Dans Quand Google défie le droit, j’ai analysé les défis que Google (et d’autres agrégateurs d’actualités) pose à la presse (voir chap. II). Plus que d’autres acteurs du numérique, Google irrite depuis longtemps les patrons de presse. Pour défendre leur modèle, ces derniers développent diverses stratégies. En Allemagne, les éditeurs ont apparemment convaincu la majorité au pouvoir de légiférer pour créer un droit voisin au profit des éditeurs, en contrepartie de leur prestation technique et rédactionnelle (c’est donc bien l’investissement des éditeurs, non la créativité des auteurs qui serait rémunérée si ce droit est consacré). Reste à voir si le récent accord de la coalition au pouvoir à Berlin se traduira en texte législatif. Ailleurs (et notamment en Belgique), les éditeurs n’ont pas hésité à agir en justice. Dans l’affaire Copiepresse c. Google, la cour d’appel de Bruxelles confirmait le 5 mai 2011 que Google devait retirer de ses sites, notamment de Google News, tous les articles et les photographies publiés dans la presse belge francophone. Une victoire à la Pyrrhus puisque les articles de ces éditeurs ne sont désormais plus référencés sur Google News (en juillet dernier, Google avait même dé-référencé les sites de la presse belge de son outil de recherche Web, ce qui, à juste titre, avait suscité un tollé).
Le modèle économique de l’information sur Internet reste à trouver, comme le titrait un article du 1er nov. 2011 du journal Le Monde. Les rapports entre presse papier et en ligne sont complexes. Certains essaient le reverse publishing, comme Rue89, qui a lancé un mensuel papier rassemblant des articles publiés sur Internet. L’expérience n’aura duré que 18 mois. Pour le co-fondateur de Rue89 (maintenant partie du groupe du NouvelObs), c’est l’émergence des tablettes numériques qui seul pourrait assurer un avenir aux magazines. A voir. De son côté, France Soir a abandonné sa version papier pour devenir un site d’information sur Internet. Mais il n’est pas sûr que ce média puisse trouver un modèle rentable. D’autres organes de presse en ligne peinent, parmi lesquels Owni, Atlantico ou Slate.fr. Rue89, site lancé en 2007, a aussi du mal à parvenir en équilibre. Il semble que “les audiences en ligne augmentent, mais les ressources publicitaires ne suivent pas” (commentaire du sociologue des médias, Jean-Marie Charon, cité dans l’article précité du Monde). Cela n’empêche pas de nouveaux essais, dont la version française du Huffington Post lancée par son nouvel acquéreur, AOL. Mais le Huffington, comme discuté dans le chapitre II, est déjà un agrégateur d’actualités. Bref, la presse continue à bricoler.
Que fait Google sur le terrain de l’information en ligne? Les défenseurs de la presse traditionnelle reprochent à Google de détruire leur modèle économique, voir de “voler” leur contenu. A ces critiques, Google aime répondre que ses outils de recherche et d’agrégation génèrent plus de 4 milliards de clics sur les sites d’éditeurs. Une autre réponse de Google consistait à renvoyer à ses nouveaux services, tels que Fast Flip et OnePass. Lancé en 2009, Fast Flip reproduisait les unes des titres de presse (comme on peut les voir à un kiosque) et les internautes pouvaient feuilleter les pages (comme s’il s’agissait d’un journal). Des partenariats avec des groupes médias, comme The New York Times, la BBC, The Huffington Post, le Wall Street Journal, etc. avaient été noués. Google allait-il offrir un moyen de monétiser le travail des médias en ligne? En septembre 2011, Google décide d’abandonner le projet (voir l’article sur le site paidcontent: Google Kills Its Fast Flip News Reading Experiment). Même chose avec OnePass, le service annoncé en février 2011 qui devait permettre d’acheter des articles ou des abonnements presse et d’avoir accès aux articles sur différentes plateformes. L’objectif de OnePass était d’offrir aux éditeurs une alternative plus intéressante que l’offre d’Apple (Apple demande 30% des recettes sur ce qui est distribué à travers son système; Google, dans le modèle OnePass, ne retenait que 10%, voire moins). OnePass offrait donc une possibilité de monétiser les actualités, et la presse française s’était donc empressée de négocier un partenariat avec Google. En février 2012, Google annonçait un report du projet (et posait un lapin aux éditeurs de la presse), avant d’annoncer en avril 2012 qu’il allait débrancher le service (voir Presse: Google débranche son “pass média”). Depuis lors, le kiosque presse d’Apple affiche plusieurs nouveaux titres… Espoir déçu pour la presse? Sans doute. Mais l’abandon par Google de ces projets n’a rien d’étonnant: contrairement au service Google Actualités, ces nouveaux services ne s’inscrivent pas dans la logique de l’accès gratuit aux contenus numériques, au coeur du modèle Google. On ne peut rien reprocher à Google à cet égard. Ces développements récents rappellent la difficulté qu’il y a à monétiser les news — l’information, plus que d’autres contenus, “veut être libre” selon la formule bien connue en anglais.
Que penser de tout cela? Le billet d’Alain Gerlache (MediaTIC, 13 mars 2012) distinguait deux positions parmi les observateurs de l’évolution de la presse. Etes-vous parmi ceux, optimistes, qui pensent que les revenus du numérique finiront par compenser les pertes sur le papier? Encore faut-il savoir quand cela pourra se passer. Ou êtes-vous parmi les pessimistes qui affirment que cela n’arrivera jamais?