(cette chronique est parue, en version légèrement modifiée, dans La Libre Entreprise du 1er décembre 2012)
Si vous êtes un utilisateur de Facebook, vous avez sans doute reçu un courriel récemment vous faisant part (dans une austère prose juridique) d’une proposition de modification de la gouvernance du réseau social. Vous l’ignoriez peut être, mais l’actuelle « Déclaration des droits et responsabilités » prévoit qu’une proposition de réforme des conditions d’utilisation peut être soumise au vote des utilisateurs, si ceux-ci l’exigent. C’est cette disposition que Facebook prévoit d’abroger, purement et simplement.
Bas les masques ? Rien d’étonnant, diront certains. Facebook est une entreprise privée, qui n’a pas à se soucier d’autre chose que de faire du profit. Et depuis qu’elle est cotée en bourse, elle voit d’un mauvais œil toute publicité négative qui pourrait lui attirer, en plus de la morgue des investisseurs, l’attention accrue de diverses autorités de protection de la vie privée.
L’entreprise américaine garde en effet un mauvais souvenir de la dernière modification de ses conditions d’utilisation, en juin dernier. Max Schrems, un étudiant autrichien, avait alors profité de la procédure de vote pour mener un large campagne de fronde en faveur d’une meilleure protection des données des utilisateurs (http://www.ourpolicy.org). Mais si les 7000 soutiens nécessaires pour exiger un vote ont été facilement atteints, parvenir à réunir le quorum de vote de 30% s’est avéré pratiquement impossible : sur un réseau comme Facebook regroupant 1 milliard d’utilisateurs, il aurait fallu réunir 333 millions de voix. Soit davantage que l’entièreté de la population des États-Unis (308 millions).
Pourquoi Facebook veut-il supprimer ce droit de vote des utilisateurs, de toute façon inoffensif ? Même si les utilisateurs ont peu de chance de réussir à exercer leur veto, la compagnie n’avait sans doute pas prévu que certains se servent de cette tribune pour promouvoir leurs revendications alternatives, ni qu’ils soient soutenus par des centaines de milliers d’utilisateurs.
Les responsables de Facebook ont raison de s’inquiéter de tels mouvements. Contrairement à d’autres entreprises comme Apple ou Google, Facebook semble ne jamais avoir réussi à conquérir le cœur de ses utilisateurs. Ceux-ci font preuve d’une grande méfiance, prompts à propager les dernières nouvelles (vraies ou fausses) sur tel ou tel changement de politique concernant la vie privée. La rapidité avec laquelle s’est propagée la rumeur du « bug Facebook » (qui aurait prétendument rendu public des messages privés d’utilisateurs) en est un symptôme.
Dès lors, Facebook préfère sans doute se priver du vernis démocratique que lui conférait ce droit de vote aux utilisateurs, plutôt que de risquer d’encourager de nouveaux mouvements de grogne. On pourrait regretter, comme cet étudiant autrichien, que Facebook ne soit pas à la hauteur de sa responsabilité sociale. N’a-t-elle pas des devoirs particuliers, vu le contrôle qu’elle exerce sur une part croissante des communications mondiales, et sur les données personnelles de ses utilisateurs ?
On pourrait aussi considérer que la nature du service proposé par Facebook est trop important pour rester sous le contrôle exclusif d’une compagnie. Les réseaux sociaux concentrent aujourd’hui une grande partie de notre activité en ligne. Veut-on vraiment en confier l’unique clé à Mark Zuckerberg ? Ce n’est pas sur cette logique qu’Internet a été fondé. L’e-mail, par exemple, est un protocole ouvert : n’importe qui peut proposer des services utilisant le protocole e-mail, et tous les utilisateurs peuvent s’échanger des messages, quel que soit leur fournisseur de service. N’est-il pas temps de passer, dans la foulée d’initiatives comme Diaspora* (http://joindiaspora.com), à une plateforme de réseau social qui soit ouverte et interopérable ?
Le piquant dans cette affaire de gouvernance Facebook est qu’en vertu des règles actuelles, la suppression du droit de vote des utilisateurs doit être soumise… au vote des utilisateurs. Au moment d’écrire ces lignes, la proposition a attiré 87% de votes négatif, avec un nombre de participants autour de 600 000 utilisateurs. Un taux de participation supérieur au vote de juin, mais toujours loin des 333 millions d’utilisateurs requis pour que le vote soit liant. Et comme le vote s’achève ce lundi 10, on peut déjà présager que le grand soir de la démocratie Facebook n’aura probablement pas lieu. Néanmoins, 600 000 personnes, ce serait sans doute un bon début pour un nouveau réseau social…
Si vous souhaitez poser un geste en participant au vote, rendez-vous sur http://www.facebook.com/fbsitegovernance, et tâchez de trouver le lien vers la page de vote (vous pouvez également utiliser ce lien direct).