Le récent post de Paul Belleflamme, A feeling of ‘déjà entendu’, me rappelle une note que j’avais publiée en 2006 ( « La contrefaçon en droit d’auteur : conditions et preuve ou pas de contrefaçon sans plagiat », Auteurs & Media, 2006, p. 267-271) à propos de deux décisions de contrefaçon musicale dans les affaires Eminem et Madonna [1]. C’était bien de musique qu’il s’agissait — mais le plagiat se retrouve partout, même à l’Université, et pas simplement dans les travaux d’étudiants… (Pour les étudiants, voici une mise en garde de l’UCL: le plagiat nuit gravement à la formation! Mais les étudiants n’ont pas le monopole du plagiat: j’ai déjà évoqué ici quelques récentes affaires de plagiat de thèse, qui semble notamment pratiqué par les politiciens (tiens donc!). On en reparlera: je vous invite, le 8 mars 2013, à la la Foire du livre de Bruxelles qui organise un débat sur ce phénomène dont la croissance semble suivre celle de l’Internet: comment résister au copier-coller quand des sommes de connaissances s’offrent gratuitement sur la Toile?).
Dans les affaires Eminem et Madonna, les juges ont conclu à l’existence d’un « plagiat » en matière musicale et ont en conséquence condamné les défendeurs pour contrefaçon au droit d’auteur. Certains s’étonneront de l’usage du terme « plagiat », à connotation plutôt morale, dans des décisions de justice où il s’agit de dire le droit, non de s’aventurer sur les sentiers plus risqués du jugement moral. Ainsi, une partie de la doctrine française considère même que le « plagiat » est « moralement coupable mais juridiquement irréprochable »[2]. Je ne partage pas ce point de vue. Si le terme « plagiat » n’est certes pas un terme technique pour désigner l’atteinte au droit d’auteur, il peut être utilisé à bon escient, comme dans les deux décisions précitées, pour caractériser la contrefaçon en droit d’auteur. Le « plagiat », au sens d’imitation ou d’emprunt – et l’on verra que c’est son sens premier -, est une condition de la contrefaçon en droit d’auteur : pas de contrefaçon sans plagiat. Comme on le montrera aussi, le plagiat (« l’emprunt », la « copie » ou la « reprise » pour utiliser des termes équivalents) est souvent présumé (question de preuve).
Revenons un instant sur le sens du mot « plagiat ». Selon les dictionnaires[3], « plagiat » dérive de « plagiaire », lui-même emprunté au latin « plagiarius » qui désignait « celui qui vole les esclaves d’autrui » ou, au figuré, « l’auteur qui en pille un autre ». Le verbe « plagier » est lui-même défini comme suit : « copier (un auteur) en s’attribuant indûment des passages de son œuvre » et par extension « imiter ». Souvent, le plagiat est cantonné au domaine littéraire (le petit Robert parle encore de « vol littéraire »), mais son acception s’étend à l’imitation d’autres œuvres. Le terme de « plagiat » conserve une connotation négative (c’est un emprunt illicite ou du pillage), contrairement à l’imitation qui peut avoir des vertus – ceux qui travaillent dans le secteur de l’éducation savent que copier (ou imiter) est une qualité, sauf le jour de l’examen. Comme le remarque encore un Dictionnaire des plagiaires[4], la définition du plagiat est relativement aisée (en l’espèce, celle plus littéraire choisie par ce Dictionnaire, est : « larcin de la pensée et du style »), mais « on se sait trop où il commence ».
Astreint à tracer la limite entre ce qui est acceptable et ce qui est proscrit, le juge auquel un cas de contrefaçon alléguée est soumis se doit d’appliquer un critère de délimitation cohérent et praticable. La jurisprudence belge est loin d’avoir développé comme aux Etats-Unis des tests pour l’appréciation de la contrefaçon, ce qui n’est pas toujours satisfaisant pour la sécurité juridique. Les quelques réflexions qui suivent entendent contribuer à tracer cette ligne de démarcation.
1. De la contrefaçon en général et de ses variétés
Le droit, à strictement parler, ne connaît que la contrefaçon qui résulte de l’atteinte à un droit intellectuel.[5] Ce terme technique est en outre générique puisqu’il s’applique tant à l’atteinte à un droit d’auteur qu’à celle portée à un droit de marque, de brevet, de dessin et modèle, etc.
Mais derrière cette unité de façade terminologique, l’appréciation de la contrefaçon diffère selon que l’on a affaire à un tel ou tel droit intellectuel. Quel que soit le droit intellectuel prétendûment contrefait, on considère qu’une identité ou une similarité substantielle entre les créations (droit d’auteur, brevet, etc.) ou les signes (marques, nom commercial, etc.) est une condition nécessaire pour conclure à la contrefaçon. Ce n’est en revanche pas une condition suffisante car l’étendue de l’exclusivité dépend d’autres facteurs (ainsi en droit des marques, il faudra vérifier l’existence d’une confusion et l’étendue du droit exclusif sera conditionnée par la règle de la spécialité et ses exceptions). L’appréciation d’une contrefaçon varie également car le point de vue adopté pour apprécier la similarité substantielle (ou la confusion) ne sera pas toujours le même (point de vue du consommateur moyen, etc.). En droit belge, il nous apparaît que la jurisprudence et parfois la doctrine ne distinguent pas suffisamment les modalités de la contrefaçon en fonction du droit intellectuel en cause. Une erreur est de considérer que la contrefaçon en droit d’auteur requiert, comme en matière de marques, un risque de confusion[6], ainsi que l’a bien rappelé la cour d’appel d’Anvers dans un arrêt du 30 novembre 1998[7].
2. Contrefaçon du droit d’auteur: l’exigence de similarités substantielles
S’agissant du droit d’auteur -qui seul retiendra notre attention ci-dessous-, il faudra donc apprécier si des similarités substantielles existent ou, plus exactement, s’il y a une reprise ou utilisation par le défendeur des éléments protégés de l’œuvre. Avant de répondre à cette question, il faut donc délimiter avec soin ce qui constitue une expression originale dans l’œuvre du demandeur. Ce travail d’analyse obligera le juge à exclure ce qui relève des idées (thèmes, procédures, méthodes, etc.), ainsi que ce qui est purement factuel (informations brutes). Il faudra aussi que le juge apprécie l’originalité des éléments repris à l’œuvre du demandeur. Souvent l’évaluation de l’originalité recoupera l’exercice consistant à départager l’expression protégée des idées et faits non protégés – il est rare que de pures idées soient originales et impossible que de simples faits le soient. Le tri devra le cas échéant être fait en distinguant les différents éléments ou composantes de l’oeuvre. Ainsi, devra-t-on analyser la composition ou la structure de l’œuvre, qui peuvent être protégées, tout comme l’habillage final de l’œuvre dans une forme d’expression.
En outre, on prendra en considération les contraintes qui peuvent peser sur la liberté du créateur : dans le cas des créations fonctionnelles, la place pour l’originalité ou la marge de manœuvre peut être plus limitée, puisque la forme d’expression peut être dictée par ces fonctionnalités. On aura donc égard à l’espace de jeu ou de liberté qui s’offre au créateur pour développer l’œuvre.
L’enseignement traditionnel de la jurisprudence est aussi que la contrefaçon s’apprécie de manière synthétique, c’est-à-dire que l’on tient compte des ressemblances sans s’arrêter aux différences (de détail)[8]. Comme le rappelle à bon droit le tribunal de première instance dans la décision Eminem, « la contrefaçon s’apprécie de manière synthétique, eu égard aux ressemblances et non aux différences, d’après l’image globale de deux chansons ». Et le tribunal d’ajouter que c’est du point de vue du « consommateur moyen » que ces ressemblances s’apprécient, et qu’il est bien représentatif de ce consommateur moyen puisque « le tribunal n’a pas la prétention d’être musicologue ou musicien, ni même d’avoir une oreille musicale particulièrement avertie » ; par conséquent, « une seule écoute attentive du CD » suffit pour apprécier la similitude, et le tribunal de rejeter le recours à une expertise judiciaire. Pour apprécier les similarités, l’adoption du point de vue du consommateur moyen ou du non-spécialiste doit être approuvée. Toutefois, dans certaines espèces, le recours à l’expertise peut être conseillé pour une évaluation plus technique des contraintes pesant sur un secteur de la création (par exemple quant au nombre limité de mélodies disponibles) et donc des chances d’arriver à une création indépendante par l’effet du hasard.
De même, l’expertise peut s’avérer utile pour vérifier le caractère protégé de l’œuvre du demandeur – ce qui est bien entendu une autre question que celle de la contrefaçon. En effet, comme l’a noté le tribunal de Bruxelles, « même si la nouveauté n’est pas le critère pertinent pour accorder la protection du droit d’auteur, le tribunal doit constater qu’à défaut de précédents, il s’agit bel et bien d’une nouvelle combinaison mélodie – harmonie – rythme »[9]. Dans d’autres affaires à propos de compositions musicales[10], l’originalité des mélodies des demandeurs a été établie en les comparant aux œuvres antérieures, donc à travers une analyse objective des antériorités. Si la condition d’existence du droit d’auteur est un critère subjectif, sur le plan de la preuve de l’originalité, on est nécessairement amené à recourir à des éléments objectifs et à pratiquer une analyse de la nouveauté.
Mais revenons sur la question de la contrefaçon.
3. Contrefaçon du droit d’auteur: la condition d’emprunt
En théorie, la condition de similarités essentielles ne suffit pas pour conclure à la contrefaçon d’un droit d’auteur: il faut encore démontrer que le défendeur a copié ou imité l’œuvre du demandeur, une démonstration qui peut s’avérer plus ou moins difficile selon les cas. La contrefaçon du droit d’auteur implique que le défendeur se soit « servi » de l’œuvre, qu’il l’ait reprise ou utilisée comme modèle ou inspiration, ce qui requiert à son tour qu’il ait préalablement eu accès à celle-ci (voir infra point 5). La condition de l’emprunt apparaît subjective – elle implique un certain comportement (l’imitation ou la reprise d’une création antérieure) qui est en quelque sorte présupposé fautif[11]. En ce sens, la contrefaçon en droit d’auteur exige toujours une forme de « plagiat », au sens déjà relevé d’ « imitation ». La question délicate est celle de la preuve de l’imitation ou de l’emprunt.
4. La preuve de l’emprunt par l’existence de similarités essentielles
La preuve directe de l’acte d’emprunt, à savoir la preuve que le défendeur a effectivement repris des éléments protégés lorsqu’il composait l’œuvre seconde, sera la plupart du temps impossible à faire, à défaut pour le demandeur de pouvoir reconstituer le processus de création suivi par le défendeur. Toutefois, la preuve indirecte de l’emprunt n’est pas nécessairement difficile à rapporter, tout dépend de l’étendue des similarités (ainsi que des conditions d’accès à l’œuvre protégée : à ce propos voir point 5 ci-après).
Souvent, la condition d’emprunt est même automatiquement remplie. Ainsi est-elle satisfaite dans les (nombreux) cas où il y a copie servile et où l’œuvre de départ est relativement complexe : dans ces cas joue « la présomption commune que la présence dans une œuvre postérieure d’éléments de créations antérieures résulte d’une reprise – fût-elle inconsciente- de ceux-ci par l’auteur qui, dans cette mesure, n’aura dès lors par fait œuvre originale »[12].
Deux remarques à cet égard : tout d’abord, tant la reprise consciente et intentionnelle résultant d’un contact « en direct » avec l’œuvre que la reprise inconsciente et par réminiscence d’une expérience passée constituent des emprunts constitutifs de contrefaçon[13] ; ensuite, l’existence de similarités substantielles rejaillit sur la preuve de l’emprunt et, dans de nombreux cas, il peut donc suffire de démontrer ces similarités substantielles pour établir la condition d’emprunt[14]. Les similarités ont donc une « force probante de contrefaçon »[15] lorsque ces similarités ne sont pas susceptibles de survenir de manière indépendante dans les deux œuvres. Bien entendu, puisque la contrefaçon peut être partielle, il peut suffire que les similarités se retrouvent « dans un passage reconnaissable, même s’il ne s’agit que de quelques notes »[16].
Dans des cas plus rares, où la portion reprise à l’œuvre première est davantage limitée et où l’œuvre seconde pourrait être le fruit du hasard, il faudra analyser plus en détail s’il y a eu accès à l’œuvre première[17]. Davantage de circonspection dans l’établissement de la contrefaçon est nécessaire dans ces circonstances. En outre, en cas de similarités très limitées et de fortes contraintes sur la création, on doit faire justice au fait que les éléments peuvent être intégrés dans une véritable création en aval, et la liberté de créer au profit du créateur second entre en jeu pour tempérer les prétentions parfois démesurées d’un premier créateur. Lorsqu’il y a, en aval, un exercice de la liberté de création, et non une servilité dans la copie, le comportement du créateur second qui a pu reprendre inconsciemment des éléments protégés doit être jugé avec plus d’indulgence.
5. La preuve de l’accès
Si l’on s’éloigne du cas de la copie servile, et que le nombre de créations alternatives est limité (ainsi en est-il en matière de mélodies musicales), la présomption d’emprunt (voir supra point 4) disparaît et il devient nécessaire d’établir l’accès, ce qui est une question factuelle. L’accès peut être prouvé de manière directe ou indirecte. La preuve directe sera rapportée si le demandeur peut établir qu’il a lui-même ou qu’un tiers a communiqué l’œuvre première au défendeur (par exemple en cas de remise d’un exemplaire de la main à la main) ; autant dire qu’il sera très rare que cette preuve directe puisse être rapportée. La preuve indirecte de l’accès est plus aisée et revient à établir une possibilité raisonnable d’avoir été en contact avec l’œuvre première (ainsi en est-il si la première œuvre a connu un succès retentissant qui laisse supposer que le créateur second a pu raisonnablement y avoir accès, même s’il n’a jamais été proche du créateur premier). La possibilité qui existait pour le créateur second de faire l’expérience de l’œuvre première permet d’en inférer l’accès, et, à son tour, l’accès crée une présomption qu’il y a eu copie. Telle est la chaîne probatoire qui a pour effet de renverser la charge de la preuve, puisque, si ces éléments sont établis, c’est au défendeur de prouver qu’il n’a pas copié l’œuvre première, une preuve négative souvent insurmontable. Mais, insistons sur ce point, cette chaîne probatoire ne vaut qu’en cas d’absence de copie servile et de présence de contraintes sur la création, lesquelles ont pour effet de repousser la présomption d’emprunt qui s’applique en principe.
Ajoutons que le caractère indépendant de la création « exonère face à l’action en contrefaçon », mais il peut aussi jouer en sens inverse et « exonérer face à l’exception de non-protection », en permettant au demandeur de repousser le contre-argument d’absence d’originalité que pourrait lui renvoyer le défendeur[18].
Toute la question demeure toutefois de savoir de quelles circonstances particulières on peut déduire la « possibilité raisonnable d’accès ».
Dans l’affaire Madonna précitée, le juge en première instance a considéré qu’il existait « un faisceau de preuves à suffisance précises et concordantes » permettant de conclure à ce que la défenderesse (la chanteuse Madonna) « a bien eu accès à l’information musicale qui lui a permis, deux décennies plus tard, de recomposer le thème récurrent et accrocheur de la chanson» en cause ; et de cette présomption d’accès, le juge en déduit « qu’en conséquence » il y a un « plagiat ». Le raisonnement doit être approuvé, de même que l’usage du terme « plagiat », comme nous l’avons déjà signalé (on est plus réservé quant au terme malencontreux d’ « information musicale »)[19]. Il reste à savoir si les éléments établis dans le cas d’espèce sont suffisants pour créer « la possibilité raisonnable d’accès » – une question sur laquelle nous ne pouvons nous prononcer à défaut de connaître les pièces du dossier. En outre, rappelons-le, la possibilité raisonnable d’accès doit être appréciée en tenant compte de l’importance des similarités entre les mélodies (plus la similitude est grande, moins la création indépendante est probable) et du vocabulaire musical limité disponible pour les compositeurs (ce qui bien entendu renforce la possibilité de création indépendante) – ces éléments factuel et technique doivent être vérifiés pour chaque cas d’espèce.
Dans l’affaire Eminem déjà citée, le juge va repousser l’argument de création indépendante au motif que la chanson du demandeur « a eu un succès mondial, qui a perduré jusqu’à ce jour, sous diverses formes, en sorte qu’un professionnel de la musique, comme Eminem, ne peut valablement prétendre avoir ignoré son existence et imputer les ressemblances […] à un effet du hasard ». Le seul élément factuel cité dans cette décision est pertinent mais suffit-il pour créer une « possibilité raisonnable d’accès » ? A lui seul, ce fait ne nous paraît pas suffisant pour conclure qu’il y a eu accès et copie. On regrettera à ce propos que le juge ne se soit pas interrogé, éventuellement sur base d’un rapport d’expert, sur la possibilité de créations parallèles et indépendantes dans un domaine où l’espace de jeu est limité pour les créateurs. On s’accorde d’ailleurs pour dire que le domaine de la musique offre davantage d’exemples de créations indépendantes[20]. Pour cette appréciation (contrairement à celle des similarités essentielles), une familiarité du juge avec les circonstances concrètes de la création ou un éclairage d’expert est utile.
Afin d’établir la « possibilité raisonnable d’accès », il faudra, plutôt que de s’appuyer sur la seule notoriété de l’œuvre du demandeur, tenir compte d’un faisceau de faits convergents, parmi lesquels :
– les faits permettant de mesurer le retentissement de l’œuvre première : la longévité du succès, l’importance du tirage et les chiffres de vente dans le pays où réside habituellement le défendeur, les prix et classements (du style « top ten » ou « best-sellers »), la distance géographique entre le lieu de divulgation de l’œuvre première et le lieu de travail habituel du défendeur (quoique pour beaucoup de créations distribuées à grande échelle, notamment par Internet, ce critère ne joue pas – contra pour une représentation théâtrale non rediffusée), etc.
– les faits permettant d’évaluer la proximité du défendeur avec la création première et ses créateurs : carrière de l’auteur second, type de formation du second créateur (écoles, stages, etc.), rencontres établies dans sa carrière, etc.
– les faits liés à la personnalité et à la stratégie de création du créateur second : approche d’« appropriation », antécédents et plaintes d’autres créateurs ou, au contraire, conduite artistique irréprochable, etc.
Par contre, si les créateurs premier et second partagent depuis longtemps un « style » ou une même approche de la création (qui pourrait consister à repartir d’un fond commun dans un domaine artistique), cela pourra augmenter la probabilité de convergences fortuites.
Tout est ici question de faits.
Mais souvent, on ne devra pas passer par cette bataille de faits car, soit les similarités sont à ce point substantielles que l’on conclura à l’existence d’un emprunt (ce qui constitue la règle générale), soit, au contraire, la taille de la création est réduite (par exemple quelques notes) et les contraintes sont telles que la convergence née du hasard est hautement probable (ce qui se présente dans des cas exceptionnels).
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J’en arrive aux deux petits exercices qui vous sont demandés:
1. Certains étudiants (voir les commentaires ci-dessous) ont déjà comparé ‘Hi Life‘ de Syd Matters (à écouter ici) et ’Love Long Distance‘ de Gossip (à écouter ici).
Question 1: pouvez-vous (en 10 ou 15 lignes) faire une synthèse critique de leurs réponses?
Ces étudiants ont répondu aux questions: Y a-t-il des similarités substantielles? Peuvent-elles résulter d’un emprunt? Qui pouvait avoir accès au morceau de l’autre groupe? La base de cette mélodie est-elle déjà connue? Ou alors: les contraintes sur la composition sont-elles à ce point fortes que l’on ne peut exclure des similitudes fortuites? A vous de réfléchir. (A titre facultatif: vous pouvez aussi traiter d’autres affaires de contrefaçon musicale, vous en trouverez plusieurs recensées ici).
2. Réfléchissez maintenant aux circonstances liées à une affaire pendante devant la Cour de justice de l’UE (C-310/17, Levola c. Smilde Foods) qui implique la contrefaçon en droit d’auteur d’un fromage à tartiner. L’essentiel de l’affaire se trouve résumé sur ce billet IPdigIT. Contrairement aux étudiants qui ont répondu aux diverses questions posées à la fin du billet sur l’affaire Levola, il vous est demandé de réfléchir uniquement aux problèmes de contrefaçon posés par cette dernière affaire, et ce à la lumière des développements ci-dessus sur les critères de contrefaçon en droit d’auteur. Pensez-vous que le droit d’auteur doit être appliqué à des oeuvres gustatives (ou olfactives), notamment compte tenu des problèmes pratiques qui peuvent se poser en matière de contrefaçon?
[1] Civ. Bruxelles, 11 mars 2005 (en cause R. Vincent c. SA BMG Unisong Music Publishing et la SA Universal Music Publishing ; affaire « Eminem »), inédit : « Attendu qu’en conséquence le tribunal considérera le plagiat comme établi »; Civ. Mons, 18 nov. 2005 (en cause Mme. S. Luppino et Mr. S. Acquavita c. SA Warner/Chappell Music Belgium, SA EMI Music Publishing Belgium et Sony/ATV Musci Publishing Belgium ; affaire « Madonna »), inédit : « qu’en conséquence, Nous disons pour droit que la mélodie soutenant la chanson « Frozen » constitue un plagiat de celle soutenant la chanson « Ma vie fout l’camp »» .
[2] A. Bertrand, Le droit d’auteur et les droits voisins, Paris, Dalloz, 1999, 2ème éd., p. 445 qui renvoie à Cl. Colombet, Propriété littéraire et artistique, Dalloz, 4ème éd., p. 373. Il s’agit en fait d’une querelle quant aux sens du mot, car, si nous ne partageons pas la même acception de « plagiat », nous sommes sur le fond d’accord avec l’affirmation d’André Bertrand: il arrive “un point au-delà duquel les différences l’emportent sur les ressemblances et l’on aboutit alors à ce que les juristes qualifient de “plagiat”, c’est-à-dire à une oeuvre qui s’inspire d’une autre oeuvre sans pour autant mériter les foudres de la justice” (p. 446). Effectivement, il n’y a pas de contrefaçon dans les cas où l’emprunt est limité à des éléments non substantiels et éventuellement non protégés.
[3] En l’espèce le petit Robert et Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française.
[4] R. de Chaudenay, Dictionnaire des plagiaires, Paris, Perrin, 1990, p. 11.
[5] En ce sens pour le droit d’auteur, L. Van Bunnen, « Procédure pénale et civile (L’action en contrefaçon) », in F. Gotzen (ed.), Belgisch auteursrecht van oud naar nieuw, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 408.
[6] En ce sens, A. Berenboom, Le nouveau droit d’auteur, Larcier, 2005, 3ème éd., p. 424.
[7] Antwerpen, 30 novembre 1998, A&M, 2000/4, p. 420, note E. Derclaye. Selon l’arrêt, “il y a violation d’une oeuvre protégée par le droit d’auteur dès que des éléments ou un des éléments qui constituent l’originalité de l’oeuvre sont repris dans une oeuvre postérieure, même s’il n’y a pas de danger de confusion entre les deux oeuvres”.
[8] En ce sens, F. de Visscher et B. Michaux, Précis du droit d‘auteur et des droits voisins, Bruylant, 2000, p. 65-66. Voir par ex. Antwerpen, 30 novembre 1998, A&M, 2000/4, p. 420, note E. Derclaye.
[9] Civ. Bruxelles, 5 août 2004, A&M, 2005/3, p. 244.
[10] Civ. Bruxelles, 23 janvier 1962 et civ. Bruxelles, 27 avril 1970, Ing.-Cons., 1971, avec une note de L. Van Bunnen, p. 215 et s. (affaire “Ninja-Nanja” et “Mon petit Tommy”).
[11] Il est intéressant de noter qu’une telle condition n’existe pas pour établir une contrefaçon de brevet, lequel droit apparaît sur le plan de la contrefaçon, comme d’ailleurs sur celui de la validité du droit (nouveauté), plus objectif.
[12] F. de Visscher et B. Michaux, op. cit., p. 22.
[13] M. Buydens rappelle à propos qu’en droit allemand, tant la « copie volontaire » que la « reprise involontaire ou inconsciente » peuvent constituer une forme de contrefaçon (voir M. Buydens, Droit d’auteur et hasard : réflexions sur le cas de la double création indépendante, A&M, 2004/5-6, p. 477).
[14] La même approche existe en droit allemand : voir M. Buydens, op. cit., p. 478 : « lorsque deux œuvres sont identiques ou très ressemblantes, la jurisprudence admet une présomption de copie consciente ou inconsciente ».
[15] Une partie de la doctrine américaine parle de « probative similarity » (plutôt que de « similarités essentielles ») pour indiquer que la présence de similarités est, en règle générale, suffisante pour établir que le défendeur a effectivement copié l’œuvre du demandeur (voir M. B. Nimmer, Nimmer On Copyright, Matthew Bender, version sur lexisnexis, § 13.01 sous [B] Copying qui renvoie à Latman, « Probative Similarity » as Proof of Copying : Toward Dispelling Some Myths in Copyright Infringement, 90 Colum. L. Rev., 1990, p. 1187).
[16] Civ. Bruxelles, 5 août 2004, A&M, 2005/3, p. 244.
[17] A ce propos, une Cour d’appel américaine a rappelé dans un arrêt du 31 mai 2005 que le demandeur qui ne parvient pas à établir la similarité suffisante entre sa composition et celle du défendeur ne peut s’appuyer sur la présomption que le défendeur a copié sa composition (Johnson v. Gordon, 1st Cir. , N° 04-2475). Estimant que les deux segments musicaux en cause n’étaient « ni des jumeaux identiques, ni même des sœurs de sang », mais étaient plutôt reliés comme des « cousins au second degré », le juge conclut : « Given the limited musical vocabulary available to composers, this is far from enough to support an inference of actual copying ».
[18] En ce sens, F. de Visscher et B. Michaux, op. cit., p. 21.
[19] Notons au passage que la notion de « plagiat » que nous proposons de retenir englobe donc tant la copie volontaire (qualifiée en droit allemand de « Plagiat ») que la copie involontaire (qualifiée en droit allemand de « unbewusste Entlehnung » ; voir à ce propos, M. Buydens, op. cit., p. 477), car il nous apparaît en pratique souvent impossible de distinguer selon le caractère volontaire ou non de l’emprunt.
[20] En ce sens, M. Buydens, op. cit., p. 477 : dans le domaine de la musique, « il arrive régulièrement qu’une mélodie soit composée à quelques années d’intervalle et de façon indépendante par deux musiciens ». Peut-être cela résulte-t-il du nombre moins grand de combinaisons possibles qu’offre le système musical (sept notes sur une gamme), par rapport au nombre infiniment plus grand de combinaisons qu’offrent par exemple les mots du vocabulaire.