numériques, la théorie de l’épuisement ne viendra pas s’appliquer. C’est ce que nous dit le considérant 29 de la directive 2001/29. On a une lex specialis et une lex generis.

La question est de savoir si dans la jurisprudence, la règle d’épuisement numérique du droit d’auteur n’est pas devenue générale.

Par exemple, dans l’affaire Nintendo où Nintendo poursuit PC Box. Nintendo avait mis en place sur toutes ses consoles et jeux-vidéos un système de reconnaissance (MTP) qui empêche toute utilisation de jeux contrefaits sur DS ou Wii. Hors, PC Box est un revendeur de consoles Nintendo sur lesquelles ce système de reconnaissance est désactivé. La CJUE va dire une chose importante : les mesures techniques de contournement des droits d’auteur (telle que ce qui est réalisé par PC Box) ne sont pas forcément illégales. Un test de proportionnalité doit être fait, le but et l’utilisation effective de ces dispositifs doivent être pris en compte.

Cela nous apprend que dans certains cas, en ce qui concerne les jeux-vidéos, la théorie de l’épuisement sera aussi présente. Une fois vendue, l’acheteur peut faire ce qu’il souhaite du jeux-vidéos pour autant que le but premier des manœuvres n’est pas de contourner le droit d’auteur.

Selon nous, l’arrêt Commission c. France n’a aucune incidence sur la théorie de l’épuisement.

QUESTION 2

Dans l’arrêt UsedSoft la Cour de justice a considéré qu’un contrat de licence d’usage de logiciel peut être considéré comme une “vente” au sens l’article 4 (2) de la Directive 2009/24 sur la protection des programmes d’ordinateur, en dépit de la qualification voulue par les parties et d’une clause prévoyant son caractère “non-transférable”. Pour que cette licence soit considérée comme une vente il y a deux conditions cumulatives, l’une d’elle souligne l’importance économique puisque la deuxième condition est qu’il y a eu paiement d’un prix correspondant à la valeur économique de la copie obtenue. On voit donc l’importance de l’aspect économique puisque c’est une des conditions qui permet de requalifier le contrat de licence en contrat de vente, et permet donc aussi de conclure à l’épuisement du droit de l’auteur.

Dans la deuxième affaire Pictoright, titulaires de droits d’auteur, n’ont pas consenti, au moins explicitement, à la distribution des transferts sur toile. Par conséquent, appliquer la règle de l’épuisement du droit de distribution priverait ces titulaires, en cas de distribution, d’exiger une rémunération appropriée pour l’exploitation commerciale de leurs œuvres.

C’est que c’est deux arrêts on en commun la possibilité pour le titulaire d’obtenir une rémunération approprié. Dans le premier arrêt toute fois, cet aspect économique paraît plus important car elle permet un requalification, qui mène à la conclusion de l’épuisement. Alors que dans l’affaire Allposters la rémunération n’est qu’un des droit que le titulaire n’a pas reçu, il peut donc parait moins important, puisque le refus de l’épuisement dans cette seconde affaire ce base plutôt sur le consentement et pas le fait d’avoir reçu une rémunération.

QUESTION 3

Selon nous, la CJUE s’est appuyée sur le raisonnement du gouvernement français. En effet, selon ce dernier, le remplacement d’un support, comme il est question ici, a pour conséquence « la création d’un nouvel objet incorporant l’image de l’œuvre protégée » (§43). Même si l’œuvre qui était incorporée au support principal n’existe plus, « le transfert sur la toile est de nature à pouvoir constituer en réalité une nouvelle reproduction de cette œuvre » (§44). L’une des conditions qui est nécessaire pour que l’on soit en présence de l’épuisement du droit d’auteur, « est de savoir si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché » (§45) ce qui n’est pas le cas ici. Au vue de ces constatations, la France prône donc le fait qu’il n’y a pas épuisement.

Selon le Royaume-Uni, il n’y a pas épuisement. En effet, « le transfert sur toile ne saurait être qualifié de reproduction au motif qu’il n’y a pas de multiplication des copies de l’œuvre protégée dans la mesure où l’image est transférée et ne figure plus sur l’affiche en papier » ( § 44). L’encre qui a été utilisé pour reproduire l’œuvre n’a pas été altérée et l’œuvre n’a en rien été modifiée. Le Royaume-Uni adopte dès lors une position tout à fait inverse de celle prônée par le gouvernement français.

QUESTION 4

Dans l’arrêt Allposters, la CJUE estime que pour qu’il y ait épuisement, il faut vérifier « si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit » (§45). Ce raisonnement est tiré de l’article 4§2 de la Directive 2001/29.

L’article 13 du règlement 207/2009 énonce la règle d’épuisement en matière de marques. Selon cet article, le droit conféré par la marque interdit au titulaire de la marque de prohiber l’usage de celle-ci sur un produit qui a été mis dans le commerce de l’Union européenne par le titulaire de la marque ou avec son consentement. L’article 13 prend surtout en compte au paragraphe deux l’existence de motifs légitimes qui justifieraient le fait que le titulaire interdise justement la commercialisation du produit , en l’occurrence lorsque les produits ont été modifiés ou altérés dès leur mise en commerce. Ce raisonnement va plus loin que celui opéré par la CJUE dans l’arrêt Allposters.

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Rodriguez Conde Charlotte & Debergh Magalie  
QUESTION 1 L’arrêt Usedsoft concerne les programmes d’ordinateur. Dans les faits, il s’agissait d’une entreprise américaine, Oracle, qui développe et commercialise des programmes d’ordinateur à 85% par téléchargement sur son site internet (elle est titulaire des droits d’utilisation exclusifs de ces programmes). Le client acquiert une licencie d’utilisation qui lui permet de télécharger le programme et aussi de…
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QUESTION 1
L’arrêt Usedsoft concerne les programmes d’ordinateur.
Dans les faits, il s’agissait d’une entreprise américaine, Oracle, qui développe et commercialise des programmes d’ordinateur à 85% par téléchargement sur son site internet (elle est titulaire des droits d’utilisation exclusifs de ces programmes). Le client acquiert une licencie d’utilisation qui lui permet de télécharger le programme et aussi de le stocker sur un serveur en y donnant accès à 25 utilisateurs à partir de leurs postes de travail. Oracle va assigner Usedsoft pour lui interdire de commercialiser des licences d’occasion rachetées pour ensuite les mettre à disposition d’autres utilisateurs sur la base d’un contrat de licence d’occasion.
Pour cela, elle va invoquer entre autres le fait que le principe d’épuisement des droits ne s’applique pas aux licences d’utilisation de programmes téléchargés via internet. La cour de justice va trancher la question en faveur d’Usedsoft et pour cela elle va se baser sur les article 4 de la directive 2009/24 qui dit en résumé : « le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est épuisé si le titulaire du droit d’auteur, qui a autorisé […] le téléchargement de cette copie sur un support informatique au moyen d’Internet, a également conféré, moyennant le paiement d’un prix […], un droit d’usage de ladite copie, sans limitation de durée ».

En d’autres termes, une première vente faite sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne épuise le droit de distribution pour tous les états membres. La directive 2001/29 harmonise le droit exclusif de distribution au public de l’original d’œuvres ou de copies. Dans cet arrêt la cour va étendre le principe en vertu duquel le droit exclusif de distribution d’une copie d’un programme d’ordinateur couverte par une licence, s’épuise à sa première vente. Ce principe s’appliquant pour des supports matériels ou par téléchargement à partir d’Internet. Aussi, la cour va dire que la directive 2009/24 est une lex specialis par rapport à la directive 2001/29 qui est une lex généralis.

L’arrêt Nintendo concernait un litige entre la société Nintendo et la société Pc Box. Cette dernière commercialisait des « mod chips » et des « game copiers » qui permettaient aux utilisateurs de consoles Nintendo de jouer à des copies. La question va être de savoir si on peut appliquer la protection de la directive 2009/24 à des jeux vidéo. La cours va dire qu’un jeu vidéo est une œuvre complexe car composée de logiciels mais aussi de graphismes et autres. On ne peut donc pas les réduire à de simples logiciels. La cour va aussi confirmer que la directive 2009/24 est une lex specialis qui ne protège que les logiciels. Or, les jeux vidéo ne sont pas de simples logiciels. Dans ce cas-ci donc la règle d’Usedsoft ne peut pas être appliquée.

L’arrêt Commission contre France concernait un taux réduit de TVA. En effet, la France voulait appliquer un taux de TVA réduit pour les ebook (livres numériques). La commission va refuser l’application de ce taux et condamner la France. Dans les faits, il était question de la problématique des DRM (digital right management) car lorsqu’on achète un livre numérique avec DRM alors ce n’est pas vraiment le livre qu’on achète mais une « licence de lecture ». Les députés français ont donc opté pour un taux réduit car ils assimilent les livres numériques « fermés » à un service et non pas comme à un livre classique, papier. Par cette licence, on n’acquiert pas réellement le droit de propriété dessus.
La question va donc rejoindre celle de l’arrêt Usedsoft : est-ce que le principe d’épuisement des droits s’applique aux licences d’utilisation ? Dans l’arrêt Usedsoft, la cour a considéré qu’il y avait épuisement du droit mais ici, la cours insiste sur le fait qu’il s’agit d’un service et non d’une vente comme dans Usedsoft. Il ne peut donc pas y avoir d’épuisement vu qu’on n’acquiert à aucun moment le droit de propriété sur l’ebook. En payant pour un ebook, on acquiert seulement le droit de le lire, de le consulter.

De plus, le considérant 29 de la directive 2001/29 dit clairement que la question de l’épuisement du droit ne se pose pas dans le cas des services (en particulier pour les services en ligne). La question avait déjà été tranchée dans la décision Verbraucherzentrale de la cour de Bielfeld qui a considéré qu’on ne pouvait pas étendre l’épuisement des droits d’auteur notamment au motif que les éditeurs d’ebooks n’ont pas donné d’autorisation à la revente d’un bien dont la qualité ne diminue pas avec le temps.

QUESTION 2

Point 1
L’arrêt Allposters est une affaire qui oppose la société Pictoright qui est une société de gestion collective de droits d’auteur et qui défend entre autres, les intérêts des héritiers de plusieurs artistes connus à la société Allposters qui commercialise des reproductions d’œuvres de ces artistes sous formes d’affiches de toute sorte. Allposters se lance dans la reproduction des œuvres sur toile mais Pictoright va attaquer car les titulaires de droits n’avaient pas donné leur consentement pour ce type de support et elle demande cessation. Allposters refuse de cesser.

La question qui va se poser devant la cour de justice est de savoir si l’auteur d’une œuvre picturale ayant donné son consentement pour que l’image représentée soit commercialisée sous forme d’affiche peut il s’opposer à la communication de cette même image transférée sur toile ? La cour va souligner que le droit de distribution est épuisé par rapport aux affiches vu que leurs ventes ont eu lieu dans l’Union européenne avec le consentement des titulaires de droits. La cour va aussi dire que le fait de remplacer le support, donc de mettre sur toile, a pour conséquence de créer un nouvel objet incorporant l’image de l’œuvre protégée. Donc il est nécessaire d’obtenir l’autorisation de l’auteur pour les distribuer. La cour va conclure que le droit de distribution des toiles ne peut être épuisé qu’à la suite de leur première vente ou transfert de propriété AVEC le consentement du titulaire de droit.
Pour nous, il paraît clair que l’arrêt Allposters est motivé par des considérations économiques car en refusant que l’épuisement s’applique au changement de support, la cour permet aux auteurs d’avoir encore la main mise sur leurs œuvres.

L’arrêt Usedsoft se fonde sur un point de vue économique dominant car la cour va considérer que le mode de transmission en ligne est l’équivalent fonctionnel de la remise d’un support matériel. Elle va donc étendre la notion d’épuisement pour ne pas laisser les auteurs contrôler la revente des copies téléchargées et n’autoriser l’usage par un nouveau client qu’en contrepartie d’une nouvelle rémunération. Elle permet cela pour éviter un contrôle trop important des auteurs.

Les deux décisions sont donc basées sur des considérations économiques importantes : Usedsoft en faveur de l’épuisement et Allposters contre l’épuisement.
Leur différence s’explique par le fait que dans un cas l’œuvre est dématérialisée, numérique et pas dans l’autre. Nous pensons qu’il y a une différence significative vu qu’en fonction des supports, il y a plus de possibilité de copier plus facilement l’œuvre lorsqu’elle est dématérialisée. En principe, la question de l’épuisement ne doit pas se poser lors que l’œuvre est dématérialisée car si on accepte le principe dans ces cas là, les copies dites « sauvages » seraient monnaie courante. Donc l’épuisement numérique et physique se concilierait dans ce cadre là. Cependant, dans l’arrêt Usedsoft la cour a accepté le principe d’épuisement mais en le soumettant à deux conditions : il faut que le prix de la licence équivale à celui du logiciel et que la licence ait une durée illimitée (la licence doit s’apparenter à une vente).
Ce que la cour n’accepte pas en matière d’ebook. Mais comme dit précédemment, en matière d’épuisement, les logiciels bénéficient d’une lex specialis.

Point 2
L’arrêt Allposters semble à première vue confirmer la jurisprudence belge. Dans l’arrêt Moulinsart, le Tribunal de première instance de Bruxelles avait, en effet, estimé que le fait de séparer et d’encadrer des posters, contenus dans un album destiné à être vendu uniquement dans son intégralité, constituait un usage abusif des reproductions autorisées. Il a ainsi appliqué la théorie dite du droit de contrôler la destination des exemplaires. De même, il a déjà été jugé que la transposition d’une œuvre sur un support audiovisuel différent entrainait violation des droits moraux de l’auteur, dès lors qu’elle supposait une modification de format et un changement de technique de diffusion (Prés. Civ., Nivelles).

Plus encore, il est communément admis, en droit belge, que l’exception d’épuisement est relative : l’épuisement n’est absolu que dans la mesure où le consentement de l’auteur est inconditionné et doit être écarté lorsque les autorisations mises par l’auteur n’ont pas été respectées. Ce raisonnement sous-tend l’idée qu’une rémunération ultérieure se justifie dès que les actes subséquents posés ne sont pas de même nature que ceux pour lesquels une rémunération a été payée (P. CAMPOLINI et B. MICHAUX, 2010, pp. 497-498).

Dans un jugement datant de 2009, le Tribunal de première instance de Gand semble néanmoins limiter le droit de destination, compte tenu du principe d’épuisement. Il maintient, en l’espèce, que le droit de destination ne peut avoir pour objectif de contourner ce principe, en imposant des conditions purement arbitraires, sans un quelconque rapport avec la protection des intérêts légitimes de l’auteur. Partant, il revient au juge d’examiner les circonstances propres à chaque cas d’espèce (Ibid. et S. DUSSOLIER, 2010, pp. 455-456).

Ce jugement concerne, néanmoins, un cas d’épuisement numérique, du même type que celui rencontré dans l’affaire UsedSoft. Bien que certains des arguments donnés par le Tribunal puissent être pertinents dans le cadre d’un épuisement physique, rien ne permet encore d’annoncer un revirement de jurisprudence.

Point 3
(voy. l’arrêt Théberge et le commentaire du professeur Gervais)

L’approche suivie dans l’arrêt Théberge est fondamentalement différente de celle que la Cour de justice a suivie dans l’arrêt Allposters. D’une certaine manière, il est assez éclairant de constater que les juges québécois sont les seuls à s’être montrés dissidents par rapport à la décision majoritaire, fortement inspirée du Common law.

En droit anglo-saxon, le droit d’auteur est perçu comme un contrat entre l’auteur et la société. La rémunération faite par le propriétaire des exemplaires est, dans ce contexte, la contrepartie d’un enrichissement du patrimoine collectif, ce qui implique dans son chef, des droits opposables à l’auteur de l’œuvre. Il s’en déduit que les juridictions sont plus méfiantes à l’égard des titulaires du droit d’auteur, qui par un contrôle excessif, pourraient porter atteinte à l’innovation créative. Cette vision des choses tend en partie à démontrer pourquoi l’épuisement sera moins vite écarté au Royaume-Uni.
Cependant, cette explication ne suffit pas. Selon nous, la différence d’approche dans les deux décisions étudiées, trouve principalement son origine ailleurs : dans les systèmes de Common law, la notion de copyright n’est pas liée aux droits moraux, comme c’est le cas dans la tradition civiliste pour le droit d’auteur, mais aux droits économiques. Il s’agit, dans cette optique, de récompenser l’auteur pour son investissement. Or, ce sont les droits moraux qui font de la notion de reproduction, une notion plus vaste, englobant un droit de contrôler la destination de l’œuvre. C’est, en effet, parce qu’on ne peut porter atteinte à l’intégrité du travail de l’auteur, qu’on lui permet ce contrôle.

Point 4
De la même façon que pour le droit d’auteur, l’élément déterminant de l’épuisement du droit de marque réside dans le consentement de l’ayant droit, qui doit exprimer de façon certaine sa volonté de renoncer à son droit exclusif. Celui-ci demeure toutefois en droit de s’opposer à la vente du produit, lorsqu’il y a une atteinte à la réputation de la marque qui en découle ou lorsque, de par sa commercialisation, le produit a été modifié ou altéré (P. CAMPOLINI et B. MICHAUX, 2010, pp. 497-498 et art. 13 du règlement 207/2009).

Cette démarche est quelque peu similaire à celle qui est rencontrée dans l’arrêt Allposters, car elle semble conférer l’équivalent d’un droit de contrôle de destination au titulaire du droit de marque.

Sources :

http://www.ipnews.be/wp-content/uploads/2014/04/20150122-CJUE-All-posters-CP.pdf
http://www.pressesdesmines.com/media/extrait/Quiapeur_extr.pdf
http://www.lettresnumeriques.be/2015/03/13/livre-imprime-livre-numerique-un-taux-de-tva-qui-tranche-en-2015/
http://www.nextinpact.com/news/84443-les-deputes-reservent-tva-a-taux-reduit-aux-ebooks-sans-drm.htm
http://www.droit-technologie.org/actuality-1625/logiciels-d-occasion-nouveau-revers-pour-les-editeurs.html

Prés. Civ. Nivelles, 4 mai 2004, Ing.-Cons., 2004, p. 402.

CAMPOLINI P. et MICHAUX B., « Le droit de destination : un appendice davantage qu’un droit spécifique », A.M., 2010, pp. 494-503.

S. DUSSOLIER, « Heurs et malheurs du droit de destination », A.M., 2010, pp. 450-457.

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Fatuma Tepatondele
Selon nous, la jurisprudence UsedSoft ne devrait pas s’appliquer à d’autres types de fichiers numériques. Nous pensons que l’utilisation d’un programme d’ordinateur et/ou de sa copie est spécifique à ce type d’objet numérique (v. la directive spécifique n° 2009/24 of 23 April 2009 on the legal protection of computer programs. Alors que nous voyons dans un fichier MP3 la matérialisation…
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Selon nous, la jurisprudence UsedSoft ne devrait pas s’appliquer à d’autres types de fichiers numériques. Nous pensons que l’utilisation d’un programme d’ordinateur et/ou de sa copie est spécifique à ce type d’objet numérique (v. la directive spécifique n° 2009/24 of 23 April 2009 on the legal protection of computer programs. Alors que nous voyons dans un fichier MP3 la matérialisation et le support d’une œuvre auditive, comme l’est un CD, une cassette ou un disque vinyle. Mais il s’agit toujours de musique, d’un élément auditif donc non tangible. (1objet-musique posé sur 1objet-support= 1objet tangible) qui peut encore être apprécié par d’autres moyens (ondes radiophoniques, voix humaine en face to face lors d’un récital, concert,…) ce qui n’est pas le cas d’un programme d’ordinateur. (pour un résumé des affaires « UsedSoft c. Oracle » et « Capitol Records c. ReDigi », voir, entre autres, A. Strowel, « IPdigIT revient sur l’affaire ReDigi: adapter la technologie pour éviter l’interdit du droit », https://www.ipdigit.eu/2014/04/ipdigit-revient-sur-laffaire-redigi-comment-la-technologie-tente-de-contourner-le-droit/, mise en ligne : le 23 avr. 2014, renvoyant à A.Strowel, « Revendre des fichiers musicaux de “seconde main” par l’entremise de ReDigi: licite ou pas?, https://www.ipdigit.eu/2013/04/revendre-des-fichiers-musicaux-de-seconde-main-par-lentremise-de-redigi-licite-ou-pas/, mise en ligne : le 16 avr.2014).

La jurisprudence Art&Allposters illustre le fait qu’une copie d’une œuvre d’art physique peut elle-même donner naissance à un nouvel objet physique. L’œuvre d’art était déjà matérialisée sur un support. (1objet-peinture-œuvre d’art posé sur 1objet-poster aspiré et posé sur 1 objet-toile de peinture= 3 objets tangibles). Nous estimons que l’artiste, personne à l’origine de la première création, doit être protégée. La jurisprudence C-479/13 insiste sur la spécificité de l’épuisement numérique. Le paragraphe 35 de l’arrêt C-479/13 du 5 mars 2015, European Commision v. French Republic, rappelle que (…) under Article 24(1) of the VAT Directive, a ‘supply of services’ means any transaction which does not constitute a supply of goods, whereas, under Article 14(1) of that directive, a ‘supply of goods’ means the transfer of the right to dispose of tangible property as owner. Dans l’arrêt C 41/14 du 26 février 2015, en cause Christie’s France snc v. Syndicat national des antiquaires, la Cour rappelle dans son considérant (4) que the resale right forms an integral part of copyright and is an essential prerogative for authors. The imposition of such a right in all Member States meets the need for providing creators with an adequate and standard level of protection.
Il nous semble important de lire les article 3 (droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés) et article 4 (droit de distribution) de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information en combinaison avec la Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, en particulier son considérant (14) (voir infra).
Nous analysons le procédé utilisé par Art&Allposters comme étant une copie indirecte (voir art.2, Dir.2001/29). En effet, nous y voyons une copie que nous qualifions de « descendante” ou “verticale”: en l’espèce une oeuvre d’art originale reproduite sur un poster (support matériel n°1) est ensuite reproduite sur une toile de peintre (support matériel n°2). Il ne s’agit pas d’une copie directe, une reproduction telle une photocopie (copie que nous considérons comme “horizontale”, ” translative”, “vers le côté”). Mais il s’agit néanmoins d’une copie d’une œuvre d’art originale sur laquelle Art&Allposters ne détient ni droit d’auteur ni droit voisin. Selon nous, il apparaît que la société Art&Allposters International BV recherche l’obtention de l’avantage économique qu’offre la commercialisation de reproduction d’œuvres de peintres prestigieux. En agissant de la sorte, cette société peut bénéficier de la renommée de ces créations personnelles originales devenues célèbres avec le temps.
Dans son considérant (29), la directive 2001/29 rappelle que every on-line service is in fact an act which should be subject to authorisation where the copyright or related right so provides. Quant à la Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, son considérant (3) indique que (…) without effective means of enforcing intellectual property rights, innovation and creativity are discouraged and investment diminished. It is therefore necessary to ensure that the substantive law on intellectual property, which is nowadays largely part of the acquis communautaire, is applied effectively in the Community. In this respect, the means of enforcing intellectual property rights are of paramount importance for the success of the internal market. Le considérant (14) précise que the measures provided for in Articles 6(2), 8(1) and 9(2) need to be applied only in respect of acts carried out on a commercial scale. This is without prejudice to the possibility for Member States to apply those measures also in respect of other acts. Acts carried out on a commercial scale are those carried out for direct or indirect economic or commercial advantage; this would normally exclude acts carried out by end consumers acting in good faith.
Art&Allposters ne peut être considérée comme une consommatrice finale agissant à titre privé. En effet, elle ne rencontre aucune des exceptions visées par l’art.5 de la Directive 2001/29. Et de ce fait, elle doit obtenir le consentement des titulaires de droit d’auteur sur les œuvres d’art qu’elle a reproduites sur des toiles de peintre.
Dans son arrêt C-355/12 du 23 janvier 2014, Nintendo v. PC Box srl and 9Net srl, en matière de jeu video et console, la Cour de justice a renvoyé la balle aux juridictions nationales en ce qui concerne l’appréciation de la proportionnalité des mesures techniques de protection prises par les entreprises en question.

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On peut aisément affirmer que des considérations économiques motivent les arrêts de la Cour de Luxembourg. En effet la Cour de justice est la gardienne des traités européens. Et selon l’art.3, al.1er du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’UE dispose d’une compétence exclusive en matière de règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur. Ce marché est avant tout fondé sur le respect des principes de liberté d’établissement, de libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux sur le territoire de l’UE (art.26 et sv du TFUE). La Cour se réfère toujours au respect du fonctionnement d’une concurrence libre au sein du marché intérieur (voir C- recital 41 : (…) the subject-matter and purpose of Directive 2009/24. Recitals 4 and 5 in the preamble to that directive, which is based on Article 95 EC, to which Article 114 TFEU corresponds, state that its objective is to remove differences between the laws of the Member States which have adverse effects on the functioning of the internal market and concern computer programs. A uniform interpretation of the term ‘sale’ is necessary in order to avoid the protection offered to copyright holders by that directive varying according to the national law applicable.
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Oui il y a une spécificité du numérique ; the question of exhaustion does not arise in the case of services and on-line services in particular. (…) every on-line service is in fact an act which should be subject to authorisation where the copyright or related right so provides. (considérant 29 de la Directive 2001/29). Dans le point 40 de son arrêt C 479/13 du 5 mars 2015, la Cour de Luxembourg rappelle que (…) the supply of electronic books is an electronically supplied service within the meaning of the second subparagraph of Article 98(2) of the VAT Directive, and since that provision precludes the possibility of applying a reduced rate of VAT to such services, it is not possible to interpret point 6 of Annex III to the VAT Directive to include within its scope the supply of electronic books without failing to have regard to the EU legislature’s intention that a reduced rate of VAT should not apply to those services. La Cour poursuit dans le point 44 since it is also undisputed that the supply of electronic books does not fall within any other category of services referred to in Annex III to the VAT Directive, the application of a reduced rate of VAT to such a supply is not in accordance with Article 98(2) of the VAT Directive.
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En effet l’arrêt Art&Allposters semble venir confirmer le jugement belge Civ._Bruxelles,_15_février_1996,_AM,_1996,_p.319_Moulinsart c PT_Prod.
Le tribunal bruxellois rappelle que « l’auteur est maître du droit de reproduire son œuvre et de n’autoriser la reproduction que dans la mesure qu’il fixe ou dans les conditions qu’il détermine ; que la cession de droits consentie à la s.a. Casterman [sur la reproduction de l’œuvre d’Hergé] doit être interprétée restrictivement ». En effet la seule exception à la titularité sur tous les droits relatifs à cette œuvre concerne le droit concédé par Hergé lui-même et par ses ayant droits à la s.a. Casterman (…) qui est limité à la publication des albums dont Hergé est l’auteur (…) ; la s.a. Casterman est donc l’[éditrice] des albums de bande dessinée d’Hergé.
En détachant les différents posters contenus dans l’« Album Posters », et destinés donc à être vendus, au consommateur, ensemble et attachés l’un à l’autre (mais permettant audit consommateur de les détacher facilement), pour les vendre séparément et encadrés, la défenderesse [P&T Production] a non seulement créé des objets distincts (une série de posters encadrés et vendus séparément ne constitue pas le même article qu’un album regroupant des posters détachables par le consommateur) ; [que la défenderesse] n’a pas respecté la destination donnée à son œuvre par l’auteur, telle d’ailleurs qu’elle s’imposait à la cessionnaire, la s.a. Casterman ; (…) il y a donc bien eu, en l’espèce, usage abusif de reproductions autorisées.
Dans les deux affaires, Art&Allposters et Vlamynck et s.a. Moulinsart c. P&T Production, il s’agit bien de l’usage abusif de reproduction autorisée.

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En droit civiliste, la notion « droit d’auteur » ne correspond pas exactement à celle de « copyright » du common law. Comme le rappelle pertinemment le professeur canadien Gervais, « historiquement, la notion de copyright est liée aux droits économiques dans les systèmes de common law, alors que l’expression droit d’auteur est la vénérable expression française qui englobe tout un ensemble de droits comportant à la fois des aspects économiques et moraux. » https://www.ipdigit.eu/wp-content/uploads/2015/04/D.-Gervais-sur-Theberge-final.pdf

Au Royaume-Uni, l’exception de copie privée n’est applicable que depuis le 1er octobre 2014 (voir section “28B Personal copies for private use (1) The making of a copy of a work, other than a computer program, by an individual does not infringe copyright in the work provided that the copy—
(a) is a copy of— (i) the individual’s own copy of the work, or
(ii) a personal copy of the work made by the individual,
(b) is made for the individual’s private use, and
(c) is made for ends which are neither directly nor indirectly commercial.
(voir http://www.legislation.gov.uk/uksi/2014/2361/pdfs/uksi_20142361_en.pdf)

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La question de l’épuisement en matière de marque est visée par un règlement européen. Et celle en matière de droit d’auteur et droit voisin l’est par une directive.
Le prescrit de l’art.13 du Règlement 207/2009 est directement applicable dans chaque état membre de l’UE. (Article 13 Exhaustion of the rights conferred by a Community trade mark
1. A Community trade mark shall not entitle the proprietor to prohibit its use in relation to goods which have been put on the market in the Community under that trade mark by the proprietor or with his consent.
2. Paragraph 1 shall not apply where there exist legitimate reasons for the proprietor to oppose further commercialisation of the goods, especially where the condition of the goods is changed or impaired after they have been put on the market.
Cependant que ce soit en matière de droit de marque ou de droits d’auteur et droit voisin, le consentement de la (des) personne(s) titulaires du droit est requis pour l’utilisation de la marque ou de l’oeuvre. Une importante différence en matière de titularité sépare marque (droit sur un signe) et droit d’auteur (droit sur une œuvre, création humaine) : juridiquement, la titulaire d’un droit d’auteur ne peut être qu’une personne physique.

Toutes ces considérations méritent plus de développement approfondis, de réflexions et d’analyses interdisciplinaires (culturelles, économiques, historiques et politiques). Malheureusement le temps et l’espace nous sont comptés.

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Marie-Hélène Delouw
1. En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE (par ex. l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014, C-355/12). Il faudrait aussi examiner si…
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1. En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE (par ex. l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014, C-355/12). Il faudrait aussi examiner si le récent arrêt en matière de fiscalité des livres numériques rendu par la CJUE le 5 mars 2015 (Commission c. France, C-479/13) n’a pas une incidence sur cette question.

a) Réponse sur base de l’arrêt Usedsoft
La théorie de l’épuisement, à l’origine dégagée par la Cour de justice, est aujourd’hui consacrée par le droit dérivé, dont les directives 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information et 2009/24 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur. Notons que Usedsoft est basé sur la seconde, alors que les autres fichiers numériques tomberaient sous la première.

Afin d’entamer une réflexion sur la possibilité d’appliquer la théorie de l’épuisement à d’autres fichiers numériques que les logiciels, il s’agit de commencer par constater que, contrairement à la directive 2009/24, la directive 2001/29 est accompagnée de deux considérants, les considérants 28 et 29, qui semblent éliminer cette possibilité. Ces derniers ont pour objectif de mettre en oeuvre le traité WCT dont une déclaration commune aux articles 6 et 7 a pour objectif d’exclure le numérique de son champ d’application.

La Cour, dans l’arrêt Usedsoft, précise tout d’abord que la directive 2009/24 constituerait une lex specialis par rapport à la directive 2001/29 (pt. 56) avant de déclarer que le législateur européen exprimerait dans ces deux directives une volonté différente (pt. 60).

Cela voudrait-il dire qu’un épuisement pour les fichiers numérique n’est envisageable que s’agissant des logiciels? Rien n’en est moins sur, et la Cour laisse clairement la question en suspend. Ainsi, dans elle déclare qu’ «à supposer même que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29, interprétée à la lumière des considérants 28 et 29 de celle-ci ainsi qu’à celle du traité sur le droit d’auteur, que la directive 2001/29 vise à mettre en oeuvre, indiquerait, pour les oeuvres relevant de cette directive, que l’épuisement du droit de distribution ne concerne que les objets tangibles » (pt. 60). Par ces termes « à supposer même », elle ne se prononce donc pas sur la possibilité d’envisager un épuisement pour les fichiers numériques en dehors de l’hypothèses de logiciels d’ordinateurs.

b) Apport de Commission c. France
Dans Commission c. France, la Cour a considéré que la vente de livres numériques devait être considérée comme une prestation de service et non une livraison de biens. Selon celle-ci, « la fourniture de livres électroniques ne saurait être considérée comme étant une «livraison de biens», au sens de cette dernière disposition, à défaut pour le livre électronique de pouvoir être qualifié de bien corporel. » Or, selon le considérant 29, « la question de l’épuisement du droit ne se pose pas dans le cas des services, en particulier lorsqu’ils s’agit de services en ligne ». En qualifiant la fourniture de livres électroniques de prestation de service, la Cour semble donc s’écarter de la possibilité d’appliquer la théorie de l’épuisement en matière de vente de livres numériques. Reste à savoir s’il est possible d’appliquer le même raisonnement à d’autres fichiers numériques, tels que les fichiers musicaux.

Selon la Cour, « le support physique permettant la lecture de ce livre, qui pourrait être qualifié de «bien corporel», est absent lors de la fourniture. Il s’ensuit que, en application de cet article 24, paragraphe 1, la fourniture de livres électroniques doit être qualifiée de prestation de services ». En se basant sur cette justification, il pourrait être envisageable de tenir le même raisonnement s’agissant des fichiers musicaux. En effet, ces derniers ne sont en principe pas fournis équipés du support physique permettant de les lire.

c) Apport de Nintendo c. PC Box
Tout d’abord, l’arrêt nintendo confirme la nature de “lex specialis” de la directive logiciels et confirme donc que la celle-ci prévaut sur la directive 2001/29. La cour précise cependant qu’il faut pour cela que l’objet protégé tombe entièrement dans le champ d’application de la directive 2009/24. L’épuisement numérique ne s’appliquerait dès lors uniquement qu’aux pure logiciels, à l’exclusion, en l’espèce, des jeux vidéos. Cela confirme donc la volonté du législateur européen d’avoir exprimé une volonté différente dans la directive logiciels, et cela éloigne donc la perspective d’un épuisement pour les fichiers numériques autres que ceux entrant entièrement dans le champs d’application de la directive 2009/24.

Ensuite, il est intéressant de noter que dans l’arrêt Nintendo, la Cour, confrontée à des mesures techniques, a considéré que la directive 2001/29 « oblige les États membres à prévoir une protection juridique appropriée contre le contournement de toute «mesure technique» », (…) (à savoir) toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou les autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur (…), (ces actes étant) la reproduction, la communication d’œuvres au public et la mise à la disposition du public de celles-ci, ainsi que la distribution de l’original ou de copies des œuvres » (pt 24). Les Etats membres devraient donc s’assurer que des mesures techniques empêchant la distribution de ces oeuvres ne puissent être contournées.
Or dans l’arrêt Usedsoft, le contrat de licence donnant un droit d’utilisation aux clients prévoyait une clause d’incessibilité. L’utilisation d’un tel mécanisme contractuel avait le même objectif qu’une mesure technique. En effet, on pourrait également considérer qu’il avait pour objet d’éviter « en ce qui concerne les œuvres ou les autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur » ainsi que d’empêcher « la distribution de l’original ou de copies des œuvres ». Cependant précisément dans cette décision la Cour a décidé de requalifier la licence en contrat de vente sous peine de contourner la règle de l’épuisement et de priver l’article 4, paragraphe 2 d’effet utile.
Dans l’arrêt Nintendo, la Cour semble donc encourager la protection des droits intellectuels tandis que dans Usedsoft elle semble favoriser l’épuisement.

Enfin notons que dans l’arrêt Usedsoft, la Cour valorise par contre les mesures techniques comme moyen de s’assurer que la copie revendue soit rendue inutilisable pour l’acquéreur initial et que ce dernier n’ait pas créé de copies du programme (pt. 79).

2. Quant à l’épuisement “physique”, l’arrêt Allposters pose beaucoup de questions :

a) Pensez-vous que des considérations économiques motivent l’arrêt Allposters? Mais si on compare l’arrêt UsedSoft à l’arrêt Allposters, est-ce que ce n’est pas plutôt l’arrêt UsedSoft qui dénote un raisonnement économique de la part de la Cour? Dans un cas, c’est en faveur de l’épuisement, dans un autre, c’est contre l’épuisement. Est-ce que l’on peut donc facilement réconcilier Allposters et UsedSoft? Y aurait-il une spécificité du ‘numérique’ par rapport au ‘physique’ pour la question de l’épuisement?

Des considérations économiques motivent assurément l’arrêt Allposters. La cour souligne que la directive 2001/29 a pour objectif de permettre aux auteurs « d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs oeuvres » (pt. 47). Elle souligne ensuite que cette rémunération appropriée, qui doit être en rapport avec la valeur économique de l’exploitation de l’objet protégé, justifie qu’il faille une autorisation afin d’effectuer un transfert sur toile, étant donné que leur valeur économique est supérieure et permettrait aux auteurs d’obtenir une rémunération plus élevée.

Dans Usedsoft, au contraire, la Cour considère que la première vente d’une copie du logiciel permettrait déjà au titulaire d’obtenir une rémunération appropriée (pt. 63).

La spécificité ne serait-elle pas que les coûts de production pour le numérique sont les mêmes qu’une seule licence soit accordée ou un grand nombre, tandis que s’agissant du support physique, bien que les coûts de productions diminuent en fonction de la quantité produite, un coût marginal subsiste?

Dans Usedsoft, la Cour a pourtant considéré qu’il n’y avait, d’un point de vue économique, pas de différence entre la vente d’un programme d’ordinateur au moyen d’internet ou sur un support matériel (pt. 61). On pourrait en effet considérer que le coût d’un CD-ROM ou DVD soit négligeable dans le prix de vente d’un programme. Au contraire, le coût d’une toile, pour prendre l’exemple de AllPosters, pourrait s’avérer moins plus important.

b) L’arrêt Allposters vient apparemment confirmer la jurisprudence Poortvliet du Hoge Raad hollandais (19 janvier 1979, NJ 1979/412). Est-ce qu’il est aussi conforme à la jurisprudence belge (voir par ex. Civ._Bruxelles,_15_février_1996,_AM,_1996,_p.319_Moulinsart c PT_Prod) ?

Dans la décision Belge, le tribunal considère que la défenderesse n’a pas respecté la destination donnée à l’oeuvre par l’auteur et qu’il y a usage abusif de reproductions autorisées. En effet, la société qui avait été autorisée à créer un album « posters » a, in fine, vendu des illustrations détachées de l’album et encadrées. 
Le tribunal précise en effet que « l’auteur est maître du droit de reproduire son oeuvre et de n’autoriser la reproduction que dans le mesure qu’il fixe ou les conditions qu’il détermine». Allposters confirme donc également la jurisprudence belge.

c) Les gouvernements français et anglais sont intervenus dans l’affaire Allposters. La France a plaidé contre l’épuisement et l’on peut présumer que le Royaume-Uni a défendu la position inverse. Est-ce que cette position différente traduit une vision différente du droit d’auteur? Vous pouvez aussi consulter l’arrêt de la Cour suprême canadienne dans Théberge (28 mars 2002 CSC 34 (QL)), ainsi que l’analyse qu’en fait le professeur D. Gervais (voir ici). Dans cette affaire très similaire à Allposters sur le plan des faits, la Cour a considéré, contrairement à la Cour de justice, que le changement de support ne peut être contrôlé par l’entremise du droit d’auteur et a donc conclu à l’encontre des ayants droit. Cette approche différente au Canada, voire au Royaume-Uni, traduit-elle une différence entre l’approche de common law et l’approche civiliste que la Cour de justice semble avoir suivi dans Allposters?

Certainement. L’on prend souvent le terme « copyright » comme la traduction du terme « droit d’auteur ». Or, bien que ces deux régimes soient aujourd’hui unifiés grâce à un certain nombre de conventions internationales, ces termes ne sont pas équivalents et recouvrent des institutions ayant une justification totalement différente. Le copyright est en effet davantage basé sur une logique économique et est centré sur les droits patrimoniaux accordés, qu’accessoirement il accorde également des droits moraux. Tandis que le droit d’auteur est davantage basé sur la personne de l’auteur et la relation qu’il entretient avec son oeuvre (en insistant notamment sur les droits moraux en sus des droits patrimoniaux). Il n’est donc pas étonnant que la décision de la Cour suprême canadienne, dans cette affaire, débouche sur une décision radicalement différente à celle de la Cour de justice.

d) Enfin, que tirer d’une comparaison entre la règle d’épuisement en matière de marques (voir art. 13 du Règlement 207/2009) et les conditions de l’épuisement selon Allposters?

Tout d’abord, la fonction essentielle de ces deux droits est radicalement différente. Au sein du marché unique européen, l’exercice des droits intellectuel n’est justifié que s’agissant de leur fonction essentielle.
En matière de marques, le l’objet spécifique est de garantir l’origine du produit ou service (CJCE, 17 octobre 1990, Hag II, aff. C-10/89, point 14; 23 avril 2009, Copad, aff. C-59/08, point 22). Tandis qu’en matière de droits d’auteurs, c’est d’assurer une rémunération à l’auteur. En effet, dans Allposters, la Cour précise que « l’objectif principal de la directive 2001/29 (…) est d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur, entre autres, des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres» (pt. 47)

Ensuite, l’article 13 du règlement 207/2009, après avoir consacré l’épuisement du droit de marque dans son premier paragraphe, prévoit dans une second que le premier « n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce ». S’agissant du droit d’auteur, l’épuisement consacré dans les directive 96/9, 2001/29 et 2009/24 ne prévoit pas de tel second paragraphe qui permettrait de ne pas appliquer la théorie de l’épuisement lorsque des motifs légitimes le justifient.

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Célia Dierick; Pauline Limbrée, Hugo Christiaens, Gaël Gobert
De UsedSoft à Allposters: dans le numérique, le droit d’auteur s’épuiserait mais il n’y a pas d’épuisement physique! 1. En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE…
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De UsedSoft à Allposters: dans le numérique, le droit d’auteur s’épuiserait mais il n’y a pas d’épuisement physique!

1. En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE (par ex. l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014, C-355/12). Il faudrait aussi examiner si le récent arrêt en matière de fiscalité des livres numériques rendu par la CJUE le 5 mars 2015 (Commission c. France, C-479/13) n’a pas une incidence sur cette question.

Dans l’arrêt UsedSoft, la CJUE a fait une interprétation de la règle de l’épuisement. Elle a estimé qu’il y avait épuisement, peu importe la qualification donnée par les parties au contrat, dès lors que le titulaire du droit a reçu un paiement correspondant à la valeur économique du produit. Il n’est pas nécessaire que cela se fasse par le biais d’une véritable vente, le téléchargement en ligne peut également emporter l’épuisement du droit.
Dans cet arrêt la Cour consacre ainsi l’épuisement numérique du droit d’auteur.
La question qui se pose est de savoir si la jurisprudence de l’arrêt UsedSoft peut également s’étendre à d’autres fichiers numériques tels que des fichiers musicaux ou fichiers texte. Pour répondre à cette question nous avons analysé deux arrêts récents de la jurisprudence : l’arrêt Nintendo c. PC Box et l’arrêt Commission c. France.
L’arrêt Nintendo c. PC Box est relatif à la protection des jeux vidéo. Comme il est affirmé au point 23 de l’arrêt, « les jeux vidéo, tels que ceux en cause au principal, constituent un matériel complexe comprenant non seulement un programme d’ordinateur, mais également des éléments graphiques et sonores qui, bien qu’encodés dans le langage informatique, ont une valeur créatrice propre qui ne saurait être réduite audit encodage. Dans la mesure où les parties d’un jeu vidéo, en l’occurrence ces éléments graphiques et sonores, participent à l’originalité de l’œuvre, elles sont protégées, ensemble avec l’œuvre entière, par le droit d’auteur dans le cadre du régime instauré par la directive 2001/29 ».
La directive 2001/29 oblige les Etats membres à prévoir une protection efficace contre le contournement de toute mesure technique et efficace entendue comme « toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou les autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur prévu par la loi, ou du droit sui generis prévu au chapitre III de la directive 96/9 ».
Il ressort de la directive que la notion de «mesures techniques efficaces» est définie d’une façon large et inclut l’application d’un code d’accès ou d’un procédé de protection, ainsi que l’a fait l’entreprise Nintendo.
Etant donné que la Cour estime ces mesures justifiées et ne les sanctionne pas, nous estimons que selon elle il n’y aura pas d’épuisement numérique des jeux vidéo puisque ces mesures ont justement pour but d’empêcher une distribution, une copie ou une communication au public de ces jeux par une autre entreprise que Nintendo.
Un autre arrêt dont il nous a paru utile de toucher quelques mots est l’arrêt Capitol Records LLC v. ReDigi Inc. du 30 mars 2013 rendu par une Cour américaine qui refuse d’appliquer la « first sale doctrine » aux fichiers musicaux achetés en ligne. La « first sale doctrine » correspond à la règle de l’épuisement dans notre droit.
Quant à l’arrêt Commission c. France, il s’agit de savoir si, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 96 et 98 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée lus en combinaison avec les annexes II et III de ladite directive et son règlement d’exécution n° 282/2011 en appliquant un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à la fourniture de livres numériques (ou électroniques).
Notons d’emblée que par fourniture de livres numériques ou électroniques, il y a lieu d’entendre la fourniture, à titre onéreux, par voie de téléchargement ou de diffusion en flux («streaming») à partir d’un site web, de livres au format électronique pouvant être consultés sur un ordinateur, un téléphone intelligent, un lecteur de livres électroniques ou tout autre système de lecture (ci après la «fourniture de livres électroniques»).
La Commission européenne considère en effet que l’application d’un taux réduit était contraire à la directive TVA étant donné que seules les opérations visées par l’annexe III de cette directive peuvent bénéficier de ce taux réduit. Or, la fourniture de livres électroniques ne relèverait pas du champ d’application de ladite annexe. Par ailleurs, l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, de la directive TVA, exclut tel quel l’application d’un taux réduit à des services fournis par voie électronique.
Cependant, la France, soutenue par la Belgique, conteste cette interprétation au motif que la fourniture de livres électroniques relève du point 6 de l’annexe III de la directive TVA, qui mentionne expressément dans la catégorie des prestations pouvant faire l’objet de taux réduits de TVA, la «fourniture de livres, sur tout type de support physique». Il ressort ainsi des termes de ce point que le taux réduit de TVA est applicable à l’opération qui consiste à fournir un livre se trouvant sur un support physique
La Cour, bien qu’elle reconnaisse que le livre électronique nécessite, aux fins d’être lu, un support physique, tel qu’un ordinateur, elle considère qu’un tel support n’est cependant pas compris dans la fourniture de livres électroniques. Par ailleurs, même si l’objectif du législateur européen était, via l’annexe III, de préciser et d’adapter à l’évolution technologique la référence à la notion de «livres», la Cour rappelle l’exclusion de l’application du taux réduit « aux services fournis par voie électronique ». Ainsi, la France a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive TVA.
Il faut relever que le Parlement européen avait semblé entendre, dans les considérants la directive 2001/29/CE (considérant 29), que l’épuisement du droit de distribution ne devait s’appliquer que lorsque « la propriété incorporelle est incorporée à un support physique à savoir une marchandise, tout service en ligne constitue en fait un acte devant être soumis à autorisation dès lors que le droit d’auteur ou le droit voisin en dispose ainsi ».
Par conséquent, en estimant que le taux réduit ne s’applique pas aux livres électroniques, la Cour dans cet arrêt, semble confirmer le fait qu’il n’y a pas d’épuisement numérique puisque celui-ci ne s’applique qu’en cas de support tangible malgré l’exception mise en place par l’arrêt UsedSoft.
2. Quant à l’épuisement “physique”, l’arrêt Allposters pose beaucoup de questions:
– Pensez-vous que des considérations économiques motivent l’arrêt Allposters? Mais si on compare l’arrêt UsedSoft à l’arrêt Allposters, est-ce que ce n’est pas plutôt l’arrêt UsedSoft qui dénote un raisonnement économique de la part de la Cour? Dans un cas, c’est en faveur de l’épuisement, dans un autre, c’est contre l’épuisement. Est-ce que l’on peut donc facilement réconcilier Allposters et UsedSoft? Y aurait-il une spécificité du ‘numérique’ par rapport au ‘physique’ pour la question de l’épuisement?
Dans l’arrêt UsedSoft, la Cour de Justice de l’Union européenne utilise en effet, pour appuyer son raisonnement, des considérations économiques, car elle dit que c’est une vente. En effet, l’enjeu économique dans cette affaire, c’était de savoir si le téléchargement d’un logiciel sous licence pour une durée indéterminée et pour un prix équitable correspond à une vente. Une vente, c’est le transfert de propriété moyennant un prix. Dans sa décision, elle ne va pas regarder s’il y a un véritable transfert de propriété, mais juste dire que lorsqu’il y a un droit d’utilisation indéterminé dans le temps, et par conséquent il s’agira dès lors d’un transfert de propriété. Ainsi la règle d’épuisement s’applique, UsedSoft pouvant revendre des programmes informatiques/logiciels de seconde main. La CJUE a décidé ainsi pour favoriser le marché de produits d’occasion ou de seconde main. Cela permet aussi d’avoir un marché pour les importations parallèles, tant que les biens ou dans le cas présent un logiciel a été mis sur le marché de manière licite et que la circulation a lieu au sein de l’UE
Pour l’arrêt Allposter, des éléments économiques sont aussi pris en compte: La Cour estime que lorsque l’on reproduit une oeuvre original sur un autre support, qui est ” de nature à pouvoir constituer en réalité une nouvelle reproduction de cette oeuvre”, cela permettrait ” d’augmenter la durabilité de la reproduction, d’améliorer la qualité de l’image par rapport à l’affiche et de rendre le résultat plus proche de l’original de l’oeuvre”, et donc créer un nouveau support, ce serait créer un nouvel objet incorporant l’image de l’oeuvre protégée ce qui est interdit. La règle de l’épuisement ne fonctionnerait pas dans ce cas si car le titulaire du droit d’auteur n’a jamais consenti à ce que son œuvre puisse circuler sous cette forme-ci, et donc ce serait une perte d’argent provenant de son oeuvre qui se ferait ressentir dans son chef si on admettait la règle de l’épuisement.
En conclusion, les produits numériques ne sont pas soumis à la règle de l’épuisement, sauf dans le cas spécial admis par la CJUE des programmes informatiques. Tandis que la revente d’un produit tangible/ physique fait passer celui-ci du patrimoine du vendeur au nouvel acquéreur, et donc vu que le vendeur ne le possédera plus, la règle de l’épuisement fonctionnera, permettant ainsi la création du marché de l’occasion. Tandis que pour les biens numériques, lors d’une revente, il est difficile de savoir si l’ancien propriétaire ne la pas garder dans ses fichiers informatiques ou en a fait des copies, et donc en toute logique la règle de l’épuisement ne fonctionne pas dans ce cas-ci (excepté les programmes informatiques).
De plus, l’article 4 paragraphe 2 de la directive 2009/24 prévoit que ” la première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui-ci”.
– L’arrêt Allposters vient apparemment confirmer la jurisprudence Poortvliet du Hoge Raad hollandais (19 janvier 1979, NJ 1979/412). Est-ce qu’il est aussi conforme à la jurisprudence belge (voir par ex. Civ._Bruxelles,_15_février_1996,_AM,_1996,_p.319_Moulinsart c PT_Prod) ?
ex. Civ._Bruxelles,_15_février_1996,_AM,_1996,_p.319_Moulinsart c PT_Prod) ?
Ces deux décisions de justice sont plus ou moins similaires dans les faits et dans l’issue du litige. Nous nous retrouvons face à deux défendeurs qui ont reproduit des œuvres d’un auteur, mais dans un autre support physique que l’initial et ce, sans le consentement des titulaires des droits d’auteur de l’oeuvre. Dans l’Arrêt Allposters, cette société reproduisait des peintures, à partir d’affiche représentant ces-dites peintures, sous forme de toiles de peintre. Pictoright s’opposa à la vente de ces reproductions, arguant que celles-ci étaient trop différentes de l’objet mis initialement sur le marché avec le consentement du titulaire du droit, et qu’ainsi l’épuisement du droit ne pouvait pas être appliqué dans cette situation et qu’Allposter ne pouvait donc pas reproduire sous cette forme les oeuvres. Le demandeur eu gain de cause dans cette affaire.
Une situation plus locale mais aussi ressemblante fût la décision du Tribunal Civil. La partie demanderesse, S.A. Casterman, fût autorisée à reproduire des vignettes tirées d’albums du célèbre dessinateur Hergé, afin de les regrouper dans une œuvre appelé « Album Poster ». La défenderesse, quant à elle, a détaché ces différentes vignettes se trouvant dans l’album qu’elle a acquis, afin de les faire encadrer et de les vendre séparément. En plus, elle décida aussi d’en faire des cartes postales.Celle-ci retorqua à l’action intentée contre elle par S.A. Moulinsart, par le fait que son œuvre était une parodie et donc que c’était sa propre œuvre originale. Le Tribunal ne trouva pas la parodie très explicite, remarquant plutôt la forte ressemblance à l’œuvre d’Hergé. C’est ainsi que la parodie n’étant pas originale, l’œuvre ne pût être protégée. De plus, elle fût coupable d’un usage abusif de reproductions autorisées, comme dans l’arrêt Allposter, car elle créa un objet distinct de l’œuvre initial ne respectant pas la destination de base donnée par l’auteur S.A.Casterman. C’est ainsi que la règle de l’épuisement dans ce cas ne pouvait être appliquée et que la défenderesse fût condamnée à cesser ces activités et à détruire à ses frais son travail.

– Les gouvernements français et anglais sont intervenus dans l’affaire Allposters. La France a plaidé contre l’épuisement et l’on peut présumer que le Royaume-Uni a défendu la position inverse. Est-ce que cette position différente traduit une vision différente du droit d’auteur? Vous pouvez aussi consulter l’arrêt de la Cour suprême canadienne dans Théberge (28 mars 2002 CSC 34 (QL)), ainsi que l’analyse qu’en fait le professeur D. Gervais (voir ici). Dans cette affaire très similaire à Allposters sur le plan des faits, la Cour a considéré, contrairement à la Cour de justice, que le changement de support ne peut être contrôlé par l’entremise du droit d’auteur et a donc conclu à l’encontre des ayants droit. Cette approche différente au Canada, voire au Royaume-Uni, traduit-elle une différence entre l’approche de common law et l’approche civiliste que la Cour de justice semble avoir suivi dans Allposters?
Pour comprendre cette vision différente il est important d’avoir en tête que le conflit entre common law et droit civil s’explique aussi parce qu’il existe une différence entre le copyright et le droit d’auteur. En effet, alors que le droit d’auteur englobe les droits économiques et moraux, le copyright lui semble être plus axé vers les droits économiques de l’auteur. Autre différence majeure est celle de la notion du droit de reproduction, qui est un droit économique dont l’acceptation est large dans les pays civilistes alors qu’elle est plutôt appréciée strictement dans les pays anglo-saxons.
Le droit de reproduction au sens large est divisé en 6 «sous droits » dont un seul va nous retenir ici : à savoir le droit de destination. Il donne le droit à l’auteur de contrôler les modalités de distribution de son œuvre et les utilisations qui pourront en être faite. Ce droit de destination n’existe tout simplement pas dans les pays de common law. Cela voudrait donc dire que d’un côté, il y a les pays civilistes qui aurait une vision plus protectrice des auteurs en leur permettant de pouvoir faire usage de leur droit de destination, d’un autre côté les pays de la common law qui sont plutot contre un contrôle abusif de la part des auteurs car cela « restreindrait indûment la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société, ou créer des obstacles d’ordre pratique à son utilisation légitime » . On comprend donc maintenant pourquoi la France a plaidé contre l’épuisement, et a donc défendu les intérêts légitimes des auteurs representés par la société Pictoright.
Quant au changement de support, cette vision différente entre la Cour de justice de l’union européenne et la Cour suprême canadienne s’explique par ce qu’il vient d’être dit précédemment. En ajoutant que pour la CJUE, le changement de support peut être un indice à considérer que l’œuvre est une reproduction différente de l’original. Or le changement de support est en quelque sorte une utilisation de l’œuvre original. La Cour s’attache à ce que la règle de l’épuisement ne s’applique pas dans ce cas là car cela viendrait nuire au droit de destination de l’auteur.
– Enfin, que tirer d’une comparaison entre la règle d’épuisement en matière de marques (voir art. 13 du Règlement 207/2009) et les conditions de l’épuisement selon Allposters?
En matière de marque, la règle de l’épuisement ne pourra pas être invoquée « lorsque l’état des produits est modifié́ ou altéré́ après leur mise dans le commerce. » Tandis que pour les droits d’auteurs, selon la jurisprudence Allposters il apparaît que « ce qui importe est de savoir si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit.
De cette comparaison on peut en conclure que les conditions sont très similaires et cela est peut-être dû en raison de la volonté d’harmonisation de la règle de l’épuisement au niveau européen pour les droits de la propriété intellectuelle.

Christiaens Hugo, Gobert Gaël, Limbrée Pauline, Dierick Célia

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Alexis Fayt
1.Epuisement numérique Sur la base de l’arrêt Usedsoft, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré qu’une licence d’usage d’un logiciel informatique pouvait sous certaines conditions être assimilée à une vente . Par conséquent, la Cour consacre dans son arrêt l’épuisement communautaire dans le domaine du numérique. La question à se poser est la suivante : Est ce…
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1.Epuisement numérique

Sur la base de l’arrêt Usedsoft, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré qu’une licence d’usage d’un logiciel informatique pouvait sous certaines conditions être assimilée à une vente . Par conséquent, la Cour consacre dans son arrêt l’épuisement communautaire dans le domaine du numérique. La question à se poser est la suivante : Est ce que l’enseignement de cet arrêt s’applique dans d’autres cas où il n’y a pas de support matériel ?

1.1.
Le point 56 de l’arrêt Usedsoft précise que « la directive 2009/24, qui concerne spécifiquement la protection juridique des programmes d’ordinateur, constitue une lex specialis par rapport à la directive 2001/29 ».

1.2. arrêt PC box. c. Nintendo

Nintendo attaque en justice PC Box Srl et 9Net Srl en raison de la commercialisation par ces derniers de modchips et de game copiers via un site internet qui permettent de jouer à des copies des jeux-vidéos Nintendo et qui permettent de contourner les mesures techniques élaborées par Nintendo. Ces dernières sont en l’espèce un système de reconnaissance incorporé à la fois dans les consoles Nintendo et dans le support du jeu vidéo.

La Cour précise que, « conformément à son article 1er, paragraphe 1, la protection offerte par la directive 2009/24 se limite aux programmes d’ordinateur. Or, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, les jeux vidéo, tels que ceux en cause au principal, constituent un matériel complexe comprenant non seulement un programme d’ordinateur, mais également des éléments graphiques et sonores qui, bien qu’encodés dans le langage informatique, ont une valeur créatrice propre qui ne saurait être réduite audit encodage. Dans la mesure où les parties d’un jeu vidéo, en l’occurrence ces éléments graphiques et sonores, participent à l’originalité de l’œuvre, elles sont protégées, ensemble avec l’œuvre entière, par le droit d’auteur dans le cadre du régime instauré par la directive 2001/29. »

Dans le cas présent, la Cour ne retient pas l’épuisement numérique comme une règle absolue et considère que les mesures utilisées par Nintendo sont conforment à l’article 6 de la directive 2001/29. Néanmoins, elle précise que les juridictions des Etats membres doivent vérifier d’une part si d’autres mesures ne sont pas plus appropriées que celles utilisées par le titulaire des droits d’auteur, et d’autre part examiner le but poursuivi par l’instauration de dispositifs qui contournent les mesures techniques. La cour précise que l’usage fait par les tiers desdits dispositifs est un élément important.

1.3. Copydan Båndkopi c. Nokia Danmark A/S

Cette affaire concernait les copies privées numériques, provenant de sources tel qu’ internet et les lecteurs MP3, stockées sur les cartes mémoires additionnelles insérées dans les GSM vendus par la firme Nokia au Danemark. La question principale qui ressort de cette affaire consiste dans le fait de savoir si un organisme de gestion des droits d’auteurs (en l’espèce Copydan Båndkopi) pouvait exiger de la firme Nokia des redevances en contrepartie des copies qui sont faites par les utilisateurs des GSM Nokia.

Dans cet arrêt, la Cour énonce que  « L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit une compensation équitable au titre de l’exception au droit de reproduction pour les copies à usage privé, au titre des supports plurifonctionnels, tels que les cartes mémoire de téléphones mobiles, que ces supports aient ou non pour fonction principale la réalisation de telles copies, à condition qu’une des fonctions desdits supports, fût-elle secondaire, permette à leurs détenteurs de les utiliser à cette fin. Cependant, le caractère principal ou secondaire de cette fonction et l’importance relative de la capacité du support à réaliser des reproductions sont susceptibles d’influer sur le montant de la compensation équitable due ».

Elle précise néanmoins que « dans la mesure où le préjudice causé aux titulaires de droits serait considéré comme minime, la mise à disposition de ladite fonction pourrait ne pas donner naissance à une obligation de paiement de cette compensation. »

Par conséquent, il y aura épuisement à condition que le préjudice causé soit minime à l’égard des titulaires des droits d’auteurs.

1.4. Commission c. France, C-479/13

Selon le considérant 29 de la directive 2001/29, « La question de l’épuisement du droit ne se pose pas dans le cas des services, en particulier lorsqu’il s’agit de services en ligne. »

Cette affaire concerne le taux réduit de TVA, prévu dans le droit national français, sur la fourniture de livres numériques ou électroniques. Alors que l’ article 98 de la directive TVA prévoit que les Etats membres ne peuvent pas prévoir de taux réduit concernant les services fournis par voie électronique. L’annexe II de ladite directive prévoit notamment que la fourniture de textes fait partie des services fournis par voie électronique au sens de la directive.

La Cour juge que la France a violé ses obligations découlant de la directive TVA en appliquant un taux réduit de TVA aux fournitures de livres numériques et électroniques. Ces derniers doivent être considérés comme étant des services fournis par voie électronique.

Si nous lisons le considérant 29 précité à la lumière du présent arrêt, il n’y a pas d’épuisement en ce qui concerne les e-books et autres livres numériques et électroniques.

2. Epuisement “physique”

2.1. Nous pouvons supposer que les enjeux économiques sont plus importants dans le domaine des programmes d’ordinateur et plus globalement dans le domaine du numérique que dans un domaine comme la vente de posters intégrants des oeuvres artistiques.

En particulier concernant les programmes d’ordinateurs, leur utilisation suppose qu’une copie soit faite contrairement à des oeuvres sur support matériel. Donc les enjeux dans les deux affaires sont différentes.

De mon point de vue, de par les évolutions incessantes et rapides des technologies il faut repenser ce que prévoit le droit de l’union européenne en ce qui concerne le droit de distribution et l’épuisement de celui-ci dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisin. Une possibilité est de scindée les règles applicables en matière de support numérique et physique.

2.2. « Le droit de destination donne à l’auteur le droit de contrôler non seulement les modalités de la distribution de son œuvre, mais aussi les utilisations qui pourront être faites par les utilisateurs. » (http://www.belspo.be/belspo/organisation/publ/pub_ostc/d_auteur/rapp_fr.pdf)

Dans plusieurs arrêts, les juridictions belges consacrent ce droit. Par exemple, la Cour d’appel d’Anvers a mis en lumière ce droit pour interdire l’intégration d’une oeuvre dans une autre oeuvre conceptuel. (S. Dusollier, “Heurs et malheurs du droti de destination”, Auteurs et Médias, n° 5, 2010, p. 450). Il nous semble que l’arrêt Allposters consacre le droit de destination de la même manière qu’une majorité de la jurisprudence belge.

2.3.

L’approche concernant les droits d’auteurs en common law et en droit civiliste est en partie différente. En atteste, le droit de destination qui est consacré en droit civiliste mais pas en common law.

Le common law ne prévoit pas un tel droit car “les prérogatives de l’auteur doivent impérativement être limitées dans le but de permettre au public d’accéder aux créations. En d’autres termes, il est nécessaire de protéger les droits des utilisateurs…” (http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2576262, p. 9).

2.4. L’article 13 du Règlement 207/2009 prévoit qu’il n’y a pas d’épuisement dans le cas notamment où “l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce.”

De mon point de vue, la logique qui ressort de l’arrêt Allposters est identique à celle de l’article 13 du Règlement précité.

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Maude Biettlot, Romain Dusart, Matthieu Hardy, Noëlle Pineux
1. Ces fichiers numériques ne sont pas considérés comme des programmes d’ordinateurs. Partant, ils ne sont pas concernés par la directive 2009/24 mais tombe sous le champ d’application de la directive 2001/29, au caractère « général ». Dans l’arrêt UsedSoft, La Cour de justice a décidé que la règle de l’épuisement s’applique indistinctement aux programmes issus de l’Internet (objets immatériels) et…
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1. Ces fichiers numériques ne sont pas considérés comme des programmes d’ordinateurs. Partant, ils ne sont pas concernés par la directive 2009/24 mais tombe sous le champ d’application de la directive 2001/29, au caractère « général ».
Dans l’arrêt UsedSoft, La Cour de justice a décidé que la règle de l’épuisement s’applique indistinctement aux programmes issus de l’Internet (objets immatériels) et disponibles sur CD/DVD (objets tangibles). Ce parallélisme s’explique par le fait que c’est la définition de la directive 2009/24 qui est retenue, cette directive constituant la lex specialis par rapport à la directive 2001/29. En effet, il ressort de l’article 1er, paragraphe 2 de la directive 2009/24 que la « protection prévue par cette directive s’applique à toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur ». Cette disposition permet d’affirmer que le législateur européen voulait assimiler les copies matérielles et immatérielles.
Au vu de l’article 4, paragraphe 2 de la directive 2001/29 et de ses considérants 28 et 29, la Cour a déjà considéré que cette directive ne prévoyait la règle de l’épuisement que pour les objets tangibles.
En ce qui concerne les jeux-vidéos, l’arrêt Nintendo c. PC Box nous apprend que ces derniers ne tombent pas sous le champ d’application de la directive 2009/24, celle-ci se limitant aux programmes d’ordinateur. En effet, les jeux-vidéos « comprennent non seulement un programme d’ordinateur, mais également des éléments graphiques et sonores qui, bien qu’encodés dans le langage informatique, ont une valeur créatrice propre qui ne saurait être réduite audit encodage » (§23).
L’arrêt Commission c. France (C-479/13) marque un tournant dans la méthodologie d’interprétation utilisée par la Cour. Le juge, dans cette affaire, a considéré que la vente de livres électroniques ne constituait pas une livraison de bien et ne pouvait donc bénéficier d’un taux de TVA réduit accordé à la vente de livres papier. Contrairement aux arrêts précédent, il ne se réfère pas à l’objectif de la disposition fiscale, qui est de promouvoir la culture, mais bien aux termes de la loi et qualifie ces opérations de « services par voies électroniques » (§41).
2.1. Dans l’arrêt Allposters, le transfert d’une œuvre depuis une affiche papier vers une toile présente une plus-value économique pour le propriétaire de la toile. En effet, l’œuvre se vendra mieux sur une toile qu’en format « poster ». Or ce n’est pas le titulaire du droit d’auteur mais le propriétaire de l’affiche/toile qui va profiter de cette plus-value. La Cour de justice n’accepte pas cela et veut protéger l’auteur en lui permettant d’avoir son mot à dire, son autorisation à donner et donc de pouvoir faire valoir une force juridique qu’il pourra traduire économiquement.
Selon nous, l’arrêt UsedSoft est également guidé par un raisonnement économique : limiter la rémunération du titulaire du droit d’auteur à une « rémunération appropriée » (§63). D’où la nécessité de contraindre son droit à la première vente et non aux ventes ultérieures, afin de l’empêcher d’obtenir une nouvelle rémunération.
Les deux arrêts sont tout à fait conciliables : certes le titulaire du droit d’auteur doit recevoir une « rémunération appropriée » mais il ne s’agit pas de permettre à d’autres opérateurs économiques de bénéficier d’une plus-value non méritée sur l’œuvre.
2.2. Dans l’arrêt rendu par le tribunal de première instance de Bruxelles du 15 février 1996, la juridiction considérait déjà que le fait pour la défenderesse au principal d’avoir détaché des posters d’un album en vue de les vendre séparément constituait un nouveau bien. En ce sens, la jurisprudence européenne précitée va dans le même sens que la jurisprudence belge : une modification du « contenant » d’une œuvre provoque la naissance d’un nouveau bien.
2.3 Pour répondre précisément à cette question, nous décidons de comparer l’approche de common law et l’approche civiliste sur deux points : d’une part, la notion de reproduction et, d’autre part, les fondements des droits d’auteur. Il est incontestable qu’une relation de cause à effet existe entre ceux-ci. Conformément aux consignes, nous illustrons nos propos par l’arrêt Allposters de la Cour de justice de l’Union européenne (C.J.CE. (4ème ch.), Art & Allposters International BV c. Stichting Pictoright, n° C-419/13) et l’arrêt Théberge de la Cour suprême du Canada (Cour suprême du Canada, 28 mars 2002, Galeries d’art du Petit Champlain Inc c. Théberge, CSC 34 (QL)). En effet, les deux Cours ont rendu des décisions totalement différentes dans des cas d’espèce pourtant similaires. A noter que, dans son article, Daniel Gervais précise que l’arrêt rendu par la Cour suprême établit le fondement du droit d’auteur au Canada (p. 1 de « L’AFFAIRE THÉBERGE Par Daniel Gervais »). Cependant, ne perdons pas de vue la répartition des opinions des juges : seulement 4 juges ont formé la décision majoritaire, 3 ont été dissidents et 2 n’ont pas participé à la décision (p. 3). 1) Concernant la notion de reproduction La Cour suprême du Canada (ci-après « CSC ») précise que l’entoilage n’entraine pas la multiplication d’exemplaire. Autrement dit, au terme de ce procédé, le nombre net d’exemplaire n’augmente pas car, s’il y a bien création d’un entoilage, l’affiche de départ est détruite en raison du transfert d’encre (pp. 2, 6 et 8). Par conséquent, il n’y a pas de nouvelle reproduction de l’œuvre. Dans une telle perspective, la CSC considère que l’affiche reste une affiche après son entoilage : celui-ci est comparé à un simple encadrement de fond. A noter que, selon l’auteur et les opinions dissidentes, le nouvel entoilage obtenu constitue dans tous les cas la production d’un nouvel exemplaire (p. 8). Au terme de l’arrêt, la CSC conclut que « le propriétaire d’un exemplaire peut le transférer sur un support différent sans autorisation additionnelle, à condition que l’exemplaire de départ soit simultanément détruit pendant le processus de transfert » (p. 8). Néanmoins, comme le souligne l’auteur, la décision majoritaire stipule qu’il est possible qu’un changement de support dans le cadre d’un ensemble de modification importante puisse constituer une reproduction sous une nouvelle forme (p. 10). La notion de reproduction est donc floue (p. 10). De son côté, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») conclut dans un premier temps qu’ « [i]l convient (…) de constater que l’épuisement du droit de distribution s’applique à l’objet tangible dans lequel une œuvre protégée ou sa copie est incorporée si celui-ci a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit d’auteur » (§ 40 de l’arrêt). La CJUE donne raison au gouvernement français, lequel fait valoir « qu’un remplacement du support (…) a pour conséquence la création d’un nouvel objet incorporant l’image de l’œuvre protégée ». La CJUE considère donc que le droit d’épuisement porte sur l’objet tangible et non la création intellectuelle propre à l’auteur comme le prétend la partie défenderesse. Dans un second temps, la CJUE se demande si le fait que les affiches aient été entoilées constitue ou pas une modification du support matériel de l’objet pour lequel le titulaire des droits d’auteurs avait donné son consentement (§ 41). Sur ce point, la partie défenderesse prétend qu’il n’est pas question de reproduction en raison du fait que l’entoilage n’entraine aucune multiplication des copies de l’œuvre protégée. En effet, l’image de départ est transférée et ne figure plus sur l’image en papier (§ 44). Cependant, cette argumentation n’est pas retenue par la CJUE, qui conclut que l’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas à l’objet qui, après avoir été commercialisé dans l’Union avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support. Il importe donc de savoir si l’objet modifié est en soit matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire (§ 45). Nous pouvons donc conclure que la notion de reproduction est plus vaste en droit civil et permet incontestablement au titulaire d’avoir un droit de contrôle plus important quant à l’utilisation de son œuvre ou des copies de celle-ci, y compris en cas de modification du support. 2) Concernant les fondements du droit d’auteur Plus fondamentalement, la conception des droits d’auteur diverge entre l’esprit de la civil law et la common law. La CSC considère qu’« un contrôle excessif de la part des titulaires du droit d’auteur et d’autres formes de propriété intellectuelle pourraient restreindre indûment la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société, ou créer des obstacles d’ordre pratique à son utilisation légitime » (§ 32 de l’arrêt cité p. 11). En tenant de telles considérations, la CSC déclare que les utilisateurs ont, en plus des intérêts, des droits opposables à l’auteur et accorde plus d’importance aux droits économique qu’aux droits moraux. Notons que l’expression « droit d’auteur » est employée en civil law là où il s’agit de « copyright » en common law. M. le juge Binnie ajoute qu’«[h]istoriquement, la notion de copyright est liée aux droits économiques dans les systèmes de common law, alors que l’expression droit d’auteur est la vénérable expression française qui englobe tout un ensemble de droits comportant à la fois des aspects économiques et moraux. » (§ 62, cité p. 12). Le point de vue adopté par la CSC s’inscrit dans la conception américaine du droit d’auteur (Legitimate use/fair use, voy. p. 5) : le droit d’auteur ne confère pas un droit naturel à son titulaire mais est envisagé comme un contrat entre son auteur et la société (p. 5).
2.4. Il ressort d’une comparaison avec l’article 13 du Règlement 207/2009 un point commun avec les conditions de l’épuisement telle qu’établies dans l’arrêt Allposters : le second paragraphe de cette disposition prévoit une exception au cas où le produit est « modifié » ou « altéré », ce qui n’est pas sans rappeler la modification du « contenant » de l’œuvre, évoquée dans les lignes qui précèdent.

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Julie Martin Alejandra Michel et Lolita Tuteleers
Dans son arrêt Nintendo contre PcBox du 23 janvier 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété l’article 6 de la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur dans la société de l’information. Cette affaire opposait les entreprises Nintendo contre PC Box qui commercialisait, grâce à son site Internet, des “mod chips” et des “game copiers” permettant de contourner…
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Dans son arrêt Nintendo contre PcBox du 23 janvier 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété l’article 6 de la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur dans la société de l’information. Cette affaire opposait les entreprises Nintendo contre PC Box qui commercialisait, grâce à son site Internet, des “mod chips” et des “game copiers” permettant de contourner les mesures techniques prises par Nintendo pour protéger ses jeux sur console DS et Wii. En effet, une fois que l’utilisateur installe les produits offerts sur le site de PC Box sur sa console, cela lui permet de pouvoir utiliser des jeux contrefaisants, ce qui n’est normalement pas permis par le logiciel des consoles Nintendo qui possède un dispositif de reconnaissance. L’article 6 de la directive sur le droit d’auteur dans la société de l’information dispose qu’il faut prévoir une protection afin de lutter contre le contournement de toute mesure technique efficace. Se posait alors la question de savoir si les mesures techniques prises par les entreprises Nintendo pour protéger ses consoles et ses jeux remplissaient cette condition. La Cour considère qu’il ressort de la directive en question que, des mesures techniques portant et sur les consoles Nintendo elles-mêmes et sur les supports physiques des jeux ayant pour but d’empêcher les atteintes au droit d’auteur de Nintendo, sont comprises comme des “mesures techniques efficaces” étant donné que la directive interprète largement cette notion. De plus, dans cet arrêt, la Cour rappelle qu’une oeuvre comme un programme d’ordinateur peut être protégée par le droit d’auteur s’il s’agit d’une création intellectuelle propre à son auteur. Par après, elle définit le jeu vidéo en disant qu’il s’agit “d’un matériel complexe comprenant non seulement un programme d’ordinateur, mais également des éléments graphiques et sonores qui, bien qu’encodés dans le langage informatique, ont une valeur créatrice propre qui ne saurait être réduite audit encodage. Par conséquent, cela signifie que si les parties du jeux vidéos (graphismes, sons, etc.) donne à l’oeuvre son caractère original alors elles peuvent être protégées par le droit d’auteur ensemble avec l’oeuvre. Dès lors, cet arrêt Nintendo c. PcBox vient confirmer qu’il y a bien une lex specialis pour les logiciels de jeux.

Dans son récent arrêt du 5 mars 2015 opposant la Commission à la France, la Cour de justice aborde l’aspect fiscal de la fourniture de livres numériques. La Commission considérait que la France manquait à ses obligations de la directive 2006/112 relative à la taxe sur la valeur ajoutée car elle imposait un taux réduit de TVA pour la vente de livres électroniques car l’article 98 de cette directive prévoit que “les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique”. En France, les livres “version papier” étaient taxés au taux le plus élevé tandis que les ebooks bénéficiaient d’un taux réduit, alors qu’en soi, bien que les supports soient différents, il s’agit du même contenu. Dans cet arrêt, la Cour a donné raison à la Commission en considérant que l’application d’un taux réduit pour la fourniture de livres numériques était contraire à la directive relative à la taxe sur la valeur ajoutée. Outre l’aspect fiscal, cet arrêt est également intéressant pour la question de l’épuisement numérique car il permet d’appréhender une opposition entre support papier et support électronique. Déjà avant que la Cour de justice ne rende cet arrêt, les éditeurs français ont fait entendre leur voix en prônant “un livre est un livre”. En effet, selon ces derniers il n’y aurait pas lieu de faire de différence entre un livre “imprimé” et un ebook car, bien que les supports soient différents (un support physique et un support électronique), il s’agit du même contenu (1). Par conséquent, nous pouvons ici faire un parallèle avec l’arrêt UsedSoft. Dans cet arrêt, la Cour de justice indique qu’il convient encore d’ajouter que, d’un point de vue économique, la vente d’un programme d’ordinateur sur CD-ROM ou DVD et la vente d’un programme d’ordinateur par téléchargement au moyen d’Internet sont similaires. En effet, le mode de transmission en ligne est l’équivalent fonctionnel de la remise d’un support matériel”. De ce fait, la Cour de justice ne fait pas de différence entre le support physique d’un logiciel (CD-ROM ou DVD) avec le support numérique du logiciel (lien de téléchargement en ligne) tout comme elle ne fait pas non plus de différence, dans l’arrêt Commission contre France, entre un livre en support physique (livre version papier) et un livre en support numérique (ebook).

(1) http://www.lettresnumeriques.be/2015/03/13/livre-imprime-livre-numerique-un-taux-de-tva-qui-tranche-en-2015/

L’arrêt rendu par la Cour de justice le 22 janvier 2015 oppose Art&Allposters à Pictoright, une société dont l’activité est de protéger les intérêts des titulaires du droit d’auteur qui lui sont affiliés. La Cour doit répondre à la question de savoir si le droit de distribution est épuisé lorsqu’une reproduction est vendue dans l’EEE avec le consentement du titulaire du droit d’auteur et que par la suite elle a subi « une modification quant à sa forme et est à nouveau mise dans le commerce sous cette forme ».

Le litige opposant les deux sociétés concerne des peintures sur toile commercialisées par Art&Allposters. A partir d’affiches obtenues lors d’une première vente avec Pictoright et grâce à une technique appellée « transfert sur toile », Art&Allposters transfère l’image de l’œuvre de l’affiche sur la toile de peintre. Au terme du processus, l’image a totalement disparu de l’affiche pour être « transférée » sur la toile. Pictoright s’est opposé à la vente de des tableaux au motif que les titulaires du droit d’auteur n’avaient pas donné leur accord afin qu’Art&Allposter puisse procéder à un tel transfert. Pourtant, cette dernière estime qu’il y a épuisement du droit de distribution au sens de l’article 4, paragraphe 2 de la directive 2001/29.

Dans un premier temps, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si « l’épuisement du droit de distribution couvre l’objet tangible dans lequel une œuvre ou sa copie est incorporée ou la création intellectuelle propre à l’auteur». La Cour, après avoir interprété les termes « biens matériel » et « cet objet » contenus dans la directive au considérant 28 et à l’article 4 paragraphe 2, constate que « l’épuisement du droit de distribution s’applique à l’objet tangible dans lequel une œuvre protégée ou sa copie est incorporée si celui-ci a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit d’auteur. »

Dans un deuxième temps, la Cour examine si le fait de modifier le support matériel d’un objet qui a été commercialisé avec le consentement du titulaire du droit a une incidence sur l’épuisement du droit de distribution. Selon la Cour, une telle modification de l’objet dans laquelle l’œuvre est incorporée et qui augmente la qualité et la durabilité du support de telle sorte que la copie se rapproche nettement plus de l’original de l’œuvre peut constituer « une nouvelle reproduction au sens de la directive 2001/29 qui relève du droit exclusif de l’auteur et qui nécessite son autorisation ». Ainsi, la Cour se prononce en défaveur de la règle de l’épuisement en énoncant que le droit de distribution d’un objet modifié après sa commercialisation ne sera épuisé qu’à la suite de la première vente ou du premier transfert de propriété de ce nouvel objet avec le consentement du titulaire du droit d’auteur.

La Cour motive ensuite sa décision par des considérations économiques. Son interprétation serait confortée par l’objectif principal de la directive 2001/29 qui est celui d’instaurer une protection, entre autre, en faveur des auteurs. En effet, la valeur économique des toiles créés par Art&Allposters dépasse de manière significative celle des affiches qu’elle avait achetées à Pictoright. Selon la Cour, appliquer la règle de l’épuisement priverait les titulaire du droit d’auteur « de la possibilité d’interdire la distribution de ces objets ou, en cas de distribution, d’exiger une rémunération appropriée pour l’exploitation commerciale de leurs œuvres ». Les titulaires de droit d’auteurs affiliés chez Copyright n’ayant pas expressément donné leur consentement à la distribution des transferts sur toile, la règle de l’épuisement du droit de distribution ne peut s’appliquer selon la Cour de Justice.

Est-ce que l’arrêt Art&Allposter peut-il être interprété au delà du cas de figure qu’il vise et notamment au regard de la problématique de la distribution en ligne ? Dans un autre arrêt (Usedsoft) rendu précédemment par la Cour en 2012, celle-ci avait pourtant rendu une décision tout à fait opposée concernant l’épuisement pour la distribution numérique puisqu’elle avait tranché en faveur de la règle de l’épuisement lorsqu’il y avait mise à disposition d’un logiciel depuis un serveur (support numérique).

Dans l’arrêt UsedSoft il s’agit d’un litige dans lequel Oracle distribue des copies d’un programme d’ordinateur par le biais d’un téléchargement internet. Cette distribution est accompagnée d’un contrat de licence permettant l’utilisation de ce programme par les clients d’Oracle. De plus il prévoit également la possibilité d’octroyer des licences groupées de 25 personnes. Une des questions préjudicielles posée à la Cour concernait le fait de savoir si « le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est-il épuisé, au sens du premier membre de phrase de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, lorsque l’acquéreur a réalisé la copie, avec l’autorisation du titulaire du droit, en téléchargeant le programme sur un support informatique au moyen d’Internet? ». Pour répondre à cette question la Cour motive sa décision, notamment, par des considérations économiques. En effet, selon la Cour, « d’un point de vue économique, la vente d’un programme d’ordinateur sur CD-ROM ou DVD et la vente d’un programme d’ordinateur par téléchargement au moyen d’Internet sont similaires. En effet, le mode de transmission en ligne est l’équivalent fonctionnel de la remise d’un support matériel ». Plus loin elle précise encore que « Limiter, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’application du principe de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 aux seules copies de programmes d’ordinateur vendues sur un support matériel permettrait au titulaire du droit d’auteur de contrôler la revente des copies qui ont été téléchargées au moyen d’Internet et d’exiger, à l’occasion de chaque revente, une nouvelle rémunération alors que la première vente de la copie concernée aurait déjà permis audit titulaire d’obtenir une rémunération appropriée. Une telle restriction à la revente des copies de programmes d’ordinateur téléchargées au moyen d’Internet irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver l’objet spécifique de la propriété intellectuelle en cause ».
Dans cet arrêt la Cour est en faveur de l’épuisement du droit de distribution du titulaire du droit d’auteur sous certaines conditions. Cet épuisement prévu à l’article 4, paragraphe 2 de la directive 2009/24 s’applique qu’il s’agisse de copies matérielles ou immatérielles (téléchargées sur internet) d’un programme d’ordinateur. Pour que le droit de distribution soit épuisé il faut, néanmoins, que le titulaire du droit d’auteur ait autorisé, de manière payante ou gratuite, le téléchargement via internet de la copie du programme afin de le conserver sur un support informatique et que par la même occasion il ait octroyé un droit d’usage de la copie de manière illimité dans le temps et ce moyennant une rémunération équivalent à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire. On peut donc conclure que selon la Cour il n’y a pas de spécificité du « numérique » par rapport au « physique » concernant la règle de l’épuisement.

Finalement, peut-on réconcilier UsedSoft et Art&Allposter ? En transposant la décision Art&Allposter à la distribution numérique, il convient de constater que son interprétation ferait obstacle à la règle de l’épuisement. Pour rappel, la Cour dans son arrêt Art&Allposter avait conclu que « l’épuisement du droit de distribution s’applique à l’objet tangible dans lequel une œuvre protégée ou sa copie est incorporée si celui-ci a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit d’auteur. » Hors, un support numérique n’est pas un objet tangible. Bien que l’arrêt Usedsoft ait penché en faveur de la règle de l’épuisement à travers son interprétation par analogie et le principe de l’équivalence fonctionnelle entre support physique et support numérique, l’interprétation de l’arrêt Art&Allposter impose une forte limite à cette analogie.

L’arrêt Art&Allposter confirme également la jurisprudence Poortvliet du Hoge Raad hollandais du 19 janvier 11979. Celle-ci a été invoquée par la Cour d’appel néérlandaise dans le cadre de l’affaire Art&Allposter pour justifier sa décision selon laquelle « la vente d’une affiche ou d’une toile qui reproduit une œuvre artistique constituait une divulgation au sens du droit néerlandais (…)». Selon le Hoge Raad, il y a une nouvelle divulgation, au sens de l’article 12 de la loi sur le droit d’auteur, « lorsque l’exemplaire d’une œuvre mis dans le commerce par le titulaire du droit est distribué au public sous une autre forme, dans la mesure où celui qui commercialise cette nouvelle forme de cet exemplaire dispose de nouvelles possibilités d’exploitation ». De la sorte, la règle de l’épuisement ne peut s’appliquer si l’auteur n’a pas donné son consentement à la modification de son œuvre et à sa mise sur le marché.

L’arrêt Poortvliet est-il conforme à la jurisprudence belge ? En Belgique, le tribunal civil de Bruxelles a rendu l’arrêt Moulinsart c. Pt Prod le 15 février 1996. Dans cette affaire, il était reproché entre autre à la défenderesse de s’être livrée à des usages abusifs de reproductions autorisées de l’œuvre d’Hergé. En effet, la défenderesse avait acquis les différents albums de Tintin qui comprenaient chacun un poster. Elle avait détaché et encadré chacun de ces posters pour les revendre ensuite. Pourtant, l’auteur n’avair pas donné son consentement à ce que ceux-ci soient revendus séparément. Le tribunal en a conclu que de cette manière, la défenderesse avait créé des objets distincts et qu’elle n’avait pas respecté la destination donnée par l’auteur à son œuvre. De plus, la demanderesse ne pouvait pas se prévaloir de la règle de l’épuisement puisque l’auteur n’avait pas donné son consentement à ce qu’il soit possible de procéder à une vente séparée de son œuvre. Ainsi, la jurisprudence Poortvliet est conforme à la jurisrpudence belge.

Julie Martin, Alejandra Michel & Lolita Tuteleers

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Thirion Valentin
1) S’agissant de l’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques ? Concernant l’épuisement numérique, il convient tout d’abord de préciser que deux approches différentes ont été défendues. En Amérique, la District Court de New York a connu l’affaire ReDigi. Dans cette dernière, la société ReDigi affirmait, en raison de la règle du first sale, qu’une fois qu’un…
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1) S’agissant de l’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques ?

Concernant l’épuisement numérique, il convient tout d’abord de préciser que deux approches différentes ont été défendues.

En Amérique, la District Court de New York a connu l’affaire ReDigi. Dans cette dernière, la société ReDigi affirmait, en raison de la règle du first sale, qu’une fois qu’un objet culturel est vendu certains droits s’éteignent ce qui permettrait à son acheteur de le revendre, le donner, le léguer sans que le titulaire du droit ne puisse s’y opposer. Cependant la Cour affirma une théorie selon laquelle il n’y a pas de vente dans le monde du téléchargement, seulement des contrats de locations de licence d’utilisation. La Cour américaine conclu à la non application de la règle du first sale.

En Europe, un point de vue différent a été défendu lors de l’affaire UsedSoft. Dans celle-ci, la Cour a assimilé la licence d’usage octroyé par Oracle à une véritable vente. Cette opération impliquerait donc un transfert, au client, du droit de propriété de la copie du programme d’ordinateur concerné. La Cour a conclu contrairement à l’affaire américaine en faveur de la règle d’épuisement. Dès lors, il n’est pas possible pour Oracle de s’opposer à une revente de logiciels acquis par un intermédiaire.

Dans l’arrêt UsedSoft la Cour précise à maintes reprises que la directive 2009/24 est une lex specialis par rapport à la directive 2001/29. Concernant la règle de l’épuisement en matière de logiciels, l’article 4§2 de la directive 2009/24 prévoit que « la première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui-ci ».

La Cour affirme que la directive 2001/29 s’applique « spécifiquement à la protection juridique des programmes d’ordinateur. » (§46) L’interprétation donnée par la Cour affirme donc l’idée qu’il existerait une lex specialis pour les logiciels qui diffère de la lex generis en matière d’épuisement numérique. Il s’agit de faire une interprétation littérale de la décisin de la Cour, c’est un argument de texte. On peut raisonnablement penser que la Cour, en utilisant ces mots, a tout bonnement souhaité restraindre la portée de sa décision aux seuls logiciels.

Dès lors, j’estime qu’il ne faut pas étendre la portée de la jurisprudence UsedSoft à d’autres fichiers numériques.

L’arrêt récent rendu par la CJUE concernant Nintendo c. PC Box confirme mon opinion. En effet, la Cour affirme au paragraphe 23 que « la directive 2009/24 constitue une lex specialis par rapport à la directive 2001/29. En effet, conformément à son article 1er, paragraphe 1, la protection offerte par la directive 2009/24 se limite aux programmes d’ordinateur. Or, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, les jeux vidéo, tels que ceux en cause au principal, constituent un matériel complexe comprenant non seulement un programme d’ordinateur, mais également des éléments graphiques et sonores qui, bien qu’encodés dans le langage informatique, ont une valeur créatrice propre qui ne saurait être réduite audit encodage. Dans la mesure où les parties d’un jeu vidéo, en l’occurrence ces éléments graphiques et sonores, participent à l’originalité de l’œuvre, elles sont protégées, ensemble avec l’œuvre entière, par le droit d’auteur dans le cadre du régime instauré par la directive 2001/29 ».

2) S’agissant de l’épuisement “physique”:

– Pensez-vous que des considérations économiques motivent l’arrêt Allposters ?

Concernant l’arrêt Art & Allposters, il paraît évident que la Cour se base sur des considérations économiques lors de la motivation de sa décision.

La Cour dit pour droit que “la règle d’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas dans une situation où une reproduction d’une oeuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support, tel que le transfert sur une toile de cette reproduction figurant sur une affiche en papier, et est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme”. (§49)

Afin de soutenir sa décision, la Cour se base notamment sur les considérants 9 et 10 de la directive 2001/29.

Le considérant 9 prévoit un niveau de protection élevé en matière de droit d’auteur. Plus fondamentalement encore, le considérant 10 énonce que “les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération approppriée pour l’utilisation de leurs oeuvres”. (§47)

C’est ainsi que la Cour considère qu’ “appliquer la règle de l’épuisement du droit de distribution priverait ces titulaire de la possibilité d’interdire la distribution de ces objets ou , en cas de distribution, d’exiger une rémunération appropriée pour l’exploitation commerciale de leurs oeuvres”. (§48)

En effet, cela paraît logique étant donné que la Cour considère qu’il y a eu une nouvelle reproduction de l’oeuvre par la firme Allposters et qu’aucun consentements des titulaires de droits d’auteurs n’a été établit s’agissant de la distribution des transferts sur toile.

Selon mon opinion personnelle, je soutiens la position de la Cour car cela mettrait en péril le marché des oeuvres d’arts. En effet, je pense qu’un grand nombre d’amateur d’art ne serait plus amateur d’acquérir l’original de l’oeuvre étant donné qu’elle risque de se détériorer plus facilement et qui est d’une valeur économique nettement supérieur à celle des affiches. Alors que, la société Allposters permet d’obtenir (non une copie de l’oeuvre puisque cette dernière permet une longétivité plus grande, à un rendu des couleurs plus nette, etc.) une oeuvre quasi identique à moindre coût et sans même devoir payer les titulaires du droits d’auteur sur cette toile.

-L’arrêt Allposters vient apparemment confirmer la jusrisprudence Poortvliet du Hoge Raad hollandais. Est-ce qu’il est aussi conforme à la jurisprudence belge ?

En effet, il convient d’affirmer que l’arrêt Allposters confirme la jurisprudence Poortvliet. Selon cette jurisprudence il y a une nouvelle divulgation lorsque l’exemplaire d’une oeuvre mis dans le commerce par le titulaire du droit est distribué au public sous une autre forme, dans la mesure où celui qui commercialise cette nouvelle forme de cet exemplaire dispose de nouvelles possibilités d’exploitation.
L’arrêt Allposters est conforme à la jurisprudence belge. Ainsi, le tribunal civil de Bruxelles considère dans un arrêt de 1996 que sont considérés comme des objets contrefaits le fait d’avoir édité et vendu des reproductions (posters et cartes postales) de l’adaptation de l’oeuvre d’Hergé, sans autorisations.

Cependant, il y a tout de même des différences dans l’arrêt Allposters et l’arrêt rendu par le tribunal de Bruxellles. En effet, ce dernier considère que les posters et cartes postales, malgré le fait qu’il soient modifiées, empruntent trop d’éléments de l’oeuvre originale et dès lors crée une confusion pour le public. De ce fait le tribunal conclu à l’absence d’originalité des oeuvres litigieuses.

Alors que concernant l’arrêt Allposters, la Cour va considérer qu’il y a bien une originalité des oeuvres litigieuses. Ainsi la Cour dit pour droit “qu’un remplacement du support, tel qu’effectué dans l’affaire au pricnipal, a pour conséquence la création d’un nouvel objet incorporant l’image de l’oeuvre protégée”.

Cependant, il ne s’agit que d’une considération de fait. En effet, dans l’arrêt Allposters la Cour dit pour droit que “ce qui importe est de savoir si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit”. (§45)

– Y a t-il une approche différente de la règle de l’épuisement selon le droit issu de la common law et le droit civiliste ?

Le droit de common law et le droit civiliste se ressemblent sur de nombreux points mais ne coincïde pas. Ainsi, en matière de droits des obligations, le droit de common law connait les vitiating factors qui sont le pendant de nos vices du consentement (misrepresentation-dol, mistake-erreur, duress-violence). Cependant, il faut garder à l’esprit que même si certaines notions se rapprochent de celles issues du droit civilistes, il y a de nettes différences entre ces dernières; dès lors on se trouve face à de nombreux “faux-amis”.

Depuis toujours, le droit de common law se distingue de l’approche civiliste que nous connaissons en europe. Cela se marque dans de nombreux domaines. Le plus bel exemple concerne certainement la règle du précédent. De façon un peu caricaturale, cette règle impose au juge de common law de baser leurs décisions sur les décisions antérieurs similaires qu’ils ont déjà eu a traiter.

Cette différence entre les 2 mode de pensées du droit ne dérogent pas concernant les droits intellectuels. Malgré l’adoption de conventions internationales, comme la Convention de Berne de 1886, il n’y a pas d’harmonisation complète. Cette différence se marque davantage entre les pays de common law et les pays de droit civil.

Dans l’affaire Allposters, la Cour considère que “la règle d’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas dans une situation où une reproduction d’une oeuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support, tel que le transfert sur une toile de cette reproduction figurant sur une affiche en papier, et est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme”. (§49) De ce fait elle conclu en faveur des ayants droits. Cette position est celle soutenue par les pays civilistes.

S’agissant des pays de common law, on peut considérer au regard de la jurisprudence qu’ils ont une vision différente de celle adoptée par la CJUE.

Ainsi, cette différence se marqua notamment lors de l’arrêt Théberge rendue au Canada. Les faits sont similaires à ceux de l’arrêt Allposters étant donné qu’il s’agit d’un procédé d’entoilage. La Cour du Canada considère qu’il y a un conflit entre le titulaire du droit d’auteur et le propriétaire de l’exemplaire. La Cour relève à cet égard que les propriétaires d’exemplaires ont non seulement des intérêts mais des droits opposables à l’auteur de l’oeuvre.

Ainsi, la Cour considère que le propriétaire d’un exemplaire peut le transférer sur un support différent sans autorisation additionnelle, à condition que l’exemplaire de départ soit simultanément détruit pendant le processus de transfert.

Le juge Binnie affirmera que “le droit de destination conféré aux titulaires des droits d’auteurs s’applique dans les pays de tradition civilistes mais que sous le régime de notre Loi, le droit de destination n’existe pas en soi”. C’est ainsi que l’approche de la common law se distingue de celle retenue par la CJUE étant donné qu’elle considère que le changement de support ne peut être contrôlé par l’entremise du droit d’auteur.

– Faire une comparaison entre la règle d’épuisement en matière de marques et les conditions de l’épuisement selon l’arrêt Allposters.

L’article 13 du Règlement 207/2009 prévoit que :
1. Le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.
2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce.

Il ressort de cet article que le droit de marque est épuisé lorsque les produits ont été mis dans le commerce ”dans la Communauté” sous cette marque. A contrario, on peut affimer qu’il n’y a pas épuisement du droit à la marque lorsque le produit marqué a été mis sur le marché en dehors de la Communauté ou de l’E.E.E. Dans ce cas, le titulaire de la marque est en droit de s’opposer aux importations de son produit.

S’agissant de l’arrêt Allposters, la Cour indique que « l’épuisement du droit de distribution est subordonné à une double condition, à savoir, d’une part, que l’original d’une œuvre ou les copies de celle-ci aient été mis dans le commerce par le titulaire ou avec son consentement et, d’autre part, que cette commercialisation ait eu lieu dans l’Union ». (§31)

Comme on peut le remarquer, l’arrêt Allposters s’aligne sur les conditions prévues par l’article 13 du Règlement 207/2009.

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Eléonore Roberti
Après lecture de deux arrêts importants, de la Cour de justice concernant l’épuisement, UsedSoft et Allposters, il convient de se poser quelques questions, vu la différence de position présentée dans ces arrêts. L’arrêt UsedSoft de la Cour de justice de l’UE pose comme règle qu’un contrat de licence d’usage de logiciel peut tout de même être considéré comme une “vente”…
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Après lecture de deux arrêts importants, de la Cour de justice concernant l’épuisement, UsedSoft et Allposters, il convient de se poser quelques questions, vu la différence de position présentée dans ces arrêts.
L’arrêt UsedSoft de la Cour de justice de l’UE pose comme règle qu’un contrat de licence d’usage de logiciel peut tout de même être considéré comme une “vente” au sens l’article 4 (2) de la Directive 2009/24, et ce à certaines conditions. Ainsi, la distribution initiale d’un logiciel, qu’elle soit en ligne ou via un support, est une “première vente” qui déclenche l’épuisement du droit de distribuer le logiciel dans l’Espace Economique Européen (EEE). Voilà la règle
développée par l’arrêt UsedSoft.

– Mais cette règle peut elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, tels des fichiers musicaux ou texte ? Voilà la première question qui va être développée.

Dans l’arrêt Nintendo c. PcBox, la première entreprise développe des consoles de jeux compatibles seulement avec ses propres programmes, mais observe l’existence d’un équipement proposé par PcBox, permettant de contourner la protection du système Nintendo. Nontendo dépose de ce fait une plainte devant le Tribunal de Milan, qui pose alors deux questions à la Cour de Justice. La cour y répond en disant que la Directive 2001/29 doit être interprétée comme disant que le concept de « mesure technologique effective » peut couvrir des mesures technologiques comprises dans le système intégrant le travail protégé, tel un jeu vidéo, mais aussi dans les équipements portable et les consoles conçues pour l’utilisation de ces jeux. On en déduit donc que la cour étend la protection, contre la règle de l’épuisement.

Dans l’arrêt Commission Européenne c. République française, la commission demande à la Cour de constater que la France ne pouvait pas appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques ou électroniques, car c’est contraire à la directive TVA. En effet, contrairement à ce que fait valoir la République française, la fourniture de livres électroniques ne saurait être considérée comme étant une «livraison de biens», au sens de cette dernière disposition, à défaut pour le livre électronique de pouvoir être qualifié de bien corporel. Et la Cour confirme cet argument de la Commission et considère que la République Française a manqué à ses obligations en établissant ce taux réduit de TVA. De ce fait, la Cour semble également étendre la protection, contre l’épuisement.

– L’épuisement numérique ayant été abordé, penchons nous maintenant sur l’épuisement physique, au sujet duquel l’arrêt Allposters amène beaucoup de questions.

Dans l’arrêt UsedSoft il était considéré qu’un contrat de licence d’usage de logiciel peut néanmoins être considéré comme une “vente”, dès lors que (i) l’usage du logiciel n’est pas limité dans le temps et que (ii) il y a eu paiement d’un prix correspondant à la valeur économique de la copie obtenue. On voit donc qu’en terme de numérique, le fait d’être payé une fois est un élément important pour justifier un épuisement. Notons par contre que pour les œuvres autres que les logiciels, la Directive 2001/29 exclut l’épuisement numérique.

Alors que dans l’arrêt Allposters, c’est plutôt une position opposé à l’épuisement qui est développée. L’arrêt nous apprend en effet que pour savoir si il y a épuisement, il faut voir si “si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit” (§45). Et ce n’est pas le cas dans l’affaire, le droit de distribution n’étant pas épuisé par cette reproduction vendue dans l’EEE et ayant subi une modification quant à sa forme, puis à nouveau mise dans le commerce sous cette forme. Donc il n’y a pas épuisement. La Directive aurait donc pour but, selon la Cour, de garantir aux auteurs un droit de vérifier ”chaque objet tangible qui incorpore leur création intellectuelle ». On conclu donc, à la lecture de cet arrêt, à un renforcement des droits d’auteur lorsque le support physique est modifié ! Il faut dire que cela permet à l’auteur de continuer à percevoir des droits, même sur ces œuvres dérivées de sa production initiale. On peut donc dire que c’est positif économiquement, même si cela l’est moins du point de vue du domaine public et artistique.

On remarque donc une contrariété entre ces deux arrêts, l’un penchant en faveur de l’épuisement, et l’autre en sa défaveur. Mais il faut noter que ces deux positions concernent des objets différents : d’un coté le numérique, et de l’autre les objets physiques. On peut donc se demander si des spécificités propres à ces objets justifient ces raisonnements opposés.

Il faut savoir que les logiciels ont connu des évolutions et des changements d’approches, qui pourraient justifier qu’on les traite différemment. En effet, historiquement, leur moyen de protection a évolué, allant du contrat et du secret vers le brevet et le droit d’auteur. La protection par le droit sui-generis des semi-conducteurs est également d’application. De plus, il se pose d’autres questions par rapport aux logiciels, prouvant qu’on les aborde différemment. Ainsi, la Cour de justice considère que l’on peut protéger l’interface graphique d’un logiciel comme une œuvre mais non pas comme un logiciel (BeSoft). On voit donc que en cette matière, la Cour développe des interprétations autonomes, s’adaptant aux caractéristiques de cet outil. Cela peut expliquer ces positions différentes entre l’arrêt UsedSoft et Allposters pour la question de
l’épuisement, vu la spécificité du numérique par rapport au physique.

– Demandons nous maintenant si l’arrêt Allposters est conforme à la jurisprudence belge.

On peut répondre à cette question par l’affirmative. En effet, dans l’arrêt Moulinsart c. PT Prod, les demandeurs reprochent à PT Prod d’avoir « édité et vendu des reproductions, posters et cartes postales, constituant une adaptation de l’œuvre d’Hergé, sans autorisation ». Le défendeur répond que l’article 22 de la loi du 30 juin 1994 empêche l’auteur d’interdire « la parodie ou le pastiche, compte tenu des usages honnêtes ». De plus la défenderesse n’a pas respecté la destination donné à l’œuvre par Hergé, en détachant les différents posters contenus dans des albums spécifiques et en les vendant séparément et encadré. Moulinsart dit donc qu’il y a un usage abusif de reproduction autorisée. Et la Cour énonce alors qu’il « est indiscutable qu’ils empruntent à l’œuvre d’Hergé un trop grand nombre d’éléments apparents pour ne pas entrainer la confusion avec celle-ci », et « qu’en détachant les différents posters pour les vendre séparément, la défenderesse à non seulement créé des objets distincts, qu’elle n’a pas respecté la destination donnée à son œuvre par l’auteur, telle d’ailleurs qu’elle s’imposait à la cessionnaire, la s.a. Casterman ». Par cela, la cour confirme qu’il y a un usage abusif du droit de reproduction, et que ces cartes postales et posters doivent donc être détruite. Cela rejoint l’arrêt Art & Allposters. En effet, les droits de l’auteur sont renforcés lorsque le support physique est modifié, ce qui est le cas dans cet arrêt Moulinsart. Ainsi, le droit de distribution n’est pas épuisé par cette reproduction où l’objet est modifié, et donc il n’y a pas épuisement.

– Pour revenir à l’arrêt Art & Allposters, on observe des positions différentes de la France et du Royaume-Unis sur la question de l’épuisement. Cela traduit bien entendu des visions différentes de droit d’auteur…

La vision du droit d’auteur en France et au Royaume-Unis est différente, ne fus-ce que déjà au stade du fondement, de la philosophie du droit. Le droit d’auteur français protège celui qui a créé l’œuvre, celui qui l’a pensé. Alors que au Royaume-Unis, le droit d’auteur (copyright) a plutôt une fonction utilitariste, protégeant celui qui prend un risque économique en finançant la production. Ainsi, dans l’analyse faite par le professeur D. Gervais de l’arrêt Théberge, il explique qu’historiquement, « la notion de copyright (droit d’auteur) est liée aux droits économiques dans les systèmes de common law, alors que l’expression droit d’auteur est la vénérable expression française qui englobe tout un ensemble de droits comportant à la fois des aspects économiques et moraux. ».
Une autre divergence est que le droit américain, et donc anglo-saxon comme au Royaume-Unis, n’interdit pas la modification de l’œuvre sans l’accord de l’auteur ou de ses héritiers. Alors que en France, la cour de Cassation a estimé qu’aucune atteinte ne peut être faite à l’intégrité d’une œuvre, l’auteur et ses héritiers restant les seuls à décider de l’avenir de l’œuvre.

Il y a donc bien une différence entre l’approche du Common Law et l’approche civiliste. Et la Cour suprême canadienne semble chercher à définir le droit d’auteur, à en orienter le sens. Et elle se dirige plutôt vers une conception ralliant le Common Law. Le professeur D. Gervais dit ainsi que « le droit canadien est donc un droit de common law à part entière, même s’il n’est pas (encore) exclu que, pour interpréter la violation du droit moral, la Cour suprême accepte d’avoir recours aux sources civilistes, puisqu’elle reconnaît que c’est là la vénérable origine du droit ».

On peut imaginer, à la lecture d’extraits, que la volonté majoritaire est de restreindre les droits d’auteurs quand ils sont trop exclusifs. Il y a une différence de perception de volonté par rapport au droit français, encore très protecteur des droits d’auteurs, parfois au détriment du domaine public, et justifiant dès lors de plaider contre l’épuisement.

– Pour conclure cette analyse des droits d’auteurs, et des comparaisons étatiques à ce sujet, comparons l’article 13 du Règlement 207/2009 et les conditions de l’épuisement présentées dans l’arrêt Allposters.

Cet article 13 énonce que le titulaire d’une marque communautaire ne peut pas interdire son usage pour des produits mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement. Cette règle n’étant pas applicable quand il existe des motifs légitimes de s’opposer à cette mise dans le commerce dans la Communauté, tel l’altération des produits.

L’arrêt Allposters énonce quant à lui que pour vérifier si il y a épuisement, « il faut vérifier si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit” (§45). Si ce n’est pas le cas, il n’y a pas épuisement. Ce qui n’était pas le cas dans cette affaire, vu la modification trop importante de l’affiche originale.

L’article 13 semble donc être plus exigeant quant aux situations où il n’y a pas épuisement. Il faut en effet un motif légitime. Alors que dans l’arrêt Allposter, il suffit que l’objet modifié ne soit pas matériellement celui mit sur le marché avec le consentement du titulaire du droit. Même si une ressemblance entre ces conditions est évidente, l’arrêt Allposter semble plus laxiste. En effet, est-ce que un transfert sur une toile permettrait de contrer l’épuisement selon l’article 13 du Règlement ? Rien n’est moins sur. D’autant plus que une des fonctions importantes sera quand même remplie dans ce cas : rémunérer l’auteur.

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Ghenne Hugues
2.1. A nos yeux, l’arrêt Allposters paraît en effet être motivé par des considérations économiques favorables à la position des auteurs ou des sociétés impliquées : la Cour de justice, en excluant l’application des droits dans l’hypothèse où « une reproduction d’une œuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi…
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2.1. A nos yeux, l’arrêt Allposters paraît en effet être motivé par des considérations économiques favorables à la position des auteurs ou des sociétés impliquées : la Cour de justice, en excluant l’application des droits dans l’hypothèse où « une reproduction d’une œuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support, tel que le transfert sur une toile de cette reproduction figurant sur une affiche en papier, et est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme », semble avoir été attentive au besoin d’assurer une protection accrue en pareil cas.

Les titulaires de droits d’auteur sont donc, en un sens, avantagé, car susceptibles de revendiquer un droit plus vaste et étendu. Conséquence immédiate, le droit de propriété des éventuels acquéreurs d’une œuvre protégée, dès lors qu’ils ne pourront en disposer de la manière qu’ils l’entendent, se voit altéré.

Inversement, l’arrêt UsedSoft paraît défavoriser le droit des titulaires du droit d’auteur en renforçant le droit de propriété des acquéreurs futurs et ce à deux conditions :

– L’usage du logiciel n’est pas limité dans le temps ;

– Le paiement d’un prix correspondant à la valeur économique de la copie obtenue.

La réconciliation de ces deux jurisprudences semble donc malaisée pour deux raisons :

– Si l’arrêt Allposters se voyait être appliqué au format numérique, il pourrait être enclin à faire de l’ombre et à affecter le monde de la seconde-main dans le secteur des logiciels;

– De plus, le marché de la seconde main se verrait également affecté par l’application de l’arrêt Allposters car selon ce dernier, le transfert aboutissant à une nouvelle copie de l’œuvre constitue – même si l’original est détruit au cours du transfert – une nouvelle reproduction illicite.

Les titulaires du droit d’auteur semble donc en meilleure position en cas d’œuvre physique que numérique. La raison à cela semble être la durée de vie de ce dernier : si l’arrêt Allposters trouvait à s’appliquer en matière d’épuisement numérique, cela aboutirait vraisemblablement à un maintien des droits du titulaire pendant une durée illimitée.

2.2. La Cour, dans son arrêt Allposters, ont assortis l’application de l’épuisement des droits du titulaires à deux « conditions » essentielles :

– L’application n’est envisageable que dans l’hypothèse d’objets tangibles mis sur le commerce avec le consentement du titulaire ;

– La modification du support original de l’œuvre, dans l’optique de la reproduire sur un autre – et cela même si l’opération détruit la première – constitue une reproduction de l’œuvre.

Dès lors, ne pouvait être appliqué au cas d’espèce l’épuisement du droit de Pictoright car le processus consistant a reproduire un poster sur une toile – engendrant la destruction du premier – constitue, selon l’interprétation de la Cour, une nouvelle reproduction.

Le Hoge Raad hollandais avait aboutit à une décision semblable : dès le moment que le changement de support initial emporte de nouvelles voies d’exploitation de l’œuvre, le Hoge Raad a stipulé que ce procédé pouvait s’interpréter comme étant une nouvelle divulgation de l’œuvre (au sens de l’article 12 de la loi applicable aux Pays-Bas). Les jurisprudences européennes et néerlandaises semblent donc concordantes en la matière et la première semble donc confirmer ce que prononce la seconde.

Il semble en aller de même pour notre jurisprudence nationale : la société de gestion des droits Moulinsart avait autorisé la société d’édition « Casterman » à mettre en vente des vignettes tirées d’albums d’Hergé, dont le but était de les rassembler dans des albums « posters ». Une personne décida, après être entrée en possession desdits albums, de séparer les posters des albums et de vendre les premiers séparément et insérés dans un cadre : le tribunal semble voir cette opération d’un mauvais œil et considère qu’il s’agit, en l’espèce, d’un usage abusif de reproductions autorisées (nous ne revenons pas sur la notion d’épuisement).

Selon les termes du tribunal : « en détachant les différents posters contenus dans l’album, destinés à être vendus ensemble au consommateur, la défenderesse a non seulement créé des objets distincts mais n’a pas non plus respecté la destination donnée à son œuvre par l’auteur, telle d’ailleurs qu’elle s’imposait a la société cessionnaire Casterman ». La jurisprudence belge semble donc suivre la jurisprudence européenne et hollandaise en l’espèce.

2.3. Les approches civilistes et celles de common law concernant le droit d’auteur ne datent pas d’hier et se font sentir jusque dans leur appellation : droit d’auteur pour la première approche, « copyright » pour la seconde. Il y a lieu de se demander s’il s’agit véritablement de visions différentes ou si cela ne relève, en définitive, que de simples différences de formes.

Comme Monsieur A. Strowel l’écrit lui-même : « Les expressions « droit d’auteur » et « copyright » sont déjà par elles mêmes révélatrices. N’a t on pas souligné que la distinction entre la tradition du copyright et celle du droit d’auteur « repose sur une question de terminologie : là où les adeptes de la première, les Britanniques et leurs héritiers spirituels, parlent de « copyright » pour désigner un droit qui naît de l’existence d’une « copy », un objet en soi, les adeptes de la seconde parlent d’« author’s right » (droit d’auteur), indiquant qu’un droit découle de l’effort intellectuel ou de l’activité déployée par un auteur, un créateur ». Telle est l’opposition fondamentale : un droit qui se pense, d’un côté, par référence à l’auteur, à la personne créatrice, de l’autre, par référence à l’exemplaire de l’œuvre, au produit de la création que l’on préserve contre la copie » (A. Strowel, Droit d’auteur et copyright : Divergences et convergences : Étude de droit comparé(1993), p. 19-20).

Ainsi, ce que nous pouvons appeler « la base » de chacun de ces droits est déjà différente.

Dans son texte, Monsieur D. Gervais cite le juge Binnie : « [qu’il] n’est pas du tout commode que, dans les versions française et anglaise de la Loi, les mots droit d’auteur et copyright soient traités comme des équivalents. Historiquement, la notion de copyright est liée aux droits économiques dans les systèmes de common law, alors que l’expression droit d’auteur est la vénérable expression française qui englobe tout un ensemble de droits comportant à la fois des aspects économiques et moraux ». De plus, l’auteur D. Gervais observe que la Cour considère que la notion de reproduction semble plus vaste en droit civil qu’en common law, et inclut le droit de contrôler l’utilisation qui est faite de l’œuvre (« droit de destination »), ce qui ne semble pas exister en common law.

Il est, en conséquence de ce qu’il vient d’être dit, évident que ces deux visions traduisent une approche différente : à côté d’une différence des origines du droit, une différence notable ressort particulièrement lorsqu’elle est mise à côté du cas qui nous intéresse. Il s’agit évidemment de l’existence – ou de la reconnaissance ? – ou non d’un droit de destination, ce dernier étant à lui seul capable de changer la manière d’aborder le cas d’espèce et faire en sorte que l’issue diffère.

2.4. Dans son paragraphe 45, la Cour de justice rappelle les conditions de l’épuisement selon l’arrêt Allposters comme suit : pour savoir s’il y a épuisement il faut vérifier « si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit ». Pour rappel, nous ne rencontrons pas ces conditions dans l’arrêt susmentionné, de telle sorte que nous ne pouvons parler d’épuisement en l’espèce. Un parallèle intéressant peut être tiré entre cet épuisement – interprété par la Cour de Justice – et celui dont il est question en matière de marques à l’article 13 du règlement 207/2009. Ce dernier nous informe que :

« 1. Le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce ».

Ce second paragraphe peut nous interpeller en ce sens qu’il dit de manière expresse que le titulaire du droit de marque est en mesure de s’opposer à la commercialisation ultérieure de son (ou ses) produit(s) dès lors qu’il invoquerait des motifs légitimes. Le législateur européen a même été jusqu’à donner un exemple de motif légitime qui, justement, est en lien avec l’affaire qui nous occupe : « lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise en commerce ».

Le parallèle semble donc évident : dans l’un cas comme dans l’autre – sauf que dans celui de l’arrêt Allposters, cela ressort d’une décision et que dans le cas du droit des marques cela ressorte expressément du texte législatif – la règle de l’épuisement semble pouvoir être écartée de sorte que le titulaire puisse encore « se faire entendre ».

Je vous prie de bien vouloir excuser mon léger retard, ainsi que l’absence de réponse à la première question mais, concernant cette dernière, je n’ai su trouver et rédiger de réponse convenable. J’espère que les discussions de demain apporteront des lumières à mes interrogations. Bien à vous.

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Céline Wulleman, Alexis Horvat, Elisabeth Delinte
1. Le fait d’accorder une licence de durée indéterminée sur un logiciel à un prix correspondant à la valeur économique de la copie obtenue vaut vente. Or, la vente d’une copie d’un logiciel déclenche l’épuisement du droit de distribuer le logiciel dans l’EEE, que ce logiciel se trouve sur un support matériel ou immatériel. Telle est l’interprétation faite de l’article…
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1. Le fait d’accorder une licence de durée indéterminée sur un logiciel à un prix correspondant à la valeur économique de la copie obtenue vaut vente. Or, la vente d’une copie d’un logiciel déclenche l’épuisement du droit de distribuer le logiciel dans l’EEE, que ce logiciel se trouve sur un support matériel ou immatériel. Telle est l’interprétation faite de l’article 4,§2 de la directive 2009/24 dans l’arrêt UsedSoft. Cet arrêt précise que la directive 2009/24 est une lex specialis par rapport à la directive 2001/29. La jurisprudence UsedSoft ne s’applique donc qu’aux programmes d’ordinateur.

L’arrêt Nintendo précise que rien, dans la directive 2001/29 (directive générale sur les droits d’auteur) n’indique qu’une partie d’une œuvre peut être traitée d’une manière différente que l’œuvre entière. Les parties d’une œuvre sont donc protégées par le droit d’auteur du moment qu’elles partagent l’originalité de l’entièreté du travail. Cette affirmation n’est pas remise en cause par le fait que la directive 2009/24 est une lex specialis par rapport à la directive 2001/29. L’arrêt Nintendo analysait le rapport entre les deux directives en matière de jeux vidéos. Les jeux vidéos sont complexes et sont constitués non seulement de programmes informatiques, mais aussi d’éléments graphiques et sonores qui sont cryptés en langage informatique et qui sont eux-aussi originaux. Ces éléments graphiques et sonores sont donc protégés par la directive 2001/29 (points 22 et 23).

Ils ne sont, par contre, pas protégés par la directive 2009/24 sur les logiciels. Or, l’arrêt UsedSoft ne concerne que les logiciels. Dans la directive 2001/29, le considérant 29 précise que la règle de l’épuisement ne s’applique pas aux services en ligne. En ce qui concerne les fichiers musicaux (format MP3), ce sont des services en ligne qui ne sont pas concernés par la directive 2009/24 et par l’interprétation qui en est faite par l’arrêt UsedSoft. La règle de l’épuisement numérique de l’arrêt UsedSoft ne s’applique donc pas aux autres fichiers numériques (comme les fichiers musicaux).

En ce qui concerne les ebooks, l’arrêt Commission c. France précise que la fourniture de livres électroniques doit être qualifiée de prestation de services fournis par voie électronique, car ils ne se trouvent pas sur support matériel (points 35 et 36). Or, le considérant 29 de la directive 2001/29 précise que la règle d’épuisement ne s’applique pas dans le cas d’un service en ligne.

Néanmoins, ne pourrait-on pas déduire de l’argumentation de la Cour dans l’arrêt UsedSoft une règle plus générale qui pourrait s’appliquer à tous les fichiers numériques ? En effet, la Cour justifie sa décision en énonçant que « la vente d’un programme d’ordinateur sur CD-ROM et la vente par téléchargement au moyen d’internet sont similaires. En effet, le mode de transmission en ligne est l’équivalent fonctionnel de la remise du support matériel » (points 55 à 63). Appliquer la règle de l’épuisement aux programmes d’ordinateur situés sur un support matériel aussi bien qu’immatériel permettrait d’éviter le cloisonnement des marchés. Or un tel raisonnement pourrait également être valable pour tout autre fichier numérique.

2. – Dans l’arrêt Allposters, la Cour considère que la règle d’épuisement de la directive 2001/29 ne s’applique pas lorsqu’il y a une modification du support physique. Elle motive cela par des considérations d’ordre économique. En effet, le titulaire du droit d’auteur a le droit d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de son œuvre et de contrôler la manière dont son œuvre est mise sur le marché. En changeant le support physique, la rémunération demandée par le titulaire du droit d’auteur risque de ne plus être appropriée. Par exemple, une toile peut se vendre plus cher qu’une affiche (points 47 et 48 de l’arrêt).

Dans UsedSoft, la Cour considère que la première vente de la copie a déjà permis au titulaire du droit d’auteur d’obtenir une rémunération appropriée (points 62 et 63). Dans 85% des cas, le logiciel est distribué par téléchargement au moyen d’internet. Le support ne change donc pas et reste numérique.

On peut donc réconcilier Allposters et UsedSoft. En effet, dans Allposters, la rémunération du titulaire du droit d’auteur n’est pas considérée comme appropriée. La règle de l’épuisement ne s’applique donc pas. Dans UsedSoft, la rémunération est considérée comme appropriée et la règle de l’épuisement s’applique. Il n’y aurait pas de spécificité du « numérique » par rapport au « physique » pour la règle de l’épuisement.

– Dans l’arrêt Moulinsart, l’auteur (Hergé) avait autorisé Casterman à vendre des « Albums Posters » que le consommateur pouvait séparer facilement. Or, la défenderesse a acheté ces albums, en a détaché les posters et les a fait encadrer et vendre séparément. Le Tribunal de première instance de Bruxelles a considéré qu’il y avait un usage abusif des reproductions autorisées. En effet, la défenderesse n’a pas respecté la destination donnée à son œuvre par l’auteur. L’auteur a le droit de n’autoriser la reproduction que dans la mesure qu’il fixe ou dans les conditions qu’il détermine. La Cour donne donc raison aux ayants droits.

On peut considérer que la jurisprudence belge est conforme à l’arrêt Allposters car le Tribunal a, d’une certaine manière, considéré qu’il n’y avait pas d’épuisement. La jurisprudence belge n’invoque cependant pas la considération économique de la rémunération appropriée.

– Dans l’arrêt Théberge, les faits sont similaires à ceux d’Allposters. Une affiche a été achetée à l’auteur, elle a été mise sur la toile par l’acheteur. Le problème est que la valeur d’une toile est plus élevée que celle d’un poster et seule la valeur du poster a été payée à l’auteur. Bien que les faits soient semblables, les argumentations respectives de la Cour de justice et celle de la Cour suprême sont différentes. Ces deux raisonnements témoignent de la différence entre une approche civiliste et une approche de la problématique en cause en common law.

Du point de vue du common law, les considérations d’ordre économique priment. Les intérêts du titulaire du droit d’auteur (rémunération appropriée) et les intérêts de l’ensemble de la société sont mis en balance. Un contrôle excessif de l’œuvre par son titulaire pourrait restreindre de façon injustifiée « la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dan l’intérêt de l’ensemble de la société ou créer des obstacles d’ordre pratique à son utilisation légitime ».

En ce qui concerne l’approche civiliste, par contre, rien n’est dit à propos des intérêts de l’ensemble de la société. Par contre, les droits moraux de l’auteur sont pris en compte, ce qui n’est pas le cas en common law. Ces droits moraux se rapportent plus précisément à la capacité de l’auteur de l’œuvre à contrôler l’utilisation qui en est faite.

– L’article 13 de la directive 207/2009 prévoit qu’il y a épuisement du droit de marque lors de la première vente du produit dans la Communauté par le titulaire ou avec son consentement. Il n’y a cependant pas d’épuisement si des motifs légitimes peuvent être invoqués. Peut notamment être invoqué comme motif légitime le fait que le produit a été modifié ou altéré.

L’arrêt Allposters, concernant les droits d’auteurs, prévoit qu’il y a également épuisement du droit dès la première vente dans l’Union par le titulaire du droit d’auteur ou avec son consentement. Il faut cependant que l’auteur puisse avoir un contrôle sur la mise sur le marché de l’œuvre. Il n’y aura pas de consentement de la part de l’auteur si l’objet a été modifié de manière à ce qu’il constitue une nouvelle reproduction de l’œuvre (changement de support, par exemple). Cela peut se rapprocher des conditions énoncées par l’article 13 de la directive 207/2009.

Par contre, il n’est pas fait mention, dans l’article 13 de la directive sur le droit de marque de la nécessité d’une rémunération appropriée. L’arrêt Allposters énonce en effet que, pour les droits d’auteur, un rapport raisonnable entre la valeur économique de d’exploitation de l’objet protégé et la rémunération de l’auteur doit être réalisé. Néanmoins, une rémunération inappropriée du titulaire du droit pourrait constituer un motif légitime au sens de l’article 13 de la directive sur le droit de marque.

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Clotilde Liégeois, Hélène Vercauteren, Lucille Geraerts
Question 1 Les considérants 22 et 23 de l’arrêt Nintendo confirment l’idée qu’il existe une « lex specialis » et une « lex generis ». Ainsi, la directive 2009/24 constitue une « lex specialis » pour les logiciels et la directive 2001/29 qui constitue une « lex generis ». Le considérant 23 explique en effet que la protection de la directive…
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Question 1
Les considérants 22 et 23 de l’arrêt Nintendo confirment l’idée qu’il existe une « lex specialis » et une « lex generis ». Ainsi, la directive 2009/24 constitue une « lex specialis » pour les logiciels et la directive 2001/29 qui constitue une « lex generis ». Le considérant 23 explique en effet que la protection de la directive 2009/24 se limite aux programmes d’ordinateurs. Cependant un jeu vidéo constitue un matériel complexe comprenant non seulement un programme d’ordinateur mais également des éléments sonores, graphiques, qui bien qu’encodés dans le langage informatique, ont une valeur créatrice. Dans la mesure où ces éléments participent à l’originalité de l’œuvre, ils sont protégés avec l’œuvre entière, par le droit d’auteur dans le cadre de la directive 2001/29. L’interprétation de l’arrêt Nintendo semble donc exclure l’application d’une règle générale d’épuisement (consacrée par l’arrêt Usedsoft) pour les autres fichiers numériques.

Dans l’arrêt du 5 mars 2015, la commission estime que le fait que la France étend le bénéfice du taux réduit de TVA aux opérations portant sur les livres fournis par téléchargement était contraire à la directive TVA. En effet, celle-ci prévoit des taux réduit pour des catégories déterminées et elle exclut cette possibilité pour les « services fournis par voie électronique ». La France avait estimé que la fourniture de livres électroniques constituait une livraison de bien figurant dans l’annexe III, annexe auquel le taux réduit s’appliquait. L’annexe III mentionne en effet « la fourniture de livre sur tout type de support physique ». Mais la cour affirme, se ralliant ainsi à la position de la Commission, que cette disposition n’inclut pas la fourniture de livres électroniques car bien qu’ils nécessitent un support physique pour être lus tel un ordinateur, ce support n’est pas compris dans la fourniture de livres électroniques. La fourniture de livres électroniques constitue un « service fourni par voie électronique » rentrant donc dans le champ d’application de l’article 98, et pour lequel on ne peut appliquer un taux réduit.

L’arrêt Nintendo exclut l’application d’une règle générale d’épuisement pour les autres fichiers numériques. Cela veut dire que le droit de propriété intellectuelle ne s’épuise pas dès la première mise sur le marché autorisée par le titulaire. Cet arrêt de mars 2015 enfonce encore un peu le clou car, en plus du paiement d’une certaine rémunération au titulaire du droit en vue d’obtenir l’autorisation d’utiliser son produit, les bénéficaires des livres électroniques devront s’acquitter d’une taxe normale et ne pourront bénéficier d’un taux réduit. Cela est fort protecteur des titulaires de droit exclusif et n’est pas favorable pour les consommateurs.

Question 2

a) En effet les deux arrêts présentent des raisons économiques mais la Cour dans UsedSoft fait néanmoins une approche économique plus poussée. Elle revient sur l’interprétation du terme de vente comme étant « toutes les formes de commercialisation d’un produit qui se caractérisent par l’octroi d’un droit d’usage d’une copie du programme d’ordinateur, pour une durée illimitée, moyennant le paiement d’un prix destiné à permettre au titulaire du droit d’auteur d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire ». La Cour considère donc que l’effet utile de cette disposition se trouverait compromis dans UsedSoft, puisqu’il suffirait aux fournisseurs de qualifier le contrat de «licence» et non de «vente» pour contourner la règle de l’épuisement et priver celle-ci de toute portée. Elle ajoute, « que d’un point de vue économique, la vente d’un programme d’ordinateur sur CD-ROM ou DVD et la vente d’un programme d’ordinateur par téléchargement au moyen d’Internet sont similaires ».

A l’inverse l’arrêt Allposters aborde l’aspect économique uniquement sur le point de l’objectif poursuivi par le droit d’épuisement à savoir, que l’auteur obtienne une rémunération appropriée et donc en rapport raisonnable avec la valeur économique de l’exploitation, de l’objet protégé.

Si on transpose les enseignements de la décision Art & Allposters à l’univers numérique, il semble bien qu’on puisse retenir une interprétation de l’arrêt barrant la possibilité de l’épuisement lorsque la circulation de l’oeuvre ne se réalise pas par le truchement d’un bien tangible d’une part, et que l’acte de transfert entraînant une nouvelle copie de l’oeuvre – même dans le cas d’un effacement sur le support d’origine -, le droit de reproduction soit également mis en jeu. L’interprétation par analogie à travers le principe de l’équivalence fonctionnelle utilisée dans l’arrêt UsedSoft semble donc se heurter à une forte limite dans la présente décision. Il semble donc qu’il y ai bien une « lex generalis » en vertu de la directive 2001/29 pour le « monde physique » et une « lex specialis » en vertu de la directive 2009/24 pour le « monde du numérique ».

b) Dans l’arrêt Allposters et de Poortvliet du Hoge Raad hollandais il ressort qu’« une mise à disposition du public a lieu […] dans le cas où l’exemplaire mis dans le commerce par le titulaire du droit est distribué dans le public sous une autre forme, ce qui offre de nouvelles possibilités d’exploitation pour celui qui commercialise cette nouvelle forme de l’exemplaire mis dans le commerce à l’origine». La jurisprudence Poortvliet nous confirme qu’une modification profonde de l’œuvre et sa commercialisation requiert le consentement du titulaire du droit d’auteur.

Ainsi dans l’affaire belge, la défenderesse n’a pas respecté la destination donnée à son œuvre par l’auteur donc usage abusif de reproduction autorisé. Pour but de s’approprier la notoriété de l’œuvre et le détournement de la clientèle. Autrement dit on a pas le droit de vendre au détail ce qui originairement a été cédé par l’auteur sous forme d’un ensemble, ce qui confirme bien les deux autres jurisprudences.

c) Oui cela traduit une vision différente du droit d’auteur. Les pays de droit civil érigent des législations qui sont plus en faveur de la protection du titulaire du droit tandis que les pays de common law voient la propriété intellectuelle comme un instrument d’innovation, de création et de commerce. Dans la décision Canadienne, le propriétaire d’un exemplaire peut le transférer sur un support différent sans autorisation additionnelle, à condition que l’exemplaire de départ soit simultanément détruit pendant le processus de transfert. En effet, le propriétaire d’un exemplaire dispose de droits opposables à l’auteur découlant de la propriété de l’exemplaire. Il ressort de la décision qu’il existe une différence entre l’approche common law et civil law : le droit canadien s’intéresse d’avantage aux droits économiques qu’aux droits moraux. A l’inverse, les pays de civil law sont plus en faveur de la protection du titulaire des droits. La notion de reproduction est plus vaste que pour les pays de la common law et englobe un droit de contrôler l’utilisation de l’œuvre.

d) L’article 13 du Règlement 207/2009 précise en son paragraphe 1 que la règle de l’épuisement n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. Par exemple dans l’affaire Dior, il n’y a pas eu d’épuisement puisqu’un licencié avait enfreint une clause qui lui interdisait de portée attente à l’image de la marque pour des raisons de prestige.

En ce qui concerne les conditions de l’épuisement selon Allposters, la Cour a jugé que l’épuisement du droit de distribution est subordonné à une double condition, à savoir, d’une part matérielle, que l’original d’une œuvre ou les copies de celle-ci aient été mis dans le commerce par le titulaire du droit ou avec son consentement et, d’autre part géographique, que cette commercialisation ait eu lieu dans l’Union. La règle de l’épuisement ne s’applique donc pas dans le cas où une œuvre protégée a subi un remplacement de son support et donc une modification de l’œuvre.

Il en ressort que les dispositions de la règle de l’épuisement en matière de marque et dans Allposters sont convergentes et même similaires.

Clotilde Liégeois, Hélène Vercauteren et Lucille Geraerts

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Clémentine Colson
I. Epuisement numérique – Arrêt UsedSoft La question est de savoir si l’arrêt de UsedSoft peut, ou non, s’appliquer à d’autres fichiers numériques, notamment des fichiers musicaux (format MP3) ou encore des fichiers texte (format ePub pour des ebooks). Il convient donc, dans une analyse respective, d’argumenter respectivement sur ces deux interrogations. A. Application aux fichiers musicaux a) Atteinte au droit de distribution Dans l’arrêt…
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I. Epuisement numérique – Arrêt UsedSoft

La question est de savoir si l’arrêt de UsedSoft peut, ou non, s’appliquer à d’autres fichiers numériques, notamment des fichiers musicaux (format MP3) ou encore des fichiers texte (format ePub pour des ebooks). Il convient donc, dans une analyse respective, d’argumenter respectivement sur ces deux interrogations.

A. Application aux fichiers musicaux

a) Atteinte au droit de distribution

Dans l’arrêt UsedSoft, la Cour de justice a conditionné la revente d’occasion, en matière de programmes d’ordinateurs, mais tout en la déclarant légale. Ainsi, par analogie uniquement, cet arrêt autorise également la revente de fichiers musicaux. Cependant, quelques nuances sont à apporter.

Ainsi, la Cour a considéré qu’une licence « vaut vente » notamment en dépit de la qualification voulue par les parties et d’une clause prévoyant son caractère « non-transférable ». Cependant, il ne faut pas oublier que la directive 2009/24, qui concerne spécifiquement la protection juridique des programmes d’ordinateur, constitue une lex specialis par rapport à la directive 2001/29. Ainsi, là où les conditions générales d’utilisation d’iTunes prévoient une licence uniquement destinée à l’utilisateur final (à savoir celui qui a payé via iTunes pour acquérir le fichier musical), tout comme le prévoyait celle d’Oracle, cette même licence n’entraine pas automatiquement l’incessibilité du fichier téléchargé. En effet, Oracle soutenait que ni la mise à la disposition gratuite de la copie ni la conclusion du contrat de licence d’utilisation n’impliquaient un transfert du droit de propriété de cette copie (§43). Or, nous pensons à l’inverse qu’en matière de fichiers musicaux, le droit de propriété de l’utilisateur d’iTunes prévaut et doit entrainer l’épuisement du droit de distribution du fichier musical. L’objectif est ainsi d’aligner la jurisprudence sur les conditions sociétales d’aujourd’hui. En effet, nous pensons que la Cour de justice ne doit pas s’aligner sur la jurisprudence américaine et la Common Law qui considèrent, au contraire, que le distributeur qui fournit une véritable infrastructure et la met à la disposition des internautes pour que ceux-ci achètent à des fichiers musicaux à des revendeurs, est directement responsable de la violation des droits de reproduction et de distribution du titulaire (arrêt Capitol Records c. ReDigi) qui ne sont pas épuisés. Or, il est incontestable qu’à l’heure actuelle, payer près de 2 euros pour acheter une chanson sur Itunes alors que celle-là même est disponible, à titre gratuit ou payant mais à prix moindre, sur un site internet relève de l’aberration, du moins pour un étudiant qui ne gagne pas sa vie. Finalement, tout comme la Cour l’a relevé dans l’arrêt UsedSoft, « il convient de relever que le téléchargement d’une copie d’un programme d’ordinateur et la conclusion d’un contrat de licence d’utilisation se rapportant à celle-ci forment un tout indivisible. En effet, le téléchargement d’une copie d’un programme d’ordinateur est dépourvu d’utilité si ladite copie ne peut pas être utilisée par son détenteur » (§44).

b) Atteinte au droit de reproduction

Quant à la potentielle atteinte au droit de reproduction par l’utilisateur, nous pensons encore que son droit de propriété engendre qu’il a le droit de revendre le fichier musical, s’il le souhaite et ce, d’autant plus que le distributeur du produit a la faculté d’y adjoindre des mesures techniques de protection qui le protégeraient (§79). En effet, celles-ci lui assureraient que le fichier musical, une fois revendu, ne se trouve plus sur le disque dur du premier acheteur sous peine que là, uniquement, il y ait effectivement atteinte à son droit de reproduction en tant que titulaire du droit d’auteur sur le fichier. L’arrêt Nintento c. PC Box répond à la question de savoir quels sont les critères à apprécier en vue de déterminer l’étendue de la protection juridique contre le contournement des mesures techniques de protection. Ce critère est celui de la proportionnalité. En vertu de celui-ci, l’objectif que doivent poursuivre les mesures techniques de protection est d’empêcher ou d’éliminer les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur. Ainsi, la Cour veut qu’il soit vérifié que d’autres mesures techniques de protection ne soient pas tout aussi efficaces tout en causant moins d’interférences avec les activités des tiers (distributeurs). Cet arrêt montre bien que la Cour est hésitante, voire contre une répression totale des systèmes permettant de contourner et d’éviter les mesures techniques de protection. Elle va donc un pas plus loin qu’elle n’a fait dans l’affaire UsedSoft.

De plus, comme le rappelle la Cour dans l’arrêt UsedSoft (§77), une fois que le droit de distribution du titulaire du droit d’auteur est épuisé à l’occasion de la première vente dans l’Union, par ce titulaire ou avec son consentement, de toute copie, matérielle ou immatérielle, de son programme d’ordinateur, il s’ensuit que, en vertu de cette disposition et nonobstant l’existence de dispositions contractuelles interdisant une cession ultérieure, le titulaire du droit concerné ne peut plus s’opposer à la revente de cette copie.

B. Application aux fichiers texte

Dans l’arrêt « Commission c. France » du 5 mars 2015 se posait la question de savoir si les livres numériques peuvent se voir appliquer un taux réduit de TVA lorsqu’ils sont téléchargés. Pour ce faire, ils doivent être assimilés à une livraison de biens ou une prestation de services visées à l’annexe III de la directive TVA. En effet, cette annexe reprend la « fourniture de livres, sur tout type de support physique » (point 6 de l’annexe). Cependant, la Cour considéra que ce support physique est celui qui permet de lire le livre (tablette, smartphone, ordinateur). Or, il n’est pas fourni avec le livre électronique. En effet, pareil support n’est cependant pas compris dans la fourniture de livres électroniques (§28). Dans ce même arrêt, la Cour a ajouté que la directive TVA exclut toute possibilité d’appliquer un taux réduit aux « services fournis par voie électronique » (article 98, §2, alinéa 2), ce que constitue la fourniture de livres électroniques. Cet arrêt peut avoir une incidence sur la question de savoir si l’épuisement du droit de distribution s’applique à d’autres fichiers numériques. En effet, la règle qui veut que les Etats puissent appliquer un taux réduit de TVA déroge au principe qui veut que ces mêmes Etats appliquent un taux normal. Ainsi, la règle doit être interprétée strictement, ce qui pourrait laisser à comprendre que la Cour soit amenée à élargir la notion de « services fournis par voie électronique » et à restreindre celles de « livraison de biens » et de « prestations de services ».

II. Epuisement physique – arrêt Allposters

A. Motivations économiques

Nous pensons, au contraire, que c’est l’arrêt Allposters qui dénote un raisonnement économique de la part de la Cour. En effet, tout en se référençant à l’arrêt Football Association Premier League, la Cour avance que la règle de l’épuisement du droit de distribution ne doit pas entrainer pour les titulaires du droit d’auteur une impossibilité pour eux d’interdire la distribution de ces objets ou, en cas de distribution, doit au contraire leur permettre d’exiger une rémunération appropriée et raisonnable pour l’exploitation commerciale de leurs œuvres et ce, alors même qu’ils n’ont pas consenti à la distribution des transferts sur toile.

Cela peut laisser présumer effectivement qu’il y aurait une spécificité du numérique par rapport au physique pour la question de l’épuisement. C’est d’ailleurs ce que la Cour avance dans l’arrêt UsedSoft, en stipulant que l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive ne serait pas applicable dès lors que l’épuisement du droit de distribution en vertu de cette disposition supposerait toujours la mise en circulation d’une copie physique du programme d’ordinateur par le titulaire du droit ou avec son consentement. Les auteurs de la directive 2009/24 auraient sciemment renoncé à soumettre la transmission en ligne de programmes d’ordinateur à la règle de l’épuisement (§32) dès lors, selon nous, parce que l’affiche en papier, commercialisée avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi une profonde modification offrant à Allposters de nouvelles possibilités d’exploitation et donc une nouvelle divulgation (§19).

B. Conformité à la jurisprudence belge

Dans l’arrêt Poorvliet du 19 janvier 1979, le Hoge Raad der Nerderlanden a considéré comme nouvelle divulgation l’exemplaire d’une œuvre mis dans le commerce par le titulaire du droit et distribué sous une autre forme, tout simplement parce que de nouveaux moyens d’exploitation sont mis à la disposition de l’exploitant. Ainsi, cette divulgation n’est pas autorisée du fait de l’épuisement du droit de distribution de l’œuvre. Le droit belge est conforme à la jurisprudence « Allposters ». En effet, quelques années auparavant, le tribunal de Bruxelles considéra que constituait une contrefaçon de l’œuvre d’Hergé le fait d’exploiter, sous forme de posters détachés et encadrés séparément, les feuillets extraits d’un album diffusé largement au public. En France également, l’affaire Dubuffet va dans le même sens. Cependant, nous pensons qu’il subsiste une différence entre ces jurisprudences, européenne et nationale. En effet, dans l’arrêt « Allposters », la Cour met en exergue la nécessité pour l’exploitant de posséder « de nouveaux moyens d’exploitation ». A contrario, nous ne voyons pas en quoi le fait de détacher séparément des feuillets extraits d’un album pour les mettre dans différents cadres constitue un nouveau moyen d’exploitation ? La question reste posée mais la jurisprudence belge, à l’avenir, devrait analyser en profondeur les conditions de l’arrêt Allposters qui ont engendré le non-épuisement du droit de distribution en cas de remplacement de support, tel le transfert sur une toile d’une reproduction.

C. Arrêt Théberge

L’approche de common law, comme le suggère Daniel Gervais, veut que le copyright soit lié aux droits économiques et que le vocable « droit d’auteur » fasse référence à « tout un ensemble de droits comportant à la fois des aspects économiques et moraux ». A l’inverse, en droit civil, le droit d’auteur et le copyright sont traités de façon équivalente.

De plus, dans l’arrêt Théberge, la Cour suprême du Canada considéra qu’il n’y avait pas eu reproduction en l’absence de multiplication, c’est-à-dire pas d’augmentation du nombre net d’exemplaires. Dans l’arrêt Allposters, la partie demanderesse soutenait également que le transfert sur toile ne saurait être qualifié de reproduction au motif qu’il n’y a pas de multiplication des copies de l’œuvre protégée dans la mesure où l’image est transférée et ne figure plus sur l’affiche en papier. Mais la Cour de justice n’a pas tenu compte de cet argument, dès lors que selon elle, ce qu’il importe c’est de savoir si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit (§45).

Dans pareil cas, sa distribution sur toile devra être consentie par les titulaires. A l’inverse, la Cour suprême considéra quant à elle qu’à considérer que l’objet mis sur le marché ait été modifié (car l’apparence d’une affiche papier n’est pas la même que celle d’une affiche sur toile), aucune nouvelle reproduction n’est créée pour autant.

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Pierre Dewitte, Auriane Schockaert, Alizée Jolie, Raphaëlle Pollet
1. En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE (par ex. l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014, C-355/12). Il faudrait aussi examiner si…
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1. En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE (par ex. l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014, C-355/12). Il faudrait aussi examiner si le récent arrêt en matière de fiscalité des livres numériques rendu par la CJUE le 5 mars 2015 (Commission c. France, C-479/13) n’a pas une incidence sur cette question.
Concernant les jeux vidéo, il est certain que non. Même si l’arrêt Nintendo c. PC Box n’a pas été rendu en matière d’épuisement, la conclusion de la Cour est claire. Dans l’arrêt, la Cour de Justice qualifie les jeux vidéo commercialisés par Nintendo d’œuvres complexes. Dès lors, il ne s’agit pas de simples logiciels. La Cour relève que ces jeux vidéo : « constituent un matériel complexe comprenant non seulement un programme d’ordinateur, mais également des éléments graphiques et sonores qui, bien qu’encodés dans le langage informatique, ont une valeur créatrice propre qui ne saurait être réduite audit encodage. » Ensuite, la Cour, en renvoyant à la jurisprudence Infopaq, dit que des parties de l’œuvre, pour autant qu’elles participent à l’originalité de l’œuvre, sont protégées avec l’œuvre entière par la directive de 2001 et non pas par la directive de 2009. Le fait que la directive de 2009 est une lex specialis par rapport à la directive de 2001 ne vient pas infirmer cette conclusion. Etant donné que les jeux vidéo sont protégés par la directive de 2001 et non par la directive de 2009, il n’y aura pas d’épuisement numérique pour les jeux vidéo. Nous pensons que la solution retenue par la Cour pour les jeux vidéo pourrait s’étendre aux fichiers musicaux et aux fichiers textes. En effet, dès lors que la directive de 2009 est une lex specialis elle est d’interprétation stricte et il ne semble pas correcte qu’elle s’applique à des fichiers musicaux ou textes car ceux-ci ne peuvent être considérés comme de simples logiciels.
L’arrêt Commission c. France du 15 mars 2015 semble aboutir à la même conclusion. En effet, la Cour considère que la fourniture de livres électroniques doit être considérée comme une fourniture de service électronique et ne peut pas être considérée comme une livraison de biens. C’est ce qui différencie la fourniture de livres sous format papier de la fourniture de livres électroniques. Dès lors que la Cour considère qu’il s’agit d’une prestation de service, on ne peut considérer qu’il y a vente et donc il ne pourra pas y avoir épuisement.
Toutefois, cet arrêt est rendu en matière fiscale et concerne la directive TVA. La solution est-elle transposable en droit intellectuel ?

2. Quant à l’épuisement “physique”, l’arrêt Allposters pose beaucoup de questions:
– Pensez-vous que des considérations économiques motivent l’arrêt Allposters? Mais si on compare l’arrêt UsedSoft à l’arrêt Allposters, est-ce que ce n’est pas plutôt l’arrêt UsedSoft qui dénote un raisonnement économique de la part de la Cour? Dans un cas, c’est en faveur de l’épuisement, dans un autre, c’est contre l’épuisement. Est-ce que l’on peut donc facilement réconcilier Allposters et UsedSoft? Y aurait-il une spécificité du ‘numérique’ par rapport au ‘physique’ pour la question de l’épuisement?

Il est limpide que l’arrêt Allposters est motivé par des considérations économiques favorables à la position des auteurs ou des sociétés impliquées dans la gestion de leurs droits. Ainsi, la CJUE a jugé nécessaire d’instaurer des standards de protection élevés, en n’appliquant pas l’épuisement des droits à l’hypothèse dans laquelle « une reproduction d’une œuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support, tel que le transfert sur une toile de cette reproduction figurant sur une affiche en papier, et est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme ». Cette jurisprudence favorise donc les titulaires de droits d’auteur, dans la mesure où ces derniers seront habilités à revendiquer un droit exclusif de reproduction plus large ; concomitamment, le droit de propriété des acquéreurs d’une œuvre protégée s’en trouve limité, ceux-ci ne pouvant décider d’en user de la manière dont ils l’entendent. Il semble ainsi que l’éventualité d’un manque à gagner sur la commercialisation d’œuvres protégées sur une forme nouvelle demeure strictement liée au titulaire du droit. Le raisonnement inverse pourrait également être tenu concernant l’arrêt UsedSoft, dont les enseignements s’écartent de ceux tirés par les juges américains dans l’affaire ReDiGi. Alors qu’Allposters tend à favoriser les titulaires de droit d’auteur, UsedSoft semble sacrifier le droit de ces derniers sur l’autel du droit de propriété des acquéreurs dans la mesure où l’usage du logiciel n’est pas limité dans le temps, et à condition qu’un prix correspondant à la valeur du software ait été acquitté en échange de la copie obtenue.

Il ne semble donc pas aisé, à première vue, de réconcilier les enseignements de ces deux arrêts. L’arrêt Allposters en matière d’épuisement physique, s’il était transposé au monde numérique, barrerait très certainement la route à la revente de logiciels de seconde main. Rappelons à cet égard que l’épuisement ne s’applique, selon Allposters, qu’aux objets tangibles incorporant une œuvre ou une copie de cette dernière ; Oracle commercialisant ses programmes par le biais de serveurs, en plus d’une commercialisation sur support physique, cette condition semble déjà faire défaut. Soulignons également qu’Allposters considère que l’acte de transfert impliquant une nouvelle copie de l’œuvre, même si l’œuvre originelle est détruite au cours de l’opération, constitue une nouvelle reproduction illicite ; cette seconde précision entrave ainsi toute éventualité de revente de logiciels en seconde main basée sur l’épuisement des droits du titulaire.

Pourquoi, dès lors, protéger d’avantage les titulaires de droit d’auteurs dans le monde physique que dans le monde numérique ? Probablement parce que le numérique, à la différence des supports physiques, tend à se perpétuer bien plus longtemps. L’équivalent de l’arrêt Allposters en matière d’épuisement numérique aurait pour conséquence un maintien des droits du titulaire sur une durée illimitée, celui-ci pouvant, à chaque transfert, faire valoir son droit de reproduction exclusif. Si les enseignements de l’arrêt Allposters se justifient dans un secteur ou l’obsolescence matérielle des biens est plus rapide, force est de constater que l’une et l’autre décisions sont pertinentes, eu égard à leur champ d’application respectif.

– L’arrêt Allposters vient apparemment confirmer la jurisprudence Poortvliet du Hoge Raad hollandais (19 janvier 1979, NJ 1979/412). Est-ce qu’il est aussi conforme à la jurisprudence belge (voir par ex. Civ._Bruxelles,_15_février_1996,_AM,_1996,_p.319_Moulinsart c PT_Prod) ?

L’arrêt Allposters souligne que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, doit être interprété en ce sens que la règle d’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas dans une situation où une reproduction d’une œuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union européenne avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support, tel que le transfert sur une toile de cette reproduction figurant sur une affiche en papier, et est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme ». Ce faisant, les juges ont ainsi mis le doigt sur deux éléments fondamentaux dans l’application de l’épuisement des droits du titulaire : d’une part, l’épuisement des droits ne s’applique que dans l’hypothèse d’objets tangibles mis sur le commerce avec le consentement du titulaire et, d’autre part, la modification du support initial de l’œuvre en vue de sa reproduction sur un nouveau support, même si le procédé en question implique une destruction de la première œuvre, constitue une nouvelle reproduction de celle-ci. L’épuisement du droit de distribution de la société Pictureright, matérialisé par la première mise sur le marché des images sur support papier avec son consentement et invoqué comme argument principal par Allposters, ne pouvait donc s’appliquer au cas d’espèce, l’opération de rentoilage consistant, selon la Cour, en une nouvelle reproduction dès lors illicite.

Dans une affaire similaire, le Hoge Raad der Nederlanden avait également donné raison au titulaire d’un droit d’auteur qui s’opposait à la mise dans le commerce d’une œuvre protégée sous une forme différente de celle pour laquelle le consentement avait été donné. Dès lors que ce changement de support impliquait également de nouvelles possibilités d’exploitation, la juridiction néerlandaise avait considéré que pareille opération ne constituait rien d’autre qu’une nouvelle divulgation, au sens de l’article 12 de la loi sur le droit d’auteur applicable au cas d’espèce, illicite en soi. La CJUE s’inscrit donc dans la droite lignée de ce qu’avaient déjà tranché les juges néerlandais.

La jurisprudence belge semble également encline à partager la conception de l’épuisement brossée par la CJUE et la Hoge Raad der Nederlanden. A l’occasion d’une affaire opposant la société de gestion des droits relatifs à l’œuvre d’Hergé à une personne ayant vendu des reproductions desdites œuvres sans autorisation, le tribunal de première instance bruxellois s’est prononcé en faveur de la première. En l’espèce, la société de gestion de droits avait autorisé la société Casterman à commercialiser des vignettes tirées d’albums d’Hergé afin de les regrouper dans un album « posters ». La défenderesse, après s’être procuré les albums en questions, a détaché les différents « posters » contenus dans l’album en vue de le vendre de manière séparée, et encadrés. Selon les termes du tribunal, cette opération s’apparente ainsi à un usage abusif de reproductions autorisées. En théorie, la première mise sur le marché d’objets tangibles devrait épuiser le droit de la société de gestion de contrôler la destination des œuvres ainsi commercialisées ; en ce sens, la vente des albums posters par Casterman, achetés ensuite par la défenderesse, devrait épuiser les droits de la société Moulinsart. Ce n’est pourtant pas l’avis du tribunal qui souligne qu’ « en détachant les différents posters contenus dans l’album, destinés à être vendus ensemble au consommateur, la défenderesse a non seulement créé des objets distincts mais n’a pas non plus respecté la destination donnée à son œuvre par l’auteur, telle d’ailleurs qu’elle s’imposait a la société cessionnaire Casterman ». En statuant de la sorte, le juge Gérondal semble positionner son opinion dans la lignée de la jurisprudence de la CJUE et du Hoge Raad der Nederlanden, en considérant qu’une mise en forme nouvelle, même si elle implique également ici une destruction de l’œuvre originelle, n’épuise pas pour autant les droits de la société de gestion d’opposer son droit de destination.

-Les gouvernements français et anglais sont intervenus dans l’affaire Allposters. La France a plaidé contre l’épuisement et l’on peut présumer que le Royaume-Uni a défendu la position inverse. Est-ce que cette position différente traduit une vision différente du droit d’auteur? Vous pouvez aussi consulter l’arrêt de la Cour suprême canadienne dansThéberge (28 mars 2002 CSC 34 (QL)), ainsi que l’analyse qu’en fait le professeur D. Gervais (voir ici). Dans cette affaire très similaire à Allposters sur le plan des faits, la Cour a considéré, contrairement à la Cour de justice, que le changement de support ne peut être contrôlé par l’entremise du droit d’auteur et a donc conclu à l’encontre des ayants droit. Cette approche différente au Canada, voire au Royaume-Uni, traduit-elle une différence entre l’approche de common law et l’approche civiliste que la Cour de justice semble avoir suivi dans Allposters?

Tout d’abord, il faut être conscient que le droit anglais et le droit belge et français diffèrent dans leur conception de respectivement copyright et droit d’auteur. On ne peut considérer ces 2 expressions comme des synonymes.
En effet, une des conditions en droit belge/français à laquelle une œuvre doit se soumettre est celle de l’originalité. Le niveau d’originalité requis pour bénéficier de la protection est relativement faible, et ne peut être assimilé à la nouveauté requise pour la protection des brevets.
En Angleterre, par contre, le niveau d’originalité est encore plus faible (par opposition à l’Allemagne). En effet, l’originalité se définit de manière négative, exigeant simplement une absence de copie. Ils ne parlent d’ailleurs pas vraiment d’originalité, mais plutôt de « skill and labour » (cf. Bridgeman Art Library v. Corel), même si une évolution est en vue.

Dans l’arrêt Canadien Théberge, la Cour a déclaré qu’il y avait bel et bien épuisement. Les faits à l’origine de l’arrêt étaient pourtant semblables à ceux d’Allposters.
La décision se justifie par un nécessaire rééquilibrage entre les droits d’auteur et les droits des utilisateurs.
L’arrêt de dire que les utilisateurs ont non seulement des intérêts, mais également des droits opposables à l’auteur. Ces droits découlent de la propriété d’un exemplaire de l’œuvre. Il y a un intérêt pour la société à ce que l’on puisse embellir le support d’une œuvre sans devoir demander l’autorisation de son auteur.
Par ce faire, la Cour semble se rattacher à la conception des US en matière de droit d’auteur, qui pour eux, ne constitue pas un droit naturel, mais au contraire relève du contrat. Contrat conclu entre l’auteur et la société. Il s’agit donc de rééquilibrer les droits entre auteurs et utilisateurs, tout en précisant que des restrictions aux droits des utilisateurs sont tout à fait envisageables. Il s’agit d’un choix politique.
Une des conséquences découlant de l’arrêt ouvre la voie à l’enseignement de Usedsoft. En effet, en transposant la matière aux logiciels, on considère qu’il y a épuisement du droit, même en cas de changement de support, si et seulement si dans le processus, il n’y a pas multiplication mais que le support initial est effacé.

De notre côté, la seule raison pour laquelle dans l’arrêt Allposters, la Cour a décidé qu’il n’y avait pas épuisement, est que le changement de support améliorait considérablement la qualité de l’œuvre, jusqu’à constituer une nouvelle reproduction. La modification ultérieure de l’objet a donc une incidence en matière d’épuisement, mais uniquement dans le cas spécifié. Dans l’arrêt Usedsoft, un changement de support n’améliorait pas la qualité du logiciel, ce qui justifie qu’il y a épuisement.
CJUE : « La règle d’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas dans une situation où une reproduction d’une œuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union européenne avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support, tel que le transfert sur une toile de cette reproduction figurant sur une affiche en papier, et est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme. »

On voit donc que, malgré des conceptions différentes, on arrive à la même conclusion, avec cependant une nuance. L’arrêt Usedsoft aurait eu la même issue en droit canadien, seulement, en droit canadien, un changement de support, même s’il augmente la qualité de l’objet, donne lieu à l’application de la règle de l ‘épuisement.
Cette divergence s’explique par la différence de conception du droit d’auteur en soi.

– Enfin, que tirer d’une comparaison entre la règle d’épuisement en matière de marques (voir art. 13 du Règlement 207/2009) et les conditions de l’épuisement selon Allposters?
Les conditions communes
• Consentement du titulaire du droit
• Mise en circulation dans un état membre

En droit d’auteur :

Il ressort de l’article 4, paragraphe 2, de la directive que le droit de distribution relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou de premier autre transfert de propriété dans l’Union de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement.

La question dans l’arrêt All posters est de savoir si le fait que l’objet, qui a été commercialisé avec le consentement du titulaire du droit d’auteur a subi par la suite des modifications de son support matériel, a une incidence sur l’épuisement du droit de distribution au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29

L’arrêt met en évidence que :

Ce qui importe est de savoir si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit. Tel ne semble pas être le cas dans l’affaire au principal.

On ne va donc se focaliser sur le support matériel du bien intellectuel. Si le support change on va considérer que l’objet change et donc il faudra à nouveau remplir les deux conditions de l’article 4, paragraphe 2 de la Directive.

En droit de marque :

Toutes les manipulations du produit font obstacle à l’épuisement du droit. On touche à la fonction essentielle de la marque (mise sur le marché du produit sous le contrôle du titulaire qui y attache son nom). L’arrêt Bristol-Meyers nous enseigne que le titulaire de la marque peut s’opposer au reconditionnement vu qu’il y a atteinte à la fonction d’origine de la marque SAUF si le commerçant paralléliste remplit 5 conditions données par l’arrêt.

1. Nécessité réelle de procéder au reconditionnement sans toucher toutefois au produit lui-même : risque de cloisonnement artificiel des marchés si le titulaire exerce son droit de marque dans l’Etat d’importation. Cette nécessité objective est différente su simple avantage commercial.

2. Le reconditionnement d’affecte pas l’état originaire du produit ni les informations fournies par le titulaire à son sujet.

3. Il faut mentionner sur l’emballage l’auteur du reconditionnement.

4. Ne nuire ni à la réputation de la marque ni du titulaire.

5. Avertir préalablement à la mise en vente, le titulaire de la marque.

Conclusion : Il semble qu’en droit des marques il est possible de changer de manière substantielle le support matériel de l’objet sur lequel porte le droit de marque si l’on remplit les conditions alors qu’en droit d’auteur un changement substantiel le règle de l’épuisement ne s’applique pas. Le droit d’auteur semble donc plus restrictif que le droit de marque

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Thibault Decock
1. Epuisement numérique Il ressort clairement des arrêts Nintendo c. PCbox et Commission c. France que la directive 2009/24 sur la protection des programmes d’ordinateur est une lex specialis qui ne s’applique pas à d’autres fichiers numériques que les logiciels. Par conséquent, l’enseignement de l’arrêt Usedsoft semble ne pas s’appliquer aux autres fichiers numériques que sont les MP3, les jeux-vidéo (arrêt Nintendo),…
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1. Epuisement numérique
Il ressort clairement des arrêts Nintendo c. PCbox et Commission c. France que la directive 2009/24 sur la protection des programmes d’ordinateur est une lex specialis qui ne s’applique pas à d’autres fichiers numériques que les logiciels. Par conséquent, l’enseignement de l’arrêt Usedsoft semble ne pas s’appliquer aux autres fichiers numériques que sont les MP3, les jeux-vidéo (arrêt Nintendo), …

2. Epuisement physique
1) Il est évident que des considérations économiques entrent dans le raisonnement de la Cour. D’ailleurs, le §48 de l’arrêt Allposters confirme qu’ « appliquer la règle de l’épuisement du droit de distribution priverait ces titulaires de la possibilité (…), en cas de distribution, d’exiger une rémunération appropriée pour l’exploitation commerciale de leurs œuvres ». Elle rappelle qu’ « une telle rémunération doit être en rapport raisonnable avec la valeur économique de l’exploitation de l’objet protégé » et ajoute que « s’agissant des transferts sur toile, il est admis par les parties au principal que leur valeur économique dépasse de manière significative celle des affiches ».

Le reste de la jurisprudence considère également nécessaire de prévoir pour les auteurs un niveau de protection leur permettant d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs oeuvres (voir Peek & Cloppenburg, § 37, Football Association Premier League, § 186).

Par ailleurs, cet arrêt semble difficilement conciliable avec l’arrêt UsedSoft. En effet, la Cour exprime dans l’arrêt Allposters que l’épuisement des droits ne s’applique que pour les objets « tangibles » incorporant une œuvre (voir §37). Dès lors, la possibilité de l’épuisement semble impossible lorsque la circulation de l’oeuvre ne se réalise pas par le biais d’un bien tangible.

2) L’arrêt semble également en phase avec la jurisprudence belge. En effet, dans l’affaire Moulinsart c. PT_Prod, P&T avait acquis l’album Posters duquel elle avait détaché chacun des posters qu’elle avait encadrés afin de les revendre séparément. Le TPI de Bruxelles avait alors considéré que P&T n’avait ce faisant pas respecté la destination de l’œuvre puisque les posters étaient destinés à être vendus ensemble et attachés l’un à l’autre.

3) La différence majeure entre les deux arrêts est que la Cour Suprême du Canada met en avant la suprématie du droit de propriété tandis que la CJUE fait primer le droit d’auteur. De plus, l’aspect économique est mis en avant par rapport aux droits moraux. Puisque la Cour insiste sur le fait qu’elle s’appuie sur une tradition de common law, on peut considérer qu’il s’agit d’une approche différente entre les pays du Common law et la tradition civiliste suivie par la CJUE.

4) Il semble que l’arrêt Allposters se rapproche de la règle de l’épuisement en matière de marques. En effet, l’art. 13, §2 prévoit qu’il n’y a pas épuisement si l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. Dans l’arrêt Allposters, il ressort qu’il n’y a pas épuisement car l’objet a fait l’objet d’une modification sensible sans le consentement de l’auteur. Cela peut laisser à penser qu’une modification moindre n’aurait peut-être pas entraîné la non-application de l’épuisement, mais le critère de modification entre en compte dans les deux cas.

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Fanny Guelenne
1. En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE (par ex. l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014, C-355/12). Il faudrait aussi examiner si…
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1. En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE (par ex. l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014, C-355/12). Il faudrait aussi examiner si le récent arrêt en matière de fiscalité des livres numériques rendu par la CJUE le 5 mars 2015 (Commission c. France, C-479/13) n’a pas une incidence sur cette question.

Je ne suis pas sur que l’enseignement de l’arrêt UsedSoft peut s’appliquer à d’autres fichiers numériques.

Dans l’arrêt UsedSoft, la Cour se base sur la loi spéciale qui concerne les logiciels tandis que dans l’arrêt Nintendo, qui concerne les jeux vidéo, elle estime que c’est la directive sur le droit d’auteur qui s’applique et non celle sur les logiciels. Les faits de cette affaire sont les suivants : les entreprises Nintendo ont adopté des mesures techniques qui comprennent un système de reconnaissance que l’on retrouve dans les consoles ” Wii ” et ” DS ” ainsi qu’un code crypté du support physique sur lequel sont enregistrés les jeux vidéo qui sont protégés par le droit d’auteur. Ainsi, pour pouvoir lancer les jeux sur les consoles, il faut obtenir un code. Le but était d’empêcher l’utilisation de copies illégales de jeux vidéo ainsi que, de manière plus générale, d’empêcher l’utilisation de tous contenus multimédias qui ne proviennent pas de Nintendo.
Les entreprises Nintendo ont remarqué que des appareils de PC Box permettaient de passer outre les mesures techniques de protection. Ainsi, c’était possible d’installer des jeux vidéos mis au point par des créateurs indépendants sur les consoles « Wii » et « DS ».
La Cour a décidé que les jeux vidéo étaient des œuvres complexes et non pas de simples logiciels. Elle a estimé que ces œuvres complexes tombaient sous le champ d’application de la directive 2001/29 relative aux droits d’auteur (et non pas la directive sur les logiciels).
La Cour justifie l’application de cette directive en disant : puisque les parties d’un jeu vidéo, à savoir ses éléments graphiques et sonores, participent à l’originalité de l’œuvre, elles sont protégées avec l’œuvre par le droit d’auteur et non par la directive 2009/24 dédiée aux logiciels et considérée comme « lex specialis » par rapport à la directive 2001/29.

L’arrêt Nintendo semble donc confirmer qu’il y a bien une lex spécialis en matière de logiciel par rapport à la lex generis en matière d’épuisement numérique. On peut donc en déduire que la règle de l’arrêt UsedSoft doit se limiter aux logiciels.

Dans l’arrêt du 5 mars 2015, il y a une différence de traitement qui est faite selon que le livre soit sur support papier ou numérique. En l’espèce, la France applique un taux réduit de TVA aux livres en support électronique. La Cour considère que, en appliquant ce taux réduit de TVA à la fourniture de livres électroniques, la France a failli aux obligations qui lui incombent selon les articles 96 et 98 de la directive TVA, lus en combinaison avec les annexes II et III de ladite directive et le règlement d’exécution n° 282/2011.
Cette décision me permet de faire le lien entre cette décision et les arrêts UsedSoft et Allposters. En effet, dans ces deux arrêts, il y a une différence en ce qui concerne l’épuisement du droit selon que l’on se trouve dans le domaine numérique ou physique. Dans l’arrêt du 5 mars c’est une différence au niveau fiscal que l’on retrouve selon le support du livre.

2. a) Pensez-vous que des considérations économiques motivent l’arrêt Allposters? Mais si on compare l’arrêt UsedSoft à l’arrêt Allposters, est-ce que ce n’est pas plutôt l’arrêt UsedSoft qui dénote un raisonnement économique de la part de la Cour? Dans un cas, c’est en faveur de l’épuisement, dans un autre, c’est contre l’épuisement. Est-ce que l’on peut donc facilement réconcilier Allposters et UsedSoft? Y aurait-il une spécificité du ‘numérique’ par rapport au ‘physique’ pour la question de l’épuisement?

Selon moi, il y a des considérations économiques derrière les deux arrêts mais qui ne sont pas du même ordre. Dans l’arrêt Usedsoft, la Cour tient à favoriser l’économie en générale. Elle ne veut pas cloisonner le marché en interdisant les reventes de logiciels d’occasion. Tandis que dans l’arrêt Allposters, les considérations économiques sont en faveur de l’artiste. La Cour souhaite ainsi protéger les revenus de l’artiste. L’interprétation de la Cour dans l’arrêt Allposters est renforcée par l’objectif principal de la directive 2001/29, c’est-à-dire instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs pour leur permettre d’avoir une rémunération proportionnée à l’utilisation de leurs œuvres.

La différence majeure entre les deux affaires est que, dans Usedsoft, on est dans le domaine du numérique alors que dans le second arrêt, l’accent est mis sur le support matériel.

On pourrait réconcilier les deux arrêts si un jour la Cour examine la même question de l’épuisement des droits pour la revente, par exemple, de livres ou de MP3 d’occasion sur Internet. La question sera alors de savoir si on peut revendre d’occasion une œuvre artistique immatérielle. Dans l’arrêt Allposters, la Cour explique que l’épuisement des droits concerne exclusivement le support matériel sur lequel est fixé l’œuvre, et non l’œuvre elle-même. Ca laisse penser que la réalisation d’une copie qui serait nécessaire à une revente n’est pas couverte par l’épuisement. C’est l’avis du juriste Eleonora Rosati.

La spécificité du numérique par rapport au physique peut être justement cette nécessité de faire une copie qui n’existe pas avec un support physique.

b) L’arrêt Allposters vient apparemment confirmer la jurisprudence Poortvliet du Hoge Raad hollandais (19 janvier 1979, NJ 1979/412). Est-ce qu’il est aussi conforme à la jurisprudence belge (voir par ex. Civ._Bruxelles,_15_février_1996,_AM,_1996,_p.319_Moulinsart c PT_Prod) ?

D’après moi, cet arrêt semble effectivement conforme à la jurisprudence belge qui reconnait le droit de destination. La Belgique estime que le titulaire du droit peut contrôler la destination de son œuvre, contrôler l’usage qui est en est fait par après.

La décision du tribunal de première instance de Bruxelles de 1996 avait confirmé l’existence du droit de destination. Dans cette affaire, la s.a. Casterman avait été autorisée à reproduire des vignettes extraites d’albums d’Hergé pour les rassembler dans un album posters. La défenderesse, qui avait obtenu plusieurs de ces albums, avait détaché les posters pour les faire ensuite encadrer dans le but de les vendre. Devant le tribunal, elle invoque l’exception de parodie (article 22§1 LDA) pour justifier la revente des posters. Le tribunal estime que les posters reprennent trop d’éléments de l’oeuvre de Hergé, ce qui entraine un trop grand risque de confusion.
Le tribunal rappelle également que c’est à l’auteur que revient le droit de reproduire son œuvre et de n’autoriser la reproduction de celle-ci que dans les limites qu’il fixe. Ainsi, il considère que la défenderesse, en détachant les posters pour les encadrés dans le but de les vendre séparément, a crée des objets distincts et n’a pas respecté la destination que l’auteur avait donné à l’œuvre.

Le droit de destination existe toujours aujourd’hui mais n’est presque plus invoqué depuis la consécration expresse du droit de distribution (loi du 22 mai 2005).

c) Les gouvernements français et anglais sont intervenus dans l’affaire Allposters. La France a plaidé contre l’épuisement et l’on peut présumer que le Royaume-Uni a défendu la position inverse. Est-ce que cette position différente traduit une vision différente du droit d’auteur? Vous pouvez aussi consulter l’arrêt de la Cour suprême canadienne dans Théberge (28 mars 2002 CSC 34 (QL)), ainsi que l’analyse qu’en fait le professeur D. Gervais (voir ici). Dans cette affaire très similaire à Allposters sur le plan des faits, la Cour a considéré, contrairement à la Cour de justice, que le changement de support ne peut être contrôlé par l’entremise du droit d’auteur et a donc conclu à l’encontre des ayants droit. Cette approche différente au Canada, voire au Royaume-Uni, traduit-elle une différence entre l’approche de common law et l’approche civiliste que la Cour de justice semble avoir suivi dans Allposters?

Il existe bien une vision différente du droit d’auteur entre les pays de Common Law et les pays civilistes.

Avant la convention de Berne, les deux droits différaient à plusieurs égards.
Il est à noter, pour commencer, que l’on parle de copyright dans les pays de Common Law. C’est un concept équivalent à celui de droit d’auteur mais qui n’est pas semblable.
En effet, le Copyright relève plus d’une logique économique. Il protège davantage l’investissement de l’auteur que le coté créatif de l’œuvre. Le droit moral de l’auteur était presque inexistant avant la Convention de Berne.
Au contraire, le droit d’auteur met, lui, l’accent sur le lien entre l’œuvre et son auteur.
Une autre différence concerne l’auteur de l’œuvre. En matière de copyright, ça peut être une personne morale alors que seule une personne physique peut être l’auteur de l’œuvre en matière de droit d’auteur.
Ensuite, le copyright exige une fixation matérielle des œuvres sur un support, par exemple une vidéo. Cela engendre qu’un discours ou une chorégraphie, qui est pourtant une création de l’esprit, n’est protégé que si il est enregistré sur un support. On ne retrouve pas cette exigence dans le droit d’auteur.

Le copyright s’attache donc davantage à l’exploitation de l’œuvre qu’à l’auteur. Il se préoccupe plus de la protection des droits patrimoniaux que de la protection du droit moral de l’auteur.

Toutefois, depuis la Convention de Berne, les deux droits se sont rapprochés. Le droit moral occupe, petit à petit, une place différente dans le Copyright tandis que le droit d’auteur commence à avoir, lui, une logique économique plus importante qu’avant.

Vu l’approche économique du copyright, le fait que le Royaume-Uni soit pour l’épuisement du droit est assez étonnant puisque le copyright protège particulièrement l’investissement de l’auteur. Or, si il n’y a pas épuisement du droit, cela permettrait à l’auteur de bénéficier d’une rémunération supplémentaire.

d) Enfin, que tirer d’une comparaison entre la règle d’épuisement en matière de marques (voir art. 13 du Règlement 207/2009) et les conditions de l’épuisement selon Allposters?

En matière de marques, l’article 13 du règlement dispose que : « le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement ». Cependant, le titulaire peut invoquer des motifs légitimes pour empêcher l’épuisement (il peut invoquer, par exemple, que l’état des produits a été modifié ou altéré après leur mise sur le marché).

On peut retrouver une similitude entre l’article 13 et les conditions de l’épuisement avancées dans l’arrêt Allposters puisque la Cour estime dans cette arrêt qu’il vaut vérifier si l’objet modifié, apprécié dans son ansemble, est toujours matériellement l’objet qui a été mis dans le commerce. On peut rapprocher cela, en droit des marques, du motif légitime selon lequel le titulaire peut essayer d’empêcher l’épuisement si le produit a été modifié après sa mise sur le marché.

Ensuite, la Cour estime que le droit de distribution est épuisé si, d’une part, l’original de l’œuvre ou les copies de celle-ci ont été mises sur le marché par le titulaire du droit ou avec son consentement et si, d’autre part, cette mise dans le commerce a eu lieu dans l’Union. Ces deux conditions se retrouvent également dans le libéllé de l’article 13 du règlement.

On retrouve donc des similitudes entre la règle de l’épuisement en matière de marques et les conditions de l’épuisement dans l’arrêt Allposters.

Références:

http://m2bde.u-paris10.fr/node/2506?destination=node%2F2506
http://www.numerama.com/magazine/31966-droit-d-auteur-la-cjue-limite-le-droit-des-proprietaires-de-copies.html
http://www.afjv.com/news/3607_mesures-de-protection-nintendo-contre-pc-box.htm
http://www.irpi.fr/tribunes.asp?ref_page=589&ref_arbo=236
http://www.eauteur.com/2011/05/droit-dauteur-et-copyright-quelles-differences/
https://www.dgdr.cnrs.fr/daj/propriete/droits/Docs/comparatif-auteur-copyright.pdf

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Clara Rufi
La Directive 2001/29/CE semble confirmer l’idée que pour les logiciels il existe un « droit spécial » en matière d’épuisement numérique. Dans la décision UsedSoft, la Cour a admis l’épuisement du droit de distribution des copies permanentes de logiciels téléchargées définitivement dans certaines conditions. Néanmoins, même si les états sont censés suivre la décision, certains d’entre eux ont soulevé…
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La Directive 2001/29/CE semble confirmer l’idée que pour les logiciels il existe un « droit spécial » en matière d’épuisement numérique. Dans la décision UsedSoft, la Cour a admis l’épuisement du droit de distribution des copies permanentes de logiciels téléchargées définitivement dans certaines conditions. Néanmoins, même si les états sont censés suivre la décision, certains d’entre eux ont soulevé certaines nuances par rapport à l’inexistence de dispositions semblables dans les législations nationales

Ici on se pose la question de savoir si une extension aux autres œuvres numériques est envisageable. Dans un premier temps, la Parlement européen semblait entendre que, dans les considérations la directive 2001/29/CE, l’épuisement du droit de distribution ne devait s’appliquer que lorsque « la propriété incorporelle est incorporée à un support physique à savoir une marchandise, tout service en ligne constitue en fait un acte devant être soumis à autorisation dès lors que le droit d’auteur ou le droit voisin en dispose ainsi ».

Après l’arrêt Nintendo c. PC Box, l’extension de l’épuisement en ligne aux autres œuvres que les programmes d’ordinateur peut être encore plus contestable. Dans cet arrêt, la CJUE met l’accent sur la distinction entre les programmes d’ordinateur et les autres œuvres. La Cour confirme que les « autres œuvres » ne sont pas soumises à la Directive 2009/24 mais uniquement à la Directive 2001/29, ce qui pourrait indiquer que les solutions ne sont pas nécessairement les mêmes selon les deux directives. D’un autre côté, on pourrait penser que l’épuisement des œuvres autres que les programmes d’ordinateur ne s’appliqueraient pas.

Alors, peut-on dire qu’une distinction est faite pour chaque type d’œuvre protégée par le droit d’auteur (programme ordinateur, fichiers musicaux, livres électroniques …) ?

L’arrêt Nintendo c. PC BOX est utilisé afin de soutenir la théses qui confirme la non-distinction. Dans l’arrêt, la CJUE a soutenu que lorsqu’un jeu vidéo, en tant qu’œuvre complexe, comprend « non seulement un programme d’ordinateur, mais également des éléments graphiques et sonores, qui bien qu’encodés dans le langage informatique, ont une valeur créatrice propre qui ne saurait être réduite audit encodage […], ils sont protégés, ainsi que l’œuvre entière, par le droit d’auteur, selon le système établi par la Directive 2001/29 ».
D’après l’avis de la Cour, les œuvres complexes qui ne peuvent être réduites à leur dimension de programme d’ordinateur semblent être soumises au reégime général de l’épuisement, qui exclut expressément la possibilité d’invoquer l’épuisement en ce qui concerne des copies immatérielles

La CJUE analyse, dans son arrêt du 5 mars 2015, la question de savoir si la France et le Luxemburg peuvent appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livre électroniques. La Cour va conclure « qu’un taux réduit de TVA ne peut d’appliquer qu’aux livraisons de biens et aux prestations de services visées à l’annexe III de la Directive TVA, qui inclut la « fourniture des livres, sur tout type de support physiques ». Elle en déduit que, même si le livre électronique nécessite un support physique pour être lu, ce support est absent lors de la fourniture de livres électroniques. Par conséquent, la directive TVA exclut toute possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA aux « services fournis par voie électroniques ».

Comme mentionné avant, dans l’arrêt UsedSoft la Cour a admis l’épuisement du droit de distribution des copies permanentes de logiciels téléchargées définitivement. Par contre, on dirait que de l’arrêt Allposters va dans le sens opposé. Effectivement, il paraît que, dans cet arrêt, les juges se sont laissés emportés par des considérations économiques. Un certain niveau de protection est assuré au bénéfice des auteurs tant par la directive comme par la jurisprudence, qui leur permet d’obtenir une rémunération pour l’utilisation de leurs œuvres. Comme mentionné au point 48 de l’arrêt Allposters: « appliquer la règle de l’épuisement du droit de distribution priverait ces titulaires de la possibilité d’interdire la distribution de ces objets ou, en cas de distribution, d’exiger une rémunération appropriée pour l’exploitation commerciale de leurs œuvres. À cet égard, la Cour a déjà jugé que, pour être appropriée, une telle rémunération doit être en rapport raisonnable avec la valeur économique de l’exploitation de l’objet protégé ».

Effectivement, à travers de la jurisprudence UsedSoft, Allposters et Théberge, on perçoit des différences concernant l’épuisement. Dans l’arrêt Théberge, la Cour estime que la substitution d’un support constitue une nouvelle « reproduction », qui porte atteint aux droits du titulaire du droit d’auteur. Le débat concernant la distinction entre « reproduction » et « production » prend place dans l’arrêt. Il est clair que la notion n’est pas aisément définie.

D. Gervais analyse brièvement le conflit entre common-law et droit civil, par rapport au droit d’auteur au Canada et la notion de reproduction. Il signale que la notion de « reproduction » en droit civil est plus « vaste et englobe un droit de contrôler l’utilisation ». Dans le §32 de la décision, le juge écrit qu’un « contrôle excessif de la part des titulaires du droit d’auteur et d’autres formes de propriété intellectuelle pourrait restreindre indûment la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société ». Dans cette direction, la Cour canadienne conclu à la validité du procédé de transfert sans autorisation. Par contre, la CJUE parvient à la conclusion opposée, au terme d’un jeu entre le droit de distribution et le droit d’auteur. Le droit canadien est donc un droit common-law, car « le droit canadien en matière de droit s’intéresse traditionnellement davantage aux droits économiques qu’aux droits moraux ». Mais c’est justement quand elle il faut interpréter la violation du droit moral, que la Cour se réfère aux sources civilistes, soit disant, où se trouve la vénérable origine du droit.

L’art. 13 du Règlement 207/2009 prévoit « que le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par la titulaire ou avec son consentement ».

L’art. 4 de la Directive 2001/29/CE prévoit les conditions d’épuisement du droit de distribution et affirme que « L’épuisement du droit de distribution n’est possible qu’à la suite de la première vente ou du premier transfert de propriété de l’œuvre avec le consentement des titulaires des droits ». Avec l’arrêt Allposters, la Cour clarifie que cet article doit être interprété en ce sens que « la règle d’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas dans une situation où une reproduction d’une œuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union européenne avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support, tel que le transfert sur une toile de cette reproduction figurant sur une affiche en papier, et est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme ».

Dans les deux dispositions, nous rencontrons la notion de consentement, et la mise dans le commerce, soit des produits sous la marque spécifique soit le transfert de la propriété/première vente. Néanmoins, dans l’arrêt Allposters, la Cour conclut que le consentement des titulaires de droits ne portait pas sur la distribution des affiches modifiées en toile après la première commercialisation, mais sur la commercialisation sous forme d’affiche. Par conséquent, les titulaires peuvent s’opposer, le droit de distribution n’étant pas épuisé. Ce droit ne sera épuisé qu’à la suite de la première vente de leur premier transfert de propriété avec le consentement du titulaire de droits.

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Pauline Dombrée
DE USEDSOFT A ALLPOSTERS : DANS LE NUMERIQUE, LE DROIT D’AUTEUR S’EPUISERAIT MAIS IL N’Y A PAS D’EPUISEMENT PHYSIQUE ! 1) Contexte de l’épuisement numérique Dans son arrêt UsedSoft du 3 juillet 2012 concernant l’épuisement du droit de contrôler la revente de logiciels « d’occasion », la CJUE a considéré qu’un contrat de licence d’usage pouvait être considéré comme une « vente…
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DE USEDSOFT A ALLPOSTERS : DANS LE NUMERIQUE, LE DROIT D’AUTEUR S’EPUISERAIT MAIS IL N’Y A PAS D’EPUISEMENT PHYSIQUE !

1) Contexte de l’épuisement numérique

Dans son arrêt UsedSoft du 3 juillet 2012 concernant l’épuisement du droit de contrôler la revente de logiciels « d’occasion », la CJUE a considéré qu’un contrat de licence d’usage pouvait être considéré comme une « vente » au sens de l’article 4 § 2 de la Directive 2009/24 sur la protection juridique des programmes d’ordinateur. En effet, selon la CJUE, « une licence ‘vaut vente’ en dépit de la qualification voulue par les parties et d’une clause prévoyant son caractère ‘non transférable‘ dès lors que : (i) l’usage du logiciel n’est pas limité dans le temps et (ii) qu’il y a eu paiement d’un prix destiné à permettre au titulaire du droit d’auteur d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie obtenue. La distribution initiale d’un logiciel sous ces deux conditions, même si elle passe par un téléchargement en ligne et non par l’offre en vente d’un support tel qu’un DVD ou un CD-ROM en magasin est une ‘première vente’ qui déclenche l’épuisement du droit de distribuer le logiciel dans l’Espace Economique Européen (EEE) ». En l’espèce, la CJUE a donc jugé qu’il n’était pas possible pour Oracle de s’opposer à la revente des logiciels acquis par UsedSoft auprès de sociétés lui ayant initialement « acheté » des licences et ayant téléchargé les logiciels en cause à partir de son site Internet.

Pourquoi cet arrêt est-il intéressant ? Parce que la Directive 2001/29 portant sur le droit d’auteur dans la société de l’information prévoit, contrairement à la Directive 2009/24 sur les logiciels, un droit de communication au public (art. 3) outre le droit de distribution (art. 4). Le considérant 29 de cette Directive précise en outre que : « La question de l’épuisement du droit ne se pose pas dans le cas des services, en particulier lorsqu’il s’agit des services en ligne. Cette considération vaut également pour la copie physique d’une œuvre ou d’un autre objet réalisée par l’utilisateur d’un tel service avec le consentement du titulaire du droit ». La Directive 2001/29 semble donc exclure l’épuisement numérique pour des œuvres autres que des logiciels. Question : au vu de ce qui précède, peut-on dire qu’il existe une « lex specialis » pour les logiciels qui diffère de la « lex generalis » en matière d’épuisement numérique ? Autrement dit, peut-on tirer de l’arrêt UsedSoft une règle pouvant s’appliquer à d’autres fichiers numériques comme, par exemple, des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers textes (format ePub des ebooks) ?

Si l’on s’en réfère à l’arrêt Nintendo c. PC Box rendu récemment en matière de jeux vidéo, on voit que la CJUE considère que « s’il est vrai que la Directive 2009/24 constitue une lex specialis par rapport à la Directive 2001/29, il n’en reste pas moins que la directive 2009/24 se limite aux programmes d’ordinateurs. Or, les jeux vidéo constituent un matériel complexe comprenant non seulement un programme d’ordinateur, mais également des éléments graphiques et sonores qui, bien qu’encodés dans le langage informatique, ont une valeur créatrice propre qui ne saurait être réduite audit encodage. Dans la mesure où les parties d’un jeu vidéo, en l’occurrence ces éléments graphiques et sonores, participent à l’originalité de l’œuvre, elles sont protégées, ensemble avec l’œuvre entière, par le droit d’auteur dans le cadre du régime instauré par la Directive 2001/29 » (point 23 de la décision). Ainsi, il apparait donc clairement que les enseignements issus de l’arrêt UsedSoft en matière de logiciels ne peuvent être appliqués par analogie à d’autres fichiers numériques que ces derniers.

L’arrêt Commission c. France rendu par la CJUE le 5 mars 2015 en matière de fiscalité des livres numériques a-t-il une incidence sur cette question ? En l’espèce, la Commission affirmait que le fait pour la République française d’avoir étendu le bénéfice du taux réduit de TVA aux opérations portant sur les livres fournis par téléchargement était contraire à la Directive TVA et, plus particulièrement, à l’article 98 suivant lequel : « les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique » ainsi qu’à l’annexe II de cette dernière qui dispose que « les services fournis par voie électronique comprennent notamment le contenu numérisé de livres et autres publications électroniques » (voir règlement d’exécution n° 282/2011 de la Directive 2009/47/CE modifiant la Directive 2006/112 relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée). De son côté, la République française estimait que la fourniture de livres électroniques devait être considérée comme relevant du point 6 de l’annexe III de la Directive TVA qui stipule que « peut bénéficier d’un taux réduit : la fourniture de livres, sur tout type de support physique, y compris en location dans les bibliothèques (y compris les brochures, dépliants et imprimés similaires, les albums, livres de dessin ou de coloriage pour enfants, les partitions imprimées ou en manuscrit, les cartes et relevés hydrographiques ou autres), les journaux et périodiques, à l’exclusion du matériel consacré entièrement ou d’une manière prédominante à la publicité ». Dans cette affaire, la CJUE a considéré que les termes « sur tout type de support physique » mentionnés au point 6 de l’annexe III de la Directive TVA devaient être interprétés comme permettant l’application d’un taux réduit uniquement « à l’opération qui consiste à fournir un livre se trouvant sur un support physique ». Or, pour la CJUE, « si un livre électronique nécessite certes, aux fins d’être lu, un support physique tel qu’un ordinateur, un tel support n’est cependant pas compris dans la fourniture de livres électroniques » (points 27 et 28 de la décision). Partant, la CJUE a déclaré que la fourniture de livres électroniques constituait bel et bien un « service fourni par voie électronique » excluant la possibilité d’appliquer un taux réduit et a ainsi tranché le litige en faveur de la Commission. Comme nous pouvons le constater, cet arrêt est intimement lié à l’arrêt UsedSoft dès lors que tous deux ont trait à des services fournis par voie électronique. Les développements consacrés par la CJUE sur l’application d’un éventuel taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée pourraient donc sans doute également trouver à s’y appliquer.

2) Contexte de l’épuisement physique

Le 22 janvier 2015, la CJUE a rendu l’arrêt Art & Allposters relatif à l’épuisement du droit de distribution par rapport à un support physique tel qu’un poster. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si une société de gestion collective de droits d’auteur (Pictoright) pouvait s’opposer au transfert de l’image d’un tableau fixée sur un poster vers un autre support physique tel qu’une toile de peintre. Autrement dit, la question qui se posait était la suivante : le droit de distribution est-il épuisé dans le cas d’une reproduction vendue dans l’EEE avec le consentement du titulaire du droit « lorsque cette reproduction a ensuite subi une modification quant à sa forme et est à nouveau mise dans le commerce sous cette forme » ? Ici, la CJUE s’est fondée sur l’article 4 de la Directive 2001/29 suivant lequel « le droit de distribution dans la Communauté relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement » ainsi que sur le considérant 28 de cette dernière qui se réfère au « droit exclusif de contrôler la distribution d’une œuvre incorporée à un bien matériel » pour ensuite affirmer que les termes « objet » et « bien matériel » devaient être interprétés comme conférant « un droit des auteurs de contrôler chaque objet tangible incorporant leur création intellectuelle » (points 37 et 40 de la décision). Dès lors, la CJUE a considéré qu’il n’y avait pas d’épuisement du droit de distribution en l’espèce et a ainsi donné raison aux différents titulaires de droits d’auteur représentés par la société Pictoright.

Des considérations économiques motivent-elles cet arrêt ? Si on compare l’arrêt UsedSoft et l’arrêt Allposters, ne serait-ce pas plutôt l’arrêt UsedSoft qui dénote un raisonnement économique de la part de la CJUE ? Si l’on se réfère au point au point 45 de l’arrêt UsedSoft, on voit que la CJUE impose, pour pouvoir déterminer si une licence d’utilisation de la copie d’un programme d’ordinateur peut être considérée comme un acte translatif de propriété (et donc, comme une première vente), outre un droit d’utilisation de cette copie d’une durée illimitée, le paiement d’un prix destiné à permettre au titulaire du droit d’auteur d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire. L’approche développée par la CJUE est donc purement économique en ce qu’elle impose une condition faisant référence la valeur de la copie : pour déterminer s’il y a vente, il faut regarder si le prix payé par l’utilisateur au titulaire du droit d’auteur est la contrepartie de la copie de son œuvre. Une telle condition ne se retrouve pas dans l’arrêt Allposters où la CJUE semble développer une approche plutôt formaliste en exigeant, pour savoir s’il y a épuisement, de vérifier « si l’objet modifié, apprécié dans son ensemble, est, en soi, matériellement l’objet qui a été mis sur le marché avec le consentement du titulaire du droit » (point 45 de la décision).

L’arrêt Allposters vient apparemment confirmer la jurisprudence Poortvliet du Hoge Raad hollandais (19 janvier 1979, NJ 1979/412) suivant laquelle « il y a une nouvelle divulgation lorsque l’exemplaire d’une œuvre mis dans le commerce par le titulaire du droit est distribué au public sous une autre forme, dans la mesure où celui qui commercialise cette nouvelle forme de cet exemplaire dispose de nouvelles possibilités d’exploitation ». Qu’en est-il au niveau de la jurisprudence belge ? Dans une décision du 15 février 1996, le tribunal de première instance de Bruxelles semble suivre une approche similaire. En effet, dans cette affaire concernant la reproduction de vignettes tirées des albums d’Hergé et regroupées dans des « Albums posters » édités par la société Casterman, le juge a estimé « qu’en détachant les différents posters contenus dans ces ‘Albums Posters’, destinés à être vendus ensemble et attachés l’un à l’autre, pour les vendre séparément et encadrés, la défenderesse n’a pas respecté la destination donnée à son œuvre par l’auteur ». Partant, le juge a considéré qu’il y avait usage abusif des reproductions autorisées et a ordonné à la défenderesse de cesser les activités en question.

Les gouvernements français et anglais sont intervenus dans l’affaire Allposters. La France a plaidé contre l’épuisement et l’on peut présumer que le Royaume-Uni a défendu la position inverse. Est-ce que cette position différente traduit une vision différente du droit d’auteur? Il y a-t-il une différence entre l’approche de common law et l’approche civiliste que la CJUE semble suivre ? L’approche civiliste parait faire preuve de beaucoup plus d’activisme que l’approche de common law en ce qu’elle ne s’en tient pas uniquement à la qualification donnée par les parties à leur relation (points 44 à 46 de l’arrêt UsedSoft) mais prend également en compte l’objectif et l’effet utile de la règle de sorte à ne pas vider celle-ci de son sens (points 34 à 37 et points 47 à 48 de l’arrêt Allposters).

Que tirer d’une comparaison entre la règle d’épuisement en matière de marques et les conditions de l’épuisement selon Allposters? Suivant l’article 13 du règlement 207/2009 sur la marque communautaire :

« 1. Le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.
2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce ».

Le deuxième paragraphe de cette disposition fait penser à l’article 4 (2) de la directive 2001/29 devant être interprété en ce sens que « la règle de l’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas dans une situation où une reproduction d’une œuvre protégée, après avoir été commercialisée dans l’Union européenne avec le consentement du titulaire du droit d’auteur, a subi un remplacement de son support et est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme ».

Selon ces dispositions, la règle de l’épuisement ne s’applique donc pas pour des produits ou des exemplaires autres que ceux initialement mis dans le marché par le titulaire du droit ou avec le consentement de celui-ci.

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Coscia Alissya
Question n° 1. Dans l’arrêt Usedsoft, la Cour énonce une règle peu protectrice des droits d’auteurs en matière de programme informatique. Elle prononce en effet l’épuisement des droits du titulaire lorsque celui-ci a céder une licence de droit d’auteurs pour la distribution de ses logiciels informatiques, lorsque ces programmes sont repris par un autre distributeur (Usedsoft) dans un but de commercialisation…
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Question n° 1.
Dans l’arrêt Usedsoft, la Cour énonce une règle peu protectrice des droits d’auteurs en matière de programme informatique. Elle prononce en effet l’épuisement des droits du titulaire lorsque celui-ci a céder une licence de droit d’auteurs pour la distribution de ses logiciels informatiques, lorsque ces programmes sont repris par un autre distributeur (Usedsoft) dans un but de commercialisation de seconde main. La Cour a en effet estimé qu’en matière de programme d’ordinateur, la licence valait vente. Il s’agit là d’un degré de protection très faible reconnu aux logiciels informatiques.
Une telle règle ne pourrait s’appliquer aux logiciels de jeux et aux fichiers musicaux car elle est en totale contradiction avec l’avis qu’a exprimé la Cour dans l’arrêt Nintendo. En effet, dans un litige opposant Nintendo à PC Box, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé, le 23 janvier 2014, le champ des mesures techniques de protection. Ces mesures avaient pour objectif d’empêcher l’utilisation de copies illégales de jeux vidéo mais également de tous contenus multimédias ne provenant pas de Nintendo. Pour la petite histoire, Nintendo a constaté que des appareils de PC Box permettaient de contourner les mesures techniques de protection de sorte que des jeux vidéo réalisés par des créateurs indépendants pouvaient être installés sur les consoles ” Wii ” et ” DS “. Elle a alors décidé de poursuivre la société Pc Box pour la commercialisation d’appareil permettant de contourner les Codes de Nintendo. Le Tribunal de Milan a posé une question préjudicielle à la CJUE : « la mise en place de mesures techniques de protection par Nintendo sur ses consoles excède-t-elle ce qui est prévu à l’article 6 de la directive 2001/29 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information en ce sens que ces mesures excluaient toute interopérabilité avec des appareils et produits complémentaires ne provenant pas de l’entreprise fabriquant le système lui-même ? » La Cour rappelle tout d’abord que la protection qui doit entourer les jeux vidéo ne peut être réduite à celle des programmes d’ordinateur dans la mesure où ces jeux comprennent une histoire, un parcours narratifs, des images, etc. … Elle répond ensuite de la sorte à ladite question préjudicielle : Elle va rappeler l’enseignement de la jurisprudence infopacq et va également mentionner que les mesures techniques font l’objet de protection lorsqu’elles sont efficaces pour protéger les droits d’auteurs et qu’elles sont proportionnée. Il faut qu’elle ne prive pas l’appareil de toute interopérabilité avec le reste des appareils, de sortes à ne pas réduire excessivement la concurrence. L’usage que les tiers font de ce type d’appareils entrera également en considération dans l’appréciation de la nécessité d’une telle protection. En effet, si l’installation de mesures techniques peut être fondée pour empêcher des atteintes aux droits du titulaire de droits de propriété intellectuelle, de tels systèmes pourraient en revanche s’avérer injustifiés s’ils sont disproportionnés et portent atteinte de manière excessive à la concurrence sur le marché en ce sens qu’ils excluent toute interopérabilité avec des appareils.
Concernant les fichiers textes tels que les e-books, une la règle de l’épuisement appliqué pour la commercialisation post-licence par un tiers proposant un site de « service » paraîtrait inconcevable dans la mesure où cela irait à l’encontre de la position de la Commission relative à la fiscalité en matière de droit d’auteurs. En effet, il semblerait qu’on ne puisse appliquer un taux réduit à ce type de service informatique. La Cour a constaté dans l’arrêt Commission contre France que la directive TVA exclut toute possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA aux «services fournis par voie électronique». Nous pourrions déduire de cela que ce type de service ne pourrait faire application de la règle de l’épuisement s’il s’agissait d’une commercialisation de seconde main, dans la mesure où le titulaire des droits d’auteurs aurait déjà donné licence auparavant à un intermédiaire.

Question n°2.
2.a) Il semblerait que l’arrêt Allposters ne soit pas tant motivé par des considérations économiques que par des considérations protectrices, voir protectionnistes, du droit des auteurs et des cédants dans le cadre des contrats de licence relatifs à la propriété intellectuelle. Cela ne signifie toutefois pas que cet arrêt soit totalement dépourvu de considérations économiques. En effet, le renforcement des conditions de l’épuisement, en qui renforcent la protection du cédant, récompense certainement le génie de l’œuvre ainsi que la grandeur d’âme de celui qui cède ses droits, pour une plus grande communication de la culture artistique et littéraire au grand publique. Les impacts d’un tel encouragement sont certainement bénéfique au commerce dans l’ensemble de l’Union Européenne. Une telle décision encourage en effet les auteurs à donner des licences d’exploitation dans la mesure où ceux-ci sont désormais informés que tout écart par rapport à ce qui a été consenti par les parties sera strictement sanctionné. L’épuisement du droit d’auteur nécessitant, selon la jurisprudence, que le consentement relatifs à la distribution de l’œuvre porte également sur toutes les modalités de distribution, allant jusqu’à englober la nature du support physique ! Mais si on compare l’arrêt Usedsoft à l’arrêt Allposters, on constate que la Cour n’a pas favorisé les arguments économiques de l’acceptation large de la notion d’épuisement dans le second, alors que dans le premier, elle semble favoriser la libre circulation des œuvres ainsi que la liberté de commerce. En effet, en considérant que la règle de l’épuisement ne pourra être invoquée si le titulaire des droits d’auteurs n’a consentit à la distribution de l’œuvre sur un support autre que celui qui avait fait l’objet d’un accord dans le contrat de licence, dans la mesure où ce nouveau support pouvait engendré un viabilité plus longue à l’œuvre, mais également une qualité différente ainsi qu’un caractère plus proche de l’œuvre originale, la Cour freine nécessairement la libre circulation des œuvres.
« J’ai consenti à une distribution de mon œuvre sur papier, mais pas à une distribution de celle-ci sur tissus, sur toile ou sur porcelaine, par conséquent, il ne peut y avoir épuisement de mon droit à m’opposer à une telle commercialisation. » Pouvons-nous véritablement considérer que de telles affirmations, si elles sont, en plus, totalement encouragées par la jurisprudence européenne, ne soient pas de nature à porter atteinte à la distribution des œuvres et à la liberté de commerce ? Certainement pas. Néanmoins, cette décision tant à une protection accrue des droits d’auteurs et du contrôle que les donneurs de licence peuvent avoir sur l’exploitation qui est faite de leurs œuvres. Il y a des arguments pour et contre. Dans le cas d’espèce, il est claire que la vente d’œuvre d’art sur toile plutôt que sur poster semblait relever d’une vente de copies vulgaires de par le caractère proche des supports utilisé par la société Allposters avec ceux utilisés par les auteurs d’originaux. Il ne faut pas confondre poster et toile de peintre, en revanche, il ne faut pas non plus en arriver à des considérations qui freinerait le commerce en obligeant les parties à renégocier les contrats sous des prétextes tels que : « Mon œuvre sur des assiettes d’accord ! Mais pas sur des tasses.»
Dans l’arrêt Usedsoft, la Cour se prononce pour l’épuisement suite à un contrat de licence portant sur un logiciel informatique. La revente de logiciel en « seconde main » par Usedsoft n’avait pourtant pas été consentie par la société Oracle qui avait donné licence à un intermédiaire. Une telle décision encourage très certainement la liberté de circulation des logiciels informatiques, ainsi que le recyclage d’œuvres usagés et dépassés de par le caractère « utilitaire » des logiciels. S’il est encore possible de faire du commerce avec des œuvres qui ne valent plus grand-chose, l’auteur ne peut faire entrave à cette liberté de commerce en s’y opposant, dès lors ou il a déjà cédé son droit à distribution à une autre société. Le consentement de l’auteur quant aux modalités de distributions est ici interprété plus largement que dans l’affaire ci-dessus. Il s’agit là, en effet, d’une interprétation grossière, dite « à la grosse louche », de ce que le titulaire des droits a « bien voulu » lorsque celui-ci a contracté. Cette interprétation est plus favorable au commerce et donc, à l’économie, qu’elle ne l’est à l’égard de l’auteur. La Cour parle pourtant, dans les deux arrêts, d’un même droit : le droit d’auteur et son épuisement. Les droits d’auteurs protègent pourtant les logiciels au même titre que les peintures sur toile, faut-il par conséquent considérer qu’il y a deux poids deux mesures ? Un argument favorable pourrait toutefois consisté dans le fait que, dans l’affaire Usedsoft, il ne s’agissait pas de la commercialisation de l’œuvre informatique sur un support différent que celui qui avait été consenti dans le contrat de licence, à savoir, la sphère informatique. Néanmoins, il s’agit là d’une situation ou un tiers au contrat intervient pour commercialiser l’œuvre sur une plateforme qui, quant à elle, n’avait pas été consentie par l’auteur. Il en découle que si la Cour avait appliqué, dans l’arrêt Usedsoft, le même raisonnement restrictif que celui qui a été prôné dans l’arrêt Allposters, la solution aurait certainement été très différente. C’est pourquoi ces arrêts sont irréconciliables, à notre sens.
Il y aurait toutefois lieux de soulever, à décharge de la Cour, la spécificité du numérique. La différence de traitement opéré par la Cour découle peut-être du caractère volatile des logiciels informatique et de la difficulté de contrôle de leur commercialisation, circulation et contrefaçon. En privilégiant la liberté pour ces œuvres par un droit d’épuisement plus « light » que dans le cas des œuvres physique, la Cour a peut-être voulu éviter que les pro de l’informatique ne fassent trop de copie de logiciels illégaux, sachant que leur réutilisation dans le commerce est tout à fait légal.
2.b) Oui, cette jurisprudence est conforme à la jurisprudence constante et ancienne de la jurisprudence belge. Ce point de vue se constate dans l’affaire opposant la société Moulinsart qui gérait les droit de Hergé ainsi que la veuve de celui-ci, encore titulaire des droit moraux s’attachant à l’œuvre ‘Tintin’ à la société Casterman, parce que ce dernier avait commercialisé des cadres séparés contenant des Poster de Tintin, alors qu’il s’était vu attribuer une licence pour publier UN ALBUM regroupant ces images. Le Tribunal avait considéré en l’espèce que « le titulaire des droits d’auteurs était libre de distribuer son œuvre dans les conditions qu’il prescrit et dans les mesures qu’il fixe. » et que, par conséquent, Caterman avait fait un usage abusif de la reproduction autorisée. Il s’agit là d’une interprétation de la notion d’objet du droit de distribution attribué par licence tout aussi restrictive que celle de la Cour de justice.
2.c) Il ne s’agit pas tant d’une conception différente du droit d’auteur en droit anglo-saxon et franco-belge que d’une conception différentes des droits qui appartiennent aux utilisateurs de l’œuvre par le biais d’un contrat de licence de droits d’auteurs. Comme le déclare le professeur D. Gervais, la Cour reconnaît des droits à ces utilisateurs et ces droits sont opposables aux titulaires des droits ! Il y a également un conflit relatif à la notion de reproduction entre les deux ordres juridiques. En effet, il faut qu’il y ait une reproduction de l’œuvre qui soit non conforme au contrat de licence pour qu’on puisse considérer qu’il n’y a pas épuisement par la commercialisation de cette « copie ». Or, la jurisprudence anglaise à considérer qu’il n’y avait pas reproduction. Citons, à titre d’illustration, les explications du prf. Gervais :
« Pour M. le juge Binnie, il n’y a pas eu d’augmentation du nombre net d’exemplaires «no new reproduction was brought into existence ») alors que pour le juge Gonthier, « ce que l’on compte afin de déterminer s’il y a eu reproduction, ce n’est pas le nombre total de copies de l’oeuvre en existence suite à la rematérialisation, mais bien le nombre de matérialisations survenues dans le temps. » Intéressant. »
Il ne s’agit pas d’un conception différente de la portée du droit d’auteur, bien que la jurisprudence anglo-saxonne semble rétablir « un équilibre » entre le protectionnisme du droit de la propriété intellectuelle qui caractérise son droit et les droit d’exploitation qui appartiennent aux titulaires de licence. La juge Binnie, dans l’affaire Théberg, n’a, de plus, pas manqué d’ajouter qu’il n’est pas exclu que le fait de distribuer l’œuvre conforme et consentie à distribution, sur un autre support que celui convenu pouvait empêcher qu’il y ait épuisement dans la mesure où l’œuvre aurait fait l’objet d’une ‘reproduction parfaite par coup de pinceau sur toile, alors même que l’œuvre sur Poster demeure intact.
La portée du droit d’auteur ne fait pas l’objet d’un conflit en l’occurrence, c’est l’interprétation de la notion de « reproduction » qui engendre l’épuisement, ainsi que la portée des droits attribués au titulaire de la licence. Certes, la France, la Belgique, la Hollande et l’Union a tendance à interpréter strictement le consentement du titulaire de droit, considéré comme la partie « faible » du contrat, tandis que le Canada, l’Angleterre et les Usa s’attache d’avantage à une interprétation du contrat et des faits conformément aux termes des lois relatives à la propriété intellectuelle.
2.d) L’article 13 dudit règlement énonce que le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à la commercialisation d’un produit assorti de sa marque sur le territoire de l’UE, lorsqu’il y a consenti. Il prévoit toutefois des exceptions : celles où le titulaire s’y opposerait pour des motifs légitimes et, en outre, où le produit en question aurait été altéré ou modifié par sa mise dans le commerce. La décision « Allposters » semble assez proche du raisonnement suivit par la réglementation relative au droit de marque. En principe, le titulaire d’un œuvre qui a cédé licence d’exploitation de celle-ci ne peut s’opposer à sa distribution par le biais des produits consenti, sur le territoire européen (règle de l’épuisement) sauf si des motifs légitimes appuient ce refus. En l’espèce, l’œuvre sur toile pouvait laisser penser aux acheteurs qu’ils acquéraient une œuvre originale, ou, encore, la transposition de l’image poster sur toile peut modifier la qualité de l’image. Le problème étant que la toile est une matière qui améliore la qualité du produit vendu. Quoi qu’il en soit, la loi semble dire que l’on peut distribuer une marque sur des produits à travers l’UE si la distribution de la marque sur ces produits a été consentie. Peut-être pouvons-nous considérer que les toiles et les posters sont des produits tellement différents qu’il y a lieu de considérer que l’auteur n’a jamais consenti à la distribution de son œuvre sur de tels supports. Quoi qu’il en soit, la Cour semble avoir été inspirée par la règle d’épuisement en matière de droit de marque pour le dispositif de sa décision.

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Caroline Blondiau et Charlotte Laplace
1) En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft (considéré qu’un contrat de licence d’usage de logiciel peut néanmoins être considéré comme une “vente” au sens l’article 4 (2) de la Directive 2009/24) peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de…
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1) En matière d’épuisement numérique, la règle de UsedSoft (considéré qu’un contrat de licence d’usage de logiciel peut néanmoins être considéré comme une “vente” au sens l’article 4 (2) de la Directive 2009/24) peut-elle s’appliquer à d’autres fichiers numériques, par exemple des fichiers musicaux (format MP3) ou des fichiers texte (format ePub pour des ebooks)? La réponse doit s’appuyer sur de plus récentes décisions de la CJUE (par ex. l’arrêt Nintendo c. PC Box du 23 janvier 2014, C-355/12). Il faudrait aussi examiner si le récent arrêt en matière de fiscalité des livres numériques rendu par la CJUE le 5 mars 2015 (Commission c. France, C-479/13) n’a pas une incidence sur cette question. La Directive 2001/29 semble donc exclure l’épuisement numérique pour des oeuvres autres que des logiciels. On doit se demander si les arrêts postérieurs de la Cour de justice viennent plutôt confirmer ou infirmer l’idée qu’il existe une “lex specialis” pour les logiciels qui diffère de la “lex generis” en matière d’épuisement numérique.

L’arrêt Nintendo concerne la revente par PC Box de copies de jeux via son site internet hébergé par 9Net et l’interprétation de l’article 6 de la directive 2001/29/EC.
La cour considère que la protection des jeux vidéo ne peut pas être réduite à celle des programmes d’ordinateurs, en effet, ceux-ci étant plus complexe : à la fois un programme d’ordinateur, complété par des éléments graphiques et sonores ayant une valeur créative unique étant protégé par le droit d’auteur.
Selon l’avocat général, le but principal de cette directive étant de donner une haut niveau de protection pour les auteurs, il considère que les mesures technologiques utilisées in casu (partiellement incorporées dans un support physique qui est le jeu vidéo et partiellement dans la console, requérant une interaction entre les deux) tombe dans le concept de « effective technological measures» de l’article 6 de cette directive.

Concernant l’arrêt « commission contre France », le problème se trouve dans le fait que la France étend un taux réduit de TVA initialement prévu pour la livraison de biens et la prestation de services à la fourniture de livres électroniques. La décision de la Cour va dans le sens de la Commission en ce qu’elle considère que la livraison d’un livre électronique ne peut être considérée comme livraison d’un bien, au sens de la directive TVA, car le livre électronique n’est pas un bien corporel.

Au vu de ces deux arrêts, nous imaginons que lorsqu’il s’agit d’un élément complexe contenant un programme d’ordinateur mais également d’autres éléments, il est possible d’appliquer la directive 2001/29 et du coup, nous pensons que la règle de UsedSoft s’appliquerait dans ce cas.
Mais, lorsqu’il ne s’agit que d’un fichier numérique simple ne contenant pas de programme d’ordinateur, la directive ne s’applique pas. Néanmoins, il nous semblerait logique d’appliquer tout de même cette règle d’épuisement numérique.
De notre point de vue, il s’agit d’une lex generis pour les éléments numériques.

2) Quant à l’épuisement “physique”, l’arrêt Allposters pose beaucoup de questions:

a) Pensez-vous que des considérations économiques motivent l’arrêt Allposters? Mais si on compare l’arrêt UsedSoft à l’arrêt Allposters, est-ce que ce n’est pas plutôt l’arrêt UsedSoft qui dénote un raisonnement économique de la part de la Cour? Dans un cas, c’est en faveur de l’épuisement, dans un autre, c’est contre l’épuisement. Est-ce que l’on peut donc facilement réconcilier Allposters et UsedSoft? Y aurait-il une spécificité du ‘numérique’ par rapport au ‘physique’ pour la question de l’épuisement?

Concernant le numérique, l’arrêt UsedSoft indique qu’en cas de revente d’une licence d’utilisation emportant la revente d’une copie d’un programme d’ordinateur téléchargée à partir du site internet du titulaire du droit d’auteur, le second acquéreur ainsi que tout acquéreur ultérieur pourront se prévaloir de l’épuisement du droit de distribution.
Dans ce cas, il y a effectivement épuisement, ce qui permet à UsedSoft de continuer à commercialiser ces logiciels « de seconde main ».

L’arrêt Allposters, lui, indique, concernant le physique, que la règle d’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas lorsqu’il y a une reproduction de l’œuvre protégée ayant subi un remplacement de son support, après avoir été commercialisée dans sa version originale dans l’UE.
Dans ce cas, il n’y a donc pas d’épuisement, ce qui ne permet à Allposters de commercialiser ses reproductions sans qu’il y ait atteinte au droit d’auteur.

Dans les deux cas, il y a effectivement des considérations économiques. Nous constatons qu’aussi bien dans l’arrêt UsedSoft que l’arrêt Allposters, l’auteur (du logiciel ou du tableau) ne sera point privilégié. On va favoriser la commercialisation, sur base du produit initial, d’un dérivé ou bien du produit lui-même mais ayant déjà été utilisé.
La spécificité du numérique ici est que l’épuisement se fait sur le produit lui-même alors que pour le physique, il s’agit d’une reproduction sur un autre support du produit d’origine, ce que l’on pourrait considéré comme une œuvre différente.

b) Est-ce que l’arrêt Allposters est conforme à la jurisprudence belge ( Civ. Bruxelles, 15 février 1996 ) ?

L’arrêt Allposters semble conforme à la jurisprudence du tribunal de Bruxelles. En effet, dans l’arrêt Allposters, la Cour de justice considère que la règle d’épuisement du droit de distribution ne s’applique pas lorsqu’il y a reproduction d’une œuvre protégée qui a subi un remplacement de son support après que celle-ci ait été commercialisée dans l’Union européenne avec l’accord du titulaire du droit d’auteur. Par conséquent, le transfert d’une reproduction d’une œuvre d’une affiche papier à une toile qui est à nouveau mise sur le marché sous sa nouvelle forme ne se voit pas appliquer la règle de l’épuisement.

Dans l’affaire du tribunal de Bruxelles, la S.A Casterman a été autorisée à reproduire des vignettes tirées d’albums d’Hergé dans le but exclusif de les regrouper dans un album posters. Ces albums ont été vendus et avait reçu l’accord du titulaire du droit pour cette vente. La défenderesse a, ensuite, décidé de détacher les différents posters des albums qu’elle a acquis pour les vendre séparément et a, ainsi, créé des objets distincts et n’a pas respecté la destination de cette oeuvre. Il a donc été jugé qu’il y avait eu usage abusif de reproductions autorisées. La défenderesse s’est livrée à des actes de contrefaçon de l’œuvre d’Hergé en exploitant sous la forme de posters détachés et encadrés séparément les feuilles extraites d’un album autorisé.

On peut rapprocher les deux affaires dans le sens où dans les deux cas il y a eu une reproduction de l’œuvre sur un autre support ou d’une autre manière que celle autorisée. La théorie de l’épuisement ne s’appliquera pas et on peut contester la vente de ces reproductions sous cette forme non autorisée.

c) Y-a-t-il une différence entre l’approche civiliste adoptée par le CJUE et l’approche Common Law de l’arrêt Théberge.

Les deux approches ont une vision différente de la notion de reproduction et sur l’interprétation de la règle de l’épuisement.

Selon l’approche civiliste adoptée par la CJUE dans le cadre de l’affaire Allposters, l’entoilage permet d’augmenter la durabilité de la reproduction ainsi que d’améliorer la qualité de l’image par rapport à l’affiche ce qui permet de rendre un résultat plus proche de l’original. Il y a donc création d’un nouvel objet incorporant l’image de l’œuvre protégée et l’affiche cesse d’exister lors du processus d’entoilage. Malgré l’argument d’Allposters qu’il n’y a pas eu de multiplication, la Cour soutient que malgré le fait que l’encre soit préservée lors du transfert, cela n’affecte pas le fait que le support de l’image a été changé. Le consentement du titulaire ne porte pas sur la distribution d’un objet incorporant l’œuvre dont il est titulaire si cet objet a été modifié après sa première commercialisation de manière à ce qu’il y ait une nouvelle reproduction.

Selon l’approche de la Common Law consacrée par la décision majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Galeries d’art du Petit Champlain Inc. C. Théberge, il n’y a pas de reproduction si il n’y a pas eu de multiplication. Dans cette affaire, une œuvre de Claude Théberge initialement sur poster ou affiche a été entoilée grâce à un processus qui retire l’encre des affiches. Ce procédé permet ainsi de transférer l’œuvre sur un autre support sans pour autant qu’il y ait multiplication. En effet, à partir d’une affiche, on ne peut créer qu’une toile et l’image de l’oeuvre ne sera plus sur l’affiche à la fin du processus. Ce cas a posé de nombreux problèmes notamment car le prix d’une toile est plus élevé que le prix d’une affiche et que l’auteur de l’œuvre n’en tire pas un plus grand bénéfice. Celui-ci perd également des parts de marché sur ses œuvres originales car les personnes se tournent plus aisément sur une œuvre reproduite. Cependant, le juge ne voulait pas qu’un contrôle excessif de la part des titulaires des droits d’auteurs restreigne la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative à long terme de l’ensemble de la société. Les utilisateurs auraient ainsi non seulement des intérêts mais également des droits opposables aux auteurs de l’œuvre. Le droit d’auteur ne serait donc pas droit naturel mais un contrat entre l’auteur et l’utilisateur. Il ressort de cette décision que le propriétaire d’un exemplaire peut le transférer sur un support différent sans autorisation additionnelle à condition que l’exemplaire de départ soit simultanément détruit pendant le processus de transfert. De plus, celle-ci soutient qu’il n’y a pas eu de changement de forme de l’œuvre donc il n’y a pas de reproduction sous une nouvelle forme.

Ces deux affaires sont très similaires mais aboutissent à des résultats différents. L’approche Common Law prend parti pour l’utilisateur du droit qui a selon elle des droits alors que la position civiliste protège le titulaire de l’œuvre. La Common Law s’attache également plus à des notions économique et prend en compte la multiplication contrairement à l’approche civiliste qui ne prend pas en compte cette multiplication mais bien le changement du support sur laquelle l’œuvre était reproduite.
d) Comparaison entre la règle de l’épuisement en matière de marque et les conditions de Allposters

En matière de marque, il y aura épuisement lorsque le titulaire a mis des produits dans le commerce de la communauté sous cette marque ou lorsqu’il y a consenti. Cependant, la règle de l’épuisement ne sera pas d’application si des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce.

Dans le cas de l’arrêt Allposters, la règle de l’épuisement ne s’appliquera pas lorsque il y a une reproduction du produit sur un autre support que celui qui a été commercialisé pour la première fois.

Le droit des marques consacre la règle de l’épuisement de manière plus stricte que l’arrêt Allposters et ne permet au titulaire de s’opposer que s’il y a des motifs légitime qui justifient le refus à la commercialisation de produits dont l’état a été modifié après leur mise dans le commerce. Dans l’arrêt Allposters on ne parle nullement de motifs légitimes qui pousseraient le titulaire du droit d’auteur à refuser la commercialisation sur un autre support de l’œuvre mais on refuse que la commercialisation d’un nouveau support incorporant l’œuvre sans consentement qu’il y ait des motifs légitimes ou non. On pourrait cependant considérer qu’il y a des motifs légitimes économiques justifiant le refus du titulaire dans l’affaire Allposters.

Charlotte Laplace et Caroline Blondiau

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