Dans un billet d’avril 2013 (ici) consacré à la revente de fichiers numériques de ‘seconde main’ sur ReDigi, IPdigIT se demandait si la décision du 30 mars 2013 rendue par la District Court de New York dans Capital Records v. ReDigi était transposable en Europe. Pour le juge américain, le service de revente numérique de ReDigi n’est pas comparable à un magasin de revente de disques vinyle ou de CD de seconde main car une nouvelle reproduction est faite sur le serveur de ReDigi à partir de la copie du vendeur d’occasion (c’est-à-dire à partir du fichier se trouvant sur son ordinateur). Or, la règle américaine du “first sale “(comparable à la règle européenne de l’épuisement) est déclenchée par la première distribution de l’objet protégé, mais ne s’applique pas en cas de copie nouvelle car le droit de reproduction ne s’épuise pas, contrairement au droit de distribution.
Pour contourner l’obstacle juridique de Capital Records, ReDigi a annoncé début 2014 (communiqué de presse disponible ici) qu’elle avait désormais recours à une nouvelle technologie brevetée. Le brevet américain n° 8,627,500 B2 concerne une méthode de gestion et de revente de contenus numériques qui ne nécessite aucune copie sur la plateforme de revente. Cette technologie assure une “transaction atomique” selon les termes utilisés par ReDigi: il s’agit d’un mécanisme de transfert de fichier basé sur le cloud qui transfère automatiquement un bien “original” d’un propriétaire vers un nouveau propriétaire, sans faire de copie intermédiaire. Le système garantit aussi que la copie de départ, ainsi que les copies personnelles qui auraient été faites par le vendeur du fichier d’occasion, ont été retirées de son ordinateur. (Mais l’effectivité de cette technique reste à démontrer, notamment compte tenu des autres copies que le propriétaire originaire a pu faire sur d’autres machines). La technologie de ReDigi se distingue donc de celles dites de “copy and delete” qui font une copie tout en s’assurant que la copie originale est détruite. Ces dernières technologies déjà connues (et brevetées par Amazon ou Apple) ne permettraient pas de contourner l’écueil mis en évidence dans l’arrêt Capital Records v. ReDigi. Cette innovation technologique illustre bien le jeu permanent de cache-cache qui se joue entre technologie et droit.
La question demeure de savoir si la règle de l’épuisement du droit de distribution connue en droit européen est applicable dans l’univers du numérique. L’arrêt Oracle c. UsedSoft du 3 juillet 2012 de la Cour de justice de l’UE (C-128/11) qui porte sur l’épuisement du droit de distribuer des logiciels reste la référence en Europe.
Trois questions à examiner.
Faut-il considérer l’arrêt UsedSoft comme définissant une lex specialis applicable aux seuls logiciels ou, au contraire, considérer que la même règle de l’épuisement est applicable à d’autres fichiers numériques (par ex. des MP3 musicaux ou des ebooks)?
Ensuite, si l’on conclut que la jurisprudence UsedSoft est applicable aux seuls logiciels, cela vaut-il pour des jeux-vidéos ou des ‘apps’ distribués en ligne? La réponse oblige à s’interroger sur la notion de logiciel et à revenir sur un autre arrêt de la Cour de justice de l’UE, l’arrêt dit BSA ou BeSoft (22 déc. 2010, C-393/09).
Enfin, pensez-vous que la nouvelle technologie proposée par ReDigi permet de toute manière de considérer comme licite la revente en ligne de fichiers audio ou texte licitement acquis?