Le film Jobs, sorti en 2013, déroule le parcours biographique du célèbre fondateur de la marque à la pomme, de ses années d’étudiant à la sortie en 2001 de l’iPod qui allait révolutionner l’accès à la musique et à d’autres contenus. (Ashton Kutcher est rentré dans la peau de Steve Jobs sous la direction de Joshua Stern.) On découvre un Jobs jeune passionné par les circuits intégrés mais aussi la calligraphie et la culture de carottes bio. La contre-culture des années 1960, ses hippies avec leurs rêves alternatifs nourris au LSD, les voyages en Inde, les couleurs psychédéliques, tout cela imprègne Jobs, qui opère une “fusion du Flower Power et des puces électroniques, de la quête de la révélation personnelle et de la haute technologie” (selon les mots de son biographe, W. Isaacson, Steve Jobs, Le Livre de Poche, 2011, p. 113).
En 1976, Steve Jobs et son ami Steve Wozniak, informaticien génial, décident de créer une société pour laquelle il fallait trouver un nom. Pendant un trajet en voiture, écrit W. Isaacson (p. 123),
“ils cherchèrent une idée. Un terme technique emblématique tel que Matrix? Ou un néologisme, tel que Executek, ou d’autres appellations d’une évidence ennuyeuse telle la Personal Computer Inc.? Ils devaient avoir une idée avant le lendemain, car Jobs voulait remplir les papiers. Finalement il proposa Apple Computer. “J’étais dans la phase “pommes” de mon régime expliqua-t-il. Je revenais de la plantation de pommiers. Je trouvais ce nom drôle et sympathique, et pas intimidant. Apple mangea finalement le mot “computer”. En plus, cela nous plaçait devant Atari dans l’annuaire!”. Il posa un ultimatum: si Wozniak n’avait pas une meilleure idée d’ici le lendemain après-midi, ce serait Apple. Et Apple ce fut“.
Au fil des années, Steve Jobs est parvenu à susciter une profonde allégeance à cette marque qui avait une image de simplicité, un effet un peu décalé et un zeste de contre-culture aux couleurs de l’arc-en-ciel, de retour à la nature. Aujourd’hui, c’est la marque la plus valorisée au monde (98,316 $m pour 2013) selon les évaluations d’Interbrand (ici).
Apple tire sa force d’une douce transgression. Déjà le logo de la pomme croquée évoque le péché mignon. Cette dose d’anticonformisme qui plaît, on la retrouve dans la célèbre publicité d’Apple “Think Different” (1997).
“Seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde y parviennent”: lire cela dans une publicité flatte les attentes des consommateurs avides de refaire le monde et d’apparaître comme rebelles. Des consommateurs qui veulent que le produit marche, c’est la moindre des choses. Qu’il procure de l’émotion aussi. Avec Apple, l’ordinateur ou le téléphone n ‘est plus un objet technique, c’est un style, c’est de l’art. L’esthétique crée le prestige et la désirabilité. “Apple, fruit de la passion” titrait Le Monde (27 oct. 2012). Une passion savamment orchestrée par une entreprise. Ce conditionnement est l’envers du décor. “Apple, la tyrannie du cool” est le titre d’un film documentaire de D. Kourtchine et S. Bergère qui démonte certains ressorts du fanatisme détendu de la marque. Des chercheurs interrogés dans ce documentaire de 50 minutes expliquent “comment la contre-culture, qui voulut dans les années 1960 combattre le capitalisme en luttant contre l’homogénéisation des modes de vie, a au contraire merveilleusement servi le “système” en multipliant les formes de consommation” (présentation du film produit par Arte).
L’achat doit procurer au consommateur le sentiment qu’il est unique et différent des autres. Aujourd’hui la consommation n’est peut-être plus aussi ostentatoire qu’à l’époque où elle permettait d’affirmer un rang social. La marque ne signifie plus seulement l’appartenance à une classe: “L’individu dit ce qu’il est à travers une marque. C’est un emblème de sa personnalité, pas seulement de sa classe” commente le sociologue Gilles Lipovetsky (interrogé dans Le Monde, 27 oct. 2012). Les iPod, iPhone, iPad sont donc beaucoup plus que des appareils: ils reflètent une personne. On se retrouve soi-même au moment où on fait partie des fans suiveurs de la marque. “Par la grâce de cette foi nouvelle, écrivait R. Rérolle (Le Monde, 27 oct. 2012) de simples consommateurs sont devenus d’excellents propagandistes. Avec les meilleurs intentions, ils se sont enrôlés sous la bannière d’une marque”. Tout profit pour le Inc. derrière la marque.
L’effet religieux de la marque a été cultivé par Steve Jobs, notamment lors des présentations de produits, où le gourou présentait à ses adeptes des objets magiques. Quand, pour la première fois, vous voyez l’image s’agrandir sous l’effet de vos doigts, wow! L’objet qui réagit au “touch” devient un petit animal de compagnie — qui semble même avoir des besoins naturels: la prise magnétique cherche elle-même à se lover dans l’emplacement pour recharger la batterie.
La grande familiarité qui règne entre le produit et son propriétaire est renforcée par l’abondance de messages privés et données personnelles enfouis sous la surface de l’écran: une véritable boîte à secrets qui révèle tout de son utilisateur, ses contacts, ses messages, ses préférences musicales, les traits de ses proches, ses coups de coeur … et beaucoup d’autres données (géo-localisation, profil d’achat…) s’échappent de la boîte magique, sans que son propriétaire en soupçonne l’ampleur.
Mais revenons sur la biographie de W. Isaacson présentée comme un “livre sur le génie inventif humain. A une époque où les Etats-Unis – et, ajoutons, l’Europe — cherchent leur second souffle, où les sociétés à travers le monde tentent d’établir une nouvelle ère numérique, Steve Jobs se dresse comme l’icône de l’invention, de l’imagination et de l’audace” (p. 25). Plutôt qu’un inventeur, le film laisse découvrir un Steve Jobs en manager redoutable (et redouté car, lors de ses colères, il est capable d’utiliser perfidement les points faibles de ses adversaires).
Steve Jobs et sa société sont impliqués, comme d’autres grandes sociétés, dans de multiples litiges tournant autour de questions de propriété intellectuelle. Pouvez-vous relater une ou deux affaires ayant donné lieu à des procès? Merci de bien cerner en quelques mots la question juridique mais aussi de mettre en lumière la “morale de ces histoires” pour la conduite d’une société innovante. Vous avez le choix car la vie d’Apple est rythmée par des procès touchant aux droits intellectuels (voir ici)!