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Dans ce post, nous allons d’abord exposer un historique de la relation entre santé publique et droit de la propriété intellectuelle en illustrant les différentes étapes qui nous ont menées à la situation actuelle. Ensuite, nous terminerons en rejoignant la solution présentée par Maria-Annunciata Coppens.
Comme d’autres contributeurs l’ont déjà relevé, cet article illustre la relation entre la propriété intellectuelle et la santé publique. La santé publique est un sujet très sensible puisque l’on touche à la santé mais également à des enjeux économiques importants. En effet, un brevet sur des médicaments octroie un monopole sur un élément qui peut sauver une vie. Certaines personnes sont donc empêcher d’avoir accès à une telle ressource primordiale. Nous rejoignons, en effet, Mathilde Rémon, lorsqu’elle dit qu’il est impensable que l’exercice d’un droit intellectuel puisse justifier la mort de million de personnes. C’est pourquoi, il faut rechercher le juste équilibre entre le droit détenu par le titulaire d’un brevet et la santé publique.
Le droit au travers des accords ADPIC a très certainement privilégié le point de vue des titulaires des brevets au détriment de la santé publique. Il s’agit d’un véritable revirement étant donné qu’il y a encore cinquante ans, breveter les médicaments était considéré comme contraire à l’ordre moral et à l’éthique. Néanmoins, fin des années 90, le contexte politique du moment fait prendre conscience des limites de cet accord et des difficultés qu’il amène en ce qui concerne l’accès aux médicaments aux pays en voie de développement. L’accord ADPIC avait un effet néfaste dans ce domaine et des mesures devaient être prises. La déclaration de Doha, déclaration politique, est alors prise en 2001. Un Article 31 bis est ensuite ajouté à l’accord ADPIC qui prévoit que n’importe quel pays en voie de développement peut demander à une entreprise d’un pays développé une licence obligatoire. Cette solution semble, sur papier, résoudre tous nos problèmes. Néanmoins, elle n’est toujours pas adaptée. En effet, la licence obligeait que le médicament soit produit dans les pays en voie de développement mais les pays les moins avancés, par exemple le Soudan, ne bénéficient pas de capacités de fabrication suffisantes pour y recourir de manière effective. Cette solution n’est finalement pas envisageable. Cela démontre une certaine mauvaise foi des pays développés qui font mine de prévoir des solutions alors qu’elles sont irréalisables.
D’autres disposition telle que l’article 30 ADPIC pourrait nous aider à trouver une solution mais malheureusement son contenu est à géométrie variable ; diverses interprétations peuvent être déduites.
Il nous reste l’article 7 ADPIC qui reprend l’objectif général des accords ADPIC. Il déclare que ces accords ont pour objet de « contribuer à la promotion de l’innovation technologique et au transfert et à la diffusion de la technologie, à l’avantage mutuel de ceux qui génèrent et de ceux qui utilisent les connaissances techniques et d’une manière propice au bien-être social et économique, et à assurer un équilibre de droits et d’obligations ». Cette disposition pourrait nous servir de fil conducteur pour résoudre notre affaire. On aurait alors une politique qui dans un sens protégerait la Propriété Intellectuelle mais qui également favoriserait l’innovation et le partage des résultats avantageux entre tout le monde. De cette manière, chacun serait content et y trouverait son compte.
En conclusion, on dérogerait au principe de liberté pour favoriser des progrès partagés. Donc, nous rejoignons ce que les autres contributeurs ont majoritairement dit : oui à l’application du principe « à deux poids, deux mesures ». D’ailleurs, une telle solution permettrait d’éviter un danger plus que courant dans les pays en voie de développement, nous pensons à la contrefaçon criminelle. En effet, les médicaments que l’on trouve dans les pays en voie de développement sont hors de la portée de leurs habitants. Il nous impose donc d’être vigilant et de ne pas tomber dans le système inverse par lequel une compagnie, un « magnat » local ou autre créerait des médicaments supposés soigner une maladie précise qui ne serait en réalité qu’un faux dangereux. La meilleure hypothèse serait qu’il s’agisse d’un placebo sans grande conséquence mais au pire cela pourrait entrainer la mort de quelqu’un. Il est vrai que le monde d’aujourd’hui fonctionne au rythme de l’économie et du commerce par le medium de l’argent. Certaines personnes n’ont aucun scrupule et sont prêtes à tout pour avoir toujours plus.
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En 1928, sur un site magnifique au bord du Lac Kivu situé à 55 km au Nord de la ville de Bukavu à l’Est de la République Démocratique du Congo, la FOMULAC Belgique, association liée à l’Université catholique de Louvain, démarre la construction de l’Hôpital général de Katana . C’est le début d’une belle aventure qui fait maintenant partie de l’histoire de la coopération médicale entre la Belgique et la République Démocratique du Congo. Quatre-vingt-cinq années plus tard, on entend toujours parler de cette belle région. Malheureusement pour des raisons qui sont autrement plus attristantes : guerres, viols, massacres, réfugiés, Monusko, … Pourtant, l’hôpital est toujours là. La collaboration entre l’UCL et Katana l’est également mais sous des rapports qui ont changé depuis sa fondation. “Louvain Coopération au Développement” (qui a intégré les activités de la FOMULAC depuis près de 10 ans) poursuit ses appuis à cet hôpital, qui est désormais la propriété de l’archidiocèse de Bukavu.
Nous sommes au mois de mars de cette année. L’équipe des cinq médecins de l’hôpital est assemblée pour assister à une réunion. Un représentant de l’entreprise pharmaceutique indienne Shalina, implantée depuis une trentaine d’années en République démocratique du Congo, est venu exposer le catalogue de médicaments génériques dont il propose la fourniture en lieu et place de ce que l’hôpital se proposait d’acheter, au regard des liens qui les unissent à la Belgique, à un fournisseur belge . L’argument choc : le prix. Mais pas seulement. Depuis deux ans maintenant, l’hôpital se fournit en effet principalement auprès de cette firme qui a axé le développement de sa stratégie centre-africaine sur une relation de confiance. Force est de constater qu’elle a compris que faire des affaires n’était pas suffisant. La firme Shalina a massivement investi dans le développement local tant et si bien qu’elle jouit d’une grande réputation.
En filigrane de ce qui peut, de prime abord, paraître anecdotique, c’est un bouleversement profond que connaît et connaîtra la coopération au développement en matière médicale. En effet, le cas précis que nous évoquons semble, à notre estime, en mesure d’illustrer les possibles mais substantiels changements que ces relations subissent et continueront très certainement de subir. Non seulement la politique indienne en matière pharmaceutique paraît améliorer au fur et à mesure la qualité de sa production mais les bas prix qu’elle propose permettent également à ses industries de générer des marges bénéficiaires.
La politique indienne en matière pharmaceutique est-elle symptomatique d’un retour, certes par des voies détournées, à une certaine éthique ? De quelle éthique parle-t-on ? Nous parlons de l’époque durant laquelle il n’aurait jamais été question de brevet ni de propriété intellectuelle en matière de santé. L’époque où on avait conscience qu’ils étaient des valeurs autres que les seules pécuniaires. Malgré tous les arguments qui sont avancés quant à la fonction incitative que le brevet en matière pharmaceutique est censé remplir, nous croyons cette politique salutaire.
Alors, sans doute l’Inde agit-elle à la hussarde et, d’évidence, ne le fait-elle pas par pur charité. N’en demeure pas moins que les incidences de sa politique semblent aller dans un sens positif en matière de santé dans les pays en voie de développement.
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Ce conflit met en évidence les deux logiques contradictoires que sont la logique économique et la logique de santé publique.
En effet les entreprises pharmaceutiques ont de moins en moins comme préoccupation majeure l’intérêt du patient. Mais elles ne cessent de rappeler qu’elles sont entreprises à but lucratif. Que leur première responsabilité consiste à redistribuer des dividendes aux actionnaires en fin d’année.
En matière de médicament génériques, les pays sous-développés ou en voie de développement, dépendent principalement de l’Inde. Ce pays a décidé en conscience d’ignorer la législation applicable aux brevets. Pourquoi l’Inde a-t-elle agit de la sorte ? Nous sommes en présence d’une Inde transformée en Robin des bois. A deux poids, deux mesures ? Oui ! Mais dans quelles limites ? Qui sont les pays nécessiteux ? Quels sont les médicaments essentiels ?
Le monde entier semble d’accord sur l’urgence de prendre des décisions pour les personnes atteintes du Sida. Pourtant, dans ces pays, il existe certaines maladies bien plus foudroyantes que le Sida comme la Tuberculose ou le Choléra. Comment élaborer une distinction entre les médicaments ou maladies essentielles et ceux qui ne le sont pas. C’est strictement impossible sans léser des parties entières de population touchées par des maladies plus rares ou moins communes. Il faut donc élargir le principe d’essentiel à tous les médicaments pour ces pays émergeants. La santé publique doit être reconnue et maintenu comme valeur essentielle de notre société et le système des Accords ADPIC doit être au service de la santé plutôt qu’un obstacle aux soins de santé.
Le déséquilibre est manifeste entre les droits de la victime présumée qui sont les firmes pharmaceutiques et du coupable potentiel qui est l’Inde accusée de contrefaçon.
Pourtant, en observant ces Accords et plus particulièrement l’Articles 30 , on voit que des mécanismes sont présents pour permettre aux pays en voie de développement de se procurer des médicaments moins chers. Toutefois, en voyant le résultat (une application en 15ans , une initiative rwandaise), on remarque qu’ils existent de sérieux problèmes dans la mise en œuvre de ces mécanismes. Il faut donc empêcher d’une part l’accès des lobbys pharmaceutiques aux ministres de la Santé de ces pays pour éviter toutes formes de corruption et faciliter la mise en œuvre des mécanismes des Accords ADPIC d’autre part…
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Les droits des titulaires de brevet se sont vus considérablement renforcés par les accords ADPIC, signés à Marrakech en 1994 et entrés en vigueur le 1 er janvier 1995.
Auparavant, de nombreux Etats ne protégeaient pas les médicaments. La Belgique elle-même a longtemps refusé de le faire, et ce pour des raisons éthiques. Il était en effet considéré que breveter de tels produits pouvant soigner ou sauver des vies allait en l’encontre de la morale.
La brevetabilité des produits pharmaceutiques a été autorisée par un arrêt de notre Cour de cassation du 26 juin 1956, relevant que n’étant pas interdite, elle devait être permise.
L’article 27 des ADPIC impose désormais à tous les pays signataires la protection par brevet, ce qui a eu pour conséquence de rendre particulièrement difficile l’accès aux médicaments pour les pays pauvres. L’Inde a donc du adapter sa législation en 2005 pour se conformer à cet accord.
On a vu quelques organisations s’insurger face aux conséquences d’une telle protection.
Même les Etats-Unis, fervents partisans d’une protection forte de la propriété intellectuelle, ont réclamé, en 2001, le bénéfice d’une licence obligatoire face au risque d’une épidémie d’anthrax menaçant le pays. Comment ignorer ce comportement hypocrite de ce pays qui, trois ans plutôt, avait soutenu les firmes pharmaceutiques attaquant l’Afrique du sud et son président pour non-respect du droit des brevets ? Ce pays disposant d’une industrie pharmaceutique locale avait en effet commencé à fabriquer des génériques destinés à soigner ses ressortissants. De nombreuses compagnies intentent donc une action visant à faire respecter les brevets qu’elles détiennent sur les médicaments copiés. Bien sûr, ceci a entraîné une telle indignation que ces firmes n’ont eu d’autre choix que de renoncer au procès.
La déclaration de Doha de 2001 et une décision du 30 août 2003 ont mis en place un système de licence obligatoire, atténuant quelque peu la rigueur de la protection prévue par les accords ADPIC.
Force est de constater le déséquilibre de ces accords imposés par les pays développés aux pays plus démunis et qui ne tiennent pas suffisamment compte des tous les intérêts en présence.
Etait-il absolument nécessaire d’imposer une obligation de protection si forte à tous les pays ?
L’Accord indique d’ailleurs la nécessité d’appliquer cette législation avec flexibilité vis-à-vis des pays les moins avancés.
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Le débat éminemment éthique illustre que l’enfer est pavé de “bonnes intentions”. En effet, à mon sens, ça n’a aucun sens de considérer un allègement du droit de brevet pour certains marchés et/ou région du monde. Le droit de brevet a pour but de préserver l’innovation et la recherche ayant pour effet d’octroyer une juste rémunération à l’inventeur.
Dès lors, lorsqu’un droit poursuit un objectif, si ce dernier est considéré comme légitime, il n’y a aucune raison de l’atténuer pour certains sous peine d’y porter gravement atteinte. En effet, ceux qui avancent l’idée d’une réglementation allégée insistent sur l’idée qu’il est indispensable de renforcer les contrôles aux frontières afin d’empêcher les importations illégales. Ce raisonnement oublie deux choses:
1. De tels contrôles ont un coût pour les contribuables et, malgré ceux-ci…
2. … Leur efficacité est plus que perfectible, que soit en matière de marchandise de contrôle de l’immigration illégale. (C. Wihtol de Wenden, Faut-il ouvrir les frontières ?, Paris, Presses de Sciences Po, 1999 – 113 pages)
Dès lors, en considérant un approfondissement des exceptions aux règles de libre-échange relatives aux médicaments, alléger la réglementation en matière de brevet dans certains zones du monde serait une aubaine pour les mafias qui auront leur centre d’approvisionnement “labélisé” et qui déverseront ces produits, certainement “rebadgé” comme les originaux, sur les marchés européens et américains.
Ce détournement se fera même aux dépends des populations des Pays en voie de développement qui verront les produits qui leur sont destinés partir vers d’autres horizons.
Cette solution est donc généreuse sur le plan de la volonté mais désastreuse sur le plan pratique.
Aussi, sur le plan du droit, il ne faut pas réduire le brevet à un simple outil économique. L’enjeu économique est bien sûr immense mais le but du brevet est d’éviter le recours au secret industriel. Le fondement du brevet est de permettre au demandeur de se protéger contre l’exploitation de son invention par un tiers en échange de la divulgation au public de ladite invention. Ainsi, permettre l’exploitation, même partielle, d’une invention revient à remettre en cause l’existence même du brevet car pour être efficace ce droit ne peut, pour des raisons évidentes, qu’être pensé de manière universelle.
D’autant que cette remise en cause repose sur la base d’un critère extrêmement perfectible à savoir le niveau de pauvreté de certains Pays dans le monde. Imaginez-vous que la Chine qui détient le quart de la dette américaine pour un montant de 1160 milliards de dollars est toujours considéré comme un Pays en voie de développement. (http://www.chinadaily.com.cn/fr/selection/2010-05/06/content_9818623.htm)
Or le problème de la Chine ne réside pas dans l’absence de croissance ou un faible niveau de production de richesse absolue mais bien dans la répartition de ces richesses. Dès lors, quels critères adopter pour déterminer si la réglementation sur les brevets en matière de médicaments doit être appliquée ou non ? Le PIB ? Le niveau de croissance ? Le revenu par habitant ? Ces indicateurs économiques cachent trop de disparités intérieurs pour pouvoir s’y fier.
En conséquence de ces points, il est impératif sur le plan du droit et de l’économie de maintenir une réglementation stricte et uniforme en matière de brevet et ce, afin de préserver la recherche et l’innovation dans le secteur pharmaceutique.
Néanmoins, comme un intervenant l’a signalé, les bénéfices des sociétés pharmaceutiques sont extrêmement importants et, surtout, nous traitons ici d’une question qui exige un traitement humaniste au sens noble du terme. C’est pourquoi, il serait préférable de créer une taxe internationale, négociée au niveau de l’OMC, sur les bénéfices des entreprises pharmaceutiques qui alimenterait un fond international permettant de financer l’achat de médicaments pour des publics cibles qui n’y ont pas accès. En effet, ce sont les malades qu’il faut aider, pas des Pays !
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Tel qu’il est établi dans les commentaires ci-dessous, il est clair que la résolution du conflit en matière de droits de la propriété intellectuelle et de santé publique qui oppose les pays développés et les pays en voie de développement n’est guère aisée. Les objectifs poursuivis sont très différents, les enjeux sont de taille et les intérêts sont extrêmement difficiles à converger. Trouver le juste équilibre entre les droits de brevet et les droits à la santé dans de telles conditions est en conséquence difficile.
Bien que j’approuve la majorité des solutions proposées ci-dessous, j’aimerais apporter une autre proposition réconciliant les droits de brevets et les droits à la santé : la coexistence de modèles de prix différentiels et de primes étatiques avec le système actuel de brevets qui devrait rester d’application pour les innovations qui permettent de répondre aux besoins qui n’ont pas déjà été largement reconnus.
Selon le modèle des prix différentiels, le prix des médicaments varierait entre différents pays en fonction du revenu de leurs habitants. Les tarifs pour les pays développés comprendraient les couts de fabrication, de recherche et de développement, tandis que les pays en voie de développement ne supporteraient que les couts de fabrication. Cependant, ce modèle ne pourra qu’être appliqué aux maladies tant présentes dans les pays développés qu’en voie de développement (comme le diabète, l’asthme, et la majorité des maladies non transmissibles) et nécessitera l’interdiction d’importations parallèles.
Ce premier modèle coexisterait avec celui des primes étatiques, qui serait appliqué aux maladies qui ne touchent quasiment que les pays en voie de développement (comme la tuberculose, le sida et la malaria). Le modèle de primes impliquerait un changement fondamental du système actuel des brevets. Au lieu d’accorder un monopole de 20 ans aux entreprises ayants inventées un nouveau médicament, celles-ci seraient récompensées sous forme de primes octroyées en fonction de l’impact de l’invention sur l’amélioration de la santé publique. Ceci par leurs états respectifs qui supportent déjà une grande partie des couts de la recherche médicale. Ainsi les incitants à la recherche seraient d’avantage axés sur des médicaments utiles plutôt que sur les plus rentables. Le paiement d’une prime sans attribution de monopole permettrait en outre la réalisation d’un partage immédiat des connaissances acquises et une production rapide, globale et moins cher.
Bien que de nombreuses questions pratiques subsistent et doivent être étudiées d’avantage, un changement du système semble loin d’être irréalisable. A condition toutefois que d’une part les entreprises pharmaceutiques soit prête à renoncer à la protection forte dont elles bénéficient dans le système actuel et d’autre part que les pays développés acceptent de suivre, que ce soit à travers le paiement des couts de recherche et développement dans le mécanisme des prix différentiels , à travers la contribution des fonds médicaux au pays en voie de développement dans le mécanisme des primes étatiques, ou encore à travers d’autres mécanismes. Il est grand temps que les pays ‘riches’ fassent un effort et se montrent solidaires en prévalent la protection de la vie humaine sur le seule intérêt commercial de leurs entreprises pharmaceutiques.
M. BAKHOUM, “TRIPS, Patent Rights and Right to health : ‘Price’ or ‘Prize’ for better access to medicine?” Max Planck Institute for Intellectual Property, Competition and Tax Law Research Paper No. 10-07, jan 2009, disponible sur : http://infojustice.org/download/acta-a2m/scholarly/TRIPS,%20PATENT%20RIGHTS%20AND%20RIGHT%20TO%20HEALTH.pdf
J.E. STIGLITZ, “Prizes, not Patents”, Post-autistic Economics Review, no.42, 2007, disponible sur: http://www.paecon.net/PAEReview/issue42/Stiglitz42.pdf
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J’aimerais apporter un point de vue quelque peu différent quant à la proposition finale de l’article écrit par Marie Anunciata Coppens visant une politique « à deux poids, deux mesures » dans la production de médicaments génériques par l’Inde depuis l’adoption des accords ADPIC.
Sur le fonds, cette proposition me parait tout à fait justifiable, et être la meilleure, ou du moins la « moins pire » des solutions qui pourraient être présentées face à une éventuelle hausse des prix des médicaments contre le Sida (et autres malades incurables ou graves) en Inde et dans les pays en voie de développement (PVD).
Cependant, plutôt que d’y voir une « gradation » dans l’intensité d’application des accords ADPIC en fonction de la région du monde, j’imaginais plutôt une « dualisation » de la distribution des médicaments, le tout sous un même régime juridique, afin de préserver les droits que détiennent les firmes pharmaceutiques par leurs brevets.
En pratique, les entreprises pourraient donc vendre leurs médicaments aux prix « européen » en Europe et dans les pays occidentaux, et réserver un prix équivalent à celui des génériques aux PVD.
D’abord, d’un point de vue économique, cela me parait tout à faire réalisable et rentable.
En effet, en appliquant les Accords ADPIC tels qu’ils ont été prévus, les firmes pharmaceutiques devraient vendre leurs médicaments à un prix « occidental », donc élevé, dans les PVD, ce qui reviendrait à réduire considérablement le nombre d’acheteurs puisque les populations n’auraient plus les moyens de se payer les soins adéquats. Le marché noir des médicaments risquerait donc d’augmenter pour sustenter les besoins des personnes malades mais pauvres qui seraient donc obligées d’acheter ces médicaments souvent inefficaces voire pire, dangereux.
Alors qu’en vendant leurs médicaments à un prix « générique », ces mêmes firmes verraient le nombre de leurs acheteurs augmenter de manière extrêmement conséquente, compte tenu du nombre d’habitants – et de malades – que comptent les PVD réunis.
Beaucoup plus de ventes, même à un prix moindre, reviendrait à augmenter la marge bénéficiaire de ces entreprises.
Ensuite, d’un point de vue juridique, les brevets détenus par les entreprises pharmaceutiques seraient respectés puisque les génériques seraient fabriqués par les propriétaires des brevets, et non par d’autres entreprises qui violaient auparavant ces droits intellectuels.
D’un point de vue humain enfin, une vente à prix réduits de médicaments efficaces permettrait de mieux contrôler le marché noir et d’en détourner les populations pauvres. Plus de gens pourraient ainsi être soignés. Ne devrait-ce pas être cela le but premier d’une firme pharmaceutique ?
Il reste que cette solution pourrait engendrer un éventuel problème d’importations parallèles des médicaments vendus aux prix des génériques. Pour contrer cela, un contrôle renforcé aux frontières pourrait être imaginé.
Pour conclure, on constate avec cet exemple que les préoccupations financières et juridiques passent malheureusement souvent à côté des réalités et des nécessités humaines. C’est pourquoi il faut résister activement à cette tendance en recherchant des solutions plus adaptées aux besoins sociaux et sociétaux du monde d’aujourd’hui.
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Le brevet, dans le cadre de la propriété intellectuelle, a pour mission de stimuler, de donner des incitants à l’innovation. L’innovation ayant un prix, les meilleurs incitants apparaissent comme étant financiers, à savoir, ici, un monopole. Ce dernier permet à l’acteur qui en jouit d’imposer les prix sans que ceux-ci ne soient soumis au jeu du marché. Ces prix ne connaissent pas de limites si ce n’est l’abus de position dominante prohibé, en Europe, par l’article 102 du TFUE.
Dans les précédents commentaires, aucune remarque n’a été faite sur la justesse des revendications des entreprises pharmaceutiques craignant de ne pouvoir rentabiliser leurs investissements. Très certainement, il ne faut pas que l’entreprise pharmaceutique soit déficitaire, cela serait catastrophique pour tous les patients ayant besoin de médicaments mais également pour tous les employés de ce type d’entreprise, et pour l’économie en général. Cependant, au regard du bénéfice net de GlaxoSmithKline lors du premier trimestre de l’année 2011, à savoir 1,72 milliards d’euros, il me semble que cette entreprise rencontre peu de difficultés financières. Ce bénéfice est celui qui reste après payement des charges et imposition. Cet argent ne sert pas à rembourser la recherche qui a été entreprise puisque celle-ci était considérée comme une charge et a donc déjà été déduite. Ces 1,72 milliards d’euros constituent un pur gain pour la société. On peut difficilement, dès lors, cautionner le discours des entreprises pharmaceutiques mettant l’accent sur la difficulté à rentabiliser leurs investissements.
De plus, comme le dit Thomas Martin, il semble que les consommateurs des produits génériques ne soient pas les consommateurs qui, s’ils n’avaient pas eu l’occasion de profiter du générique, auraient consommé les produits brevetés.
De manière générale, si une entreprise copie des produits protégés et les offre à un prix inférieur, celle-ci dérobera à son concurrent ses consommateurs et donc ses parts de marché. Cependant, un concurrent ne peut ‘dérober’ des consommateurs à son rival que si ces derniers ciblent les mêmes consommateurs. Or les vendeurs de sacs Louis-Vuitton et de mauvaises copies visent une toute autre gamme de consommateurs. Il en est de même pour les médicaments. Les consommateurs du Sud ne peuvent se permettre, quelles que soient les circonstances, d’acheter leurs médicaments au prix imposé par les sociétés pharmaceutiques. Ils ne sont donc pas clients de ces dernières. Ils se trouvent dans ce qu’on appelle la perte sèche puisque, pour ces consommateurs, le prix imposé ne correspond pas au prix maximum qu’ils sont prêts à payer pour le produit.
En fabriquant et vendant des médicaments génériques, l’Inde se tourne en fait vers un tout autre marché, rencontrant les capacités financières des populations des pays en voie de développement. Tant que les produits manufacturés en Inde ne s’adressent qu’à des consommateurs ne constituant pas la cible des industries pharmaceutiques, ces industries ne sont pas atteintes par de tels agissements. Elles doivent alors, comme le préconisaient d’autres intervenants, faire la demande d’un non épuisement international pour ces produits à l’égard de populations du Nord afin qu’ils n’entrent pas en concurrence avec leurs produits eu égard de leur population cible.
Il existe donc deux marchés, desservis par des acteurs différents. Cependant, afin de s’assurer du bon fonctionnement d’une telle dualité, il faudrait, au regard, par exemple, du PIB de chaque pays, diviser le monde en deux catégories. Les pays faisant partie de la deuxième catégorie pourraient bénéficier des médicaments génériques et l’épuisement international jouerait au sein de cette catégorie, mais pas à l’égard des pays constituant la première catégorie. L’importation parallèle étant un réel problème, il faudra très certainement instaurer un système de cloisonnement des marchés.
Une cohabitation pacifique est donc loin d’être impossible et ne porte en tout cas pas atteinte aux entreprises pharmaceutiques étant donné que les consommateurs se trouvant dans les pays en voie de développement ne sont pas, au regard du prix pratiqué, la cible des industries pharmaceutiques.
Ceci est, selon moi, une erreur stratégique de la part des industries pharmaceutiques. Il n’est pas rare que de mêmes entreprises, surtout dans le domaine des voitures, aient différentes gammes, allant de la plus luxueuse à la plus accessible. Ceci permet à l’entreprise de cibler l’entièreté de la demande en matière de voiture.
Une entreprise, afin de retirer un maximum de bénéfices, peut adopter plusieurs stratégies. Elle peut, dans un premier temps, viser un public bien précis au moyen de produits rares et chers, maximisant la marge bénéficiaire par produit. Elle peut également adopter une stratégie de masse visant à offrir un bien à bas prix, avec une marge bénéficiaire réduite, mais devenant importante grâce à la quantité de biens vendus. Enfin, il est possible de développer plusieurs gammes, chacune adoptant une stratégie différente.
Il serait possible, pour l’entreprise pharmaceutique, d’adopter la première stratégie dans les pays du Nord, et la seconde dans les pays du Sud. Cela leur permettrait de faire un maximum de bénéfice sur les deux territoires et d’agrandir ainsi leur ‘pool’ de consommateurs !
Il est compréhensible que l’entreprise pharmaceutique ne veuille pas offrir ses médicaments à trop bas prix là où la clientèle est prête à payer plus, mais le système de gammes proposé ici permettrait de rentabiliser les investissements au maximum. Encore une fois, s’ils parviennent à cloisonner les marchés (étant donné qu’une différenciation des gammes par la qualité n’est pas possible comme dans le cadre des voitures, un médicament devant correspondre à de nombreuses normes de santé et sécurité), ils peuvent profiter des deux créneaux et maintenir ainsi leur position dominante sur le marché mondial le temps du brevet !
Il existe, par ailleurs, de nombreux outils qui semblent être une piste de réflexion tels l’article 30 ADPIC ou encore les medicines patent pools. Mais ces outils ne sont pas encore au point. Il semble donc que face à un problème de telle ampleur, des mesures concrètes doivent être adoptées permettant, d’une manière ou d’une autre, aux populations du Sud d’avoir accès aux médicaments.
Une piste serait éventuellement de distinguer le brevet pharmaceutique de tout autre type de brevet (en lui donnant un autre nom? Créer un nouveau DPI?), lui appliquant un régime fort particulier, notamment relativement à la durée puisqu’il ne fait aucun doute qu’un produit pharmaceutique met de nombreuses années à entrer sur le marché.
Quoiqu’il en soit, un petit rappel doit tout de même être formulé aux entreprises pharmaceutiques : A quoi cela sert-il de chercher des années des solutions, de fabriquer des médicaments pouvant guérir les maladies les plus improbables si ces derniers s’avèrent inaccessibles aux populations réellement dans le besoin ?
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Le but de ce commentaire est de mettre en évidence l’incompatibilité qui existe entre la forte protection intellectuelle prévue par l’Accord sur les ADPIC et la situation indienne.
– La situation de l’Inde avant l’Accord ADPIC
La législation indienne, étant faiblement protectrice des droits de propriété intellectuelle en matière de médicaments, permettait aux industriels de ce pays de produire des génériques à bas prix. L’Inde est d’ailleurs devenue l’un des plus gros fabricants de génériques au monde. Ces derniers permettaient à l’Inde de fournir des médicaments à bas prix pour sa population, atteinte notamment par le fléau du sida. De plus, ces médicaments génériques étaient exportés dans les pays voisins également peu protecteurs des droits de propriété intellectuelle en matière de médicaments, favorisant ainsi le développement économique de l’Inde.
– L’Accord ADPIC et ses conséquences pour l’Inde
L’Accord ADPIC (1994) prévoit une protection forte des droits intellectuels dans tous les domaines, y compris dans le domaine pharmaceutique (article 27 ADPIC). Aujourd’hui donc tous les pays faisant partie de l’OMC (quasi tous) doivent prévoir un système de brevet pour tous les médicaments. Ceci met fin à la copie légale et donc à la fabrication massive de génériques en Inde. Il s’agit d’une conséquence dramatique pour ce pays. En effet, le prix des médicaments sera plus important pour la population indienne ayant peu de moyens. Comment faire accepter cela à une population atteinte par le fléau du sida?
L’Inde, comme d’autres pays en voie de développement, a bénéficié d’un temps plus long que les pays développés pour intégrer l’Accord dans ses dispositions nationales (transposition pour 2005). Donc, en plus des médicaments tombés dans le domaine public, tous les médicaments commercialisés avant 2005 sont toujours susceptibles de copie légale à plus bas prix en Inde.
Le problème principal concerne donc les médicaments plus récents, mais aussi plus efficaces.
– Le non-respect par l’Inde de l’Accord ADPIC
Comme Maria Coppens l’a dit, l’Inde ne respecte pas l’Accord ADPIC et continue à fabriquer des génériques préférant ainsi tenir compte des besoins d’une population malade et boudant ses obligations envers l’OMC. Peut-on vraiment lui en tenir rigueur?
– Pourquoi l’Accord ADPIC pose-t-il tant de problèmes à l’Inde?
Le brevet crée un droit exclusif, un monopole. Celui-ci a un coût pour la société. En effet, le prix de monopole exclut certains consommateurs qui ne sont pas capables de supporter ce coût élevé (perte sèche). Le plus bel exemple de ce phénomène concerne l’Inde. Par le développement du système de brevet et l’augmentation du prix des médicaments, beaucoup de malades atteints par exemple du sida ne pourraient plus s’approvisionner en médicaments (perte sèche). Le nombre de morts en Inde augmenterait donc.
L’enjeu est de taille! Il s’agit d’éviter une véritable catastrophe humaine!
– La Déclaration de Doha reconnaît le problème
A la réunion de Doha en 2001, les pays prennent conscience des difficultés de l’Accord ADPIC en matière pharmaceutique et des problèmes que peuvent causer le blocage à l’accès aux médicaments parce que les pays sont obligés de les protéger. La Déclaration de Doha met l’accent sur la gravité de la situation en matière de médicaments et reconnaît qu’on ne peut empêcher les Etats de prendre des mesures et de déroger à l’Accord ADPIC pour des raisons de santé publique. Cependant, ce texte, même si la problématique de la santé y est reconnue comme essentielle, n’est qu’une déclaration politique non dotée d’une force contraignante.
– Des pistes de solution
1) Une solution serait que l’Inde soit dotée d’un bon système de sécurité sociale qui permettrait de rembourser très largement les achats de médicaments aux assurés indiens, comme c’est le cas chez nous. Cependant, l’Inde n’est pas la Belgique. Il s’agit d’un pays en voie de développement qui n’est pas capable de se doter d’un système de sécurité sociale à la hauteur de ceux présents dans nos pays européens.
2) Alors que l’article 31 de l’Accord ADPIC prévoit déjà la possibilité pour le gouvernement d’un Etat d’octroyer des licences obligatoires, la Déclaration de Doha autorise un pays à accorder à une industrie nationale une “licence obligatoire” lui permettant de copier pour son usage interne un médicament étranger en cas de situation d’urgence sanitaire nationale. Ce texte énumère les maladies susceptibles de faire rentrer les pays qui y sont confrontés dans les conditions pour octroyer une licence obligatoire. A côté du paludisme et de la tuberculose, le sida est également cité dans la liste. L’accès non raisonnable à des médicaments (prix trop élevé) pourrait être avancé par le gouvernement indien pour permettre à ses industriels de fabriquer des médicaments sous licence obligatoire, ce qui permettrait de fournir la population indienne en médicaments plus accessibles. Cependant, l’expérience a montré que le système de licence obligatoire ne fonctionne pas bien pour diverses raisons (peu d’aide donnée par le titulaire, difficulté administrative, longueur de la procédure, corruption trop grande dans certains pays, etc.).
3) Des pistes de solution peuvent être recherchées dans l’Accord ADPIC lui-même. Même si personne n’en a parlé dans les autres commentaires, je pense qu’un moyen de permettre à l’Inde de fabriquer des génériques serait tout simplement d’utiliser les exceptions possibles envisagées à l’article 30 de l’Accord ADPIC. Cet article prévoit la possibilité pour les Etats de prévoir “des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte de manière injustifiées à l’exploitation normale du brevet ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts légitimes des tiers”. Si on met en balance les intérêts légitimes des entreprises de faire du profit avec les intérêts légitimes des malades de survivre, ne serait-ce pas ce dernier qui l’emporterait? Pour moi, le gouvernement indien possède bel et bien une marge de manœuvre pour restreindre le brevet pour des raisons de santé publique. L’Inde peut notamment profiter de la Coopération Sud-Sud pour avoir plus de poids lors des réunions mondiales et imposer cette exception à l’OMC.
4) Une quatrième solution est celle que prône Maria Coppens et qui tente de donner tout son sens à l’adage “deux poids, deux mesures”.
On pourrait, par exemple, assouplir les règles de l’accord ADPIC pour les pays du Sud pour tenir compte des particularités sanitaires de ces pays. Pourquoi ne prévoyons-nous pas, par exemple, une durée de protection par brevet moins grande pour ces pays pour qu’ils tombent plus vite dans le domaine public?
Toujours en partant de cet adage, on pourrait également imaginer une stratégie de prix selon laquelle on pratiquerait des tarifs différents selon le pays concerné (tarif plus cher pour les pays développés et tarifs moins chers pour les pays plus pauvres). Comment convaincre le titulaire d’appliquer ce mécanisme? Tout simplement parce que s’il ne le fait pas, il ne vendra plus de médicaments dans les pays les plus pauvres. Ne vaut-il pas mieux vendre à moindre coût (légèrement supérieur au coût marginal pour maintenir l’incitation) plutôt que de ne pas vendre du tout? La difficulté de ce système sera de prévenir les importations parallèles des médicaments à plus faible coût des pays en développement vers les pays développés.
– La tournure des événements
L’Inde a adopté une loi en 2008 sur la protection des brevets pharmaceutiques, qui interdit la copie des nouvelles molécules. L’adoption de cette loi menace la fourniture des pays du Sud en médicaments génériques et fait notamment courir le danger de priver les malades des nouveaux médicaments. Cette loi est d’ailleurs critiquée par l’Organisation mondiale de la santé (1).
A côté de cela, il faut noter qu’un accord de libre-échange entre l’Inde et l’Europe est en cours de négociation (2).
Sources:
(1) http://www.msf.fr/actualite/articles/medicaments-generiques-debut-fin.
(2) http://www.rfi.fr/actufr/articles/063/article_35019.asp. Voyez aussi: http://www.msf-azg.be/fr/presse/accord-de-libre-echange-inde-nouvelles-menaces-sur-les médicaments génériques.
Sources supplémentaires à consulter:
– S. POILLOT PERZZETTO, ” L’apport du droit communautaire aux problèmes posés par le médicament générique”, R.I.D.E., 2000, pp. 187-196.
– G. MICHAUX, D. PASSEL, “Panorama de droit pharmaceutique européen 2000 à 2005”, J.T. dr. eur., 2004, liv. 113, pp. 257-265.
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Fondamentalement, le débat qui nous occupe concerne la répartition de la responsabilité entre acteurs privés et publics. En effet, quand la Cour de cassation a reconnu la possibilité d’une protection par brevet, elle a ouvert la voie à une exploitation économique de la santé. Mais l’industrie pharmaceutique n’est pas une industrie comme les autres : elle sert directement la santé publique. Il me paraît donc nécessaire de maintenir un équilibre entre « logique économique et logique sociale » (C. MFUKA, « Accords ADPIC et brevets pharmaceutiques : le difficile accès des pays en développement aux médicaments antisida », Revue d’économie industrielle, 2002, p. 192, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rei_0154-3229_2002_num_99_1_3023), malgré la reconnaissance d’une exclusivité par le droit. Cette logique sociale, c’est une mission étatique que l’Etat a jugé bon de confier aux acteurs privés, parce que plus à mêmes de la réaliser.
Une piste de solution dans le problème qui nous occupe, fondée sur la reconnaissance par l’industrie de ses missions étatiques, serait effectivement de fonctionner sur base de l’adage « deux poids, deux mesures ». Ainsi, les entreprises devraient créer leur propre marque de génériques : « plutôt que de laisser cette manne financière à des tiers, autant en profiter eux-mêmes, en vendant (…) exactement le même médicament mais avec un nom différent, tout en continuant la commercialisation du princeps à côté » (http://edilemax.wordpress.com/2012/02/03/medicaments-generiques-et-contrefacon/).
Cette solution a le mérite de respecter le texte de les Accord ADPIC : la protection exigée par l’article 27 de l’Accord est assurée. De plus, on évite de tomber dans le débat sans fin des exceptions, notamment celles permises par l’article 30. A ce sujet, et pour répondre à l’argument soulevé par Emilie Pauly, il ne me semble pas réaliste d’invoquer cette exception car le texte de l’article 30 précise qu’elle doit être « limitée » ce qui, on en conviendra, n’est pas compatible avec la demande massive et durable de médicaments moins chers.
Par ailleurs, ainsi que l’a rappelé Emilie Pauly, c’est aussi dans l’intérêt de l’industrie, puisqu’il vaut mieux vendre moins cher (à un prix juste supérieur au coût marginal) que de ne rien vendre (si l’on compare par rapport à la situation actuelle).
Je suis donc d’avis d’inviter l’industrie pharmaceutique à opérer une ségrégation de ses prix. Et si elle ne le fait pas d’initiative, ce sera aux Etats d’intervenir, car on ne peut pas laisser une question d’intérêt général à la bonne volonté d’acteurs privés dont le but est clairement commercial. En effet, il est de la responsabilité de l’Etat de fixer les balises de cette mission qu’il a confiée, en 1950, aux acteurs privés.
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Depuis 2005, la réglementation commerciale limite la production de versions génériques de médicaments récents : les molécules synthétisées après 2005 ne peuvent plus êtres copiées et les copies des médicaments antérieurs à cette date sont régulées strictement. Un nouvel accord commercial, toujours en cours de négociation depuis 2007, devrait rendre la situation encore plus difficile en créant de nouvelles barrières, particulièrement avec la clause de « l’exclusivité des données » que les Européens désirent imposer aux Indiens. L’exclusivité des données consiste à empêcher l’industrie pharmaceutique indienne de créer des médicaments génériques bon marché en copiant des formules protégées.
L’aspect humain du problème ne doit pas être occulte. En effet, les populations dans les pays en développement n’ont pas les moyens d’avoir accès aux médicaments issus des industries pharmaceutiques occidentales – c’est pourquoi ils doivent recourir massivement à la consommation de médicaments génériques – et le prix de ces médicaments ne sauraient être réduits pour le leur permettre. En effet, une partie importante du prix est incompressible car elle correspond aux fonds investis dans la recherche. Si l’on demeure trop laxiste quant à l’application des ADPIC, les grands laboratoires pharmaceutiques vont se trouver privés d’une grande partie de leur revenus potentiels, étant concurrencés par des médicaments très peu couteux.
Des lors, une partie des recettes étant destinée à continuer a promouvoir la recherche dans les médicaments va perdre sa rentabilité et l’on risque de voir diminuer, voire disparaitre, la recherche dans certains domaines.
Par conséquent en permettant aux pays en développement de copier les médicaments, on risque de voir disparaitre les médicaments issus de la recherche en Occident et beaucoup de malades seront privés de médicaments, fut-ce en Occident ou dans les pays en développement.
Un système de deux poids deux mesures ne saurait être une solution suffisante pour les raisons évoquées ci-dessus. Il conviendrait plutôt de développer un système prévoyant une réduction du prix des médicaments vendus dans les pays en développement dont les « laboratoires occidentaux » récupéreraient le manque à gagner sur le nombre des ventes effectuées et qui présenterait le grand avantage d’empêcher, d’une part, la prolifération du ‘générique’ et de fournir, d’autre part, les fonds nécessaires à la subsistance de la recherche.
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Depuis 2005, la réglementation commerciale limite la production de versions génériques de médicaments récents : les molécules synthétisées après 2005 ne peuvent plus êtres copiées et les copies des médicaments antérieurs à cette date sont régulées strictement. Un nouvel accord commercial, toujours en cours de négociation depuis 2007, devrait rendre la situation encore plus difficile en créant de nouvelles barrières, particulièrement avec la clause de « l’exclusivité des données » que les Européens désirent imposer aux Indiens. L’exclusivité des données consiste à empêcher l’industrie pharmaceutique indienne de créer des médicaments génériques bon marché en copiant des formules protégées.
L’aspect humain du problème ne doit pas être occulte. En effet, les populations dans les pays en développement n’ont pas les moyens d’avoir accès aux médicaments issus des industries pharmaceutiques occidentales – c’est pourquoi ils doivent recourir massivement à la consommation de médicaments génériques – et le prix de ces médicaments ne sauraient être réduits pour le leur permettre. En effet, une partie importante du prix est incompressible car elle correspond aux fonds investis dans la recherche. Si l’on demeure trop laxiste quant à l’application des ADPIC, les grands laboratoires pharmaceutiques vont se trouver privés d’une grande partie de leur revenus potentiels, étant concurrencés par des médicaments très peu couteux.
Des lors, une partie des recettes étant destinée à continuer a promouvoir la recherche dans les médicaments va perdre sa rentabilité et l’on risque de voir diminuer, voire disparaitre, la recherche dans certains domaines.
Par conséquent en permettant aux pays en développement de copier les médicaments, on risque de voir disparaitre les médicaments issus de la recherche en Occident et beaucoup de malades seront privés de médicaments, fut-ce en Occident ou dans les pays en développement.
Un système de deux poids deux mesures ne saurait être une solution suffisante pour les raisons évoquées ci-dessus. Il conviendrait plutôt de développer un système prévoyant une réduction du prix des médicaments vendus dans les pays en développement dont les « laboratoires occidentaux » récupéreraient le manque à gagner sur le nombre des ventes effectuées et qui présenterait le grand avantage d’empêcher, d’une part, la prolifération du ‘générique’ et de fournir, d’autre part, les fonds nécessaires à la subsistance de la recherche.
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Il est certain qu’en intégrant le cercle des Membres de l’Organisation Mondial du Commerce (OMC), l’Inde a entamé une lutte de longue haleine, partagée entre ses grandes ambitions commerciales et la défense des besoins prioritaires de sa population auxquels la reconnaissance obligatoire des brevets pharmaceutiques a mis un frein incontestable.
Cet article traite d’un défi majeur que la communauté Indienne est amenée à rencontrer ces dernières années. En effet, l’Inde est véritablement « tiraillée » entre, d’une part, le fait qu’en tant que membre de l’OMC (et donc signataire de l’accord sur les ADPIC, c’est-à-dire l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), cette dernière se doit de respecter des normes minimales de protection de la propriété intellectuelle, comme notamment la protection par brevet des produits pharmaceutiques, et d’autre part, le fait qu’elle doive intervenir au besoin d’un millier de personnes souffrant de maladies graves et ne pouvant pas se procurer des médicaments de marques, beaucoup trop chers à leurs yeux.
Il faut donc voir quelle solution avantager : vaut-il mieux favoriser les droits de la propriété intellectuelle qui protègent l’innovation et permettent donc d’assurer une certaine « exclusivité » et une certaine « rivalité » du bien innové ? Ou vaut-il mieux favoriser la création de médicaments « génériques », qui diminueront sûrement la demande d’originaux (et donc la rémunération des différents inventeurs ) mais permettront d’être plus facilement accessibles pour les pays en voie de développement ?
L’exclusivité juridique du droit intellectuel offre un monopole au créateur, titulaire de ce droit et restreint aussi la concurrence. C’est ce qu’on appelle : l’ « efficacité dynamique ».
Seulement, ce monopole exclut certains consommateurs à cause d’un prix fixe élevé et généralisé ! On appelle cela « l’inefficacité statique ». La population indienne s’inscrit tout à fait dans cette inefficacité puisque ce monopole et son système de brevets l’ont empêchée d’accéder à une majorité de la médication.
C’est pourquoi la conformité de l’Inde à ces accords sur les ADPIC en 1994 constitue pour elle un fameux défi culturel.
En effet, l’on sait combien en Inde, la notion de propriété commune est importante, et cela particulièrement dans les villages. L’économie de l’Inde est une économie de type primaire, essentiellement agraire ; la population tire ses revenus de l’agriculture et de l’artisanat. Dans la mentalité des Indiens, ce que l’individu produit doit bénéficier à la communauté et non à sa propre personne. La notion de propriété exclusive ne fait pas partie des habitudes de vie de la population indienne et cela explique pourquoi les brevets y sont perçus de manière très négative !
La création exclusive ainsi que les droits et gains qui en découlent sont donc une idée assez nouvelle et étrange dans ce pays. De plus, les Indiens ont surtout du mal à digérer le fait que cette idée leurs soit imposée de l’Etranger [1]!
En outre, les inventions qui proviennent de la recherche biotechnologique sont souvent fondées sur des ressources que l’on trouve uniquement dans des pays en voie de développement. C’est un fait, les connaissances traditionnelles des communautés autochtones sont très souvent à la base des progrès réalisés en matière pharmaceutique. Ces connaissances sont employées dans des inventions brevetées sans aucun reconnaissance ni même rémunération aux communautés indigènes pour leur contribution évidente à l’élaboration du produit.
Mais la difficulté la plus importante que rencontre la population Indienne à cause de la protection des brevets pharmaceutique est le dur accès aux médicaments. Il est manifeste que l’OMC, en obligeant l’Inde à rendre conforme sa loi nationale aux ADPIC, n’a pas pris suffisamment en compte l’écart de situation entre les pays développés et les pays en développement.
Je pense qu’ à long terme, les bénéfices que procure ce monopole pharmaceutique favorisent et permettent d’entretenir en permanence la recherche et le développement et donc de perfectionner les nouvelles technologies et les médicaments. Ce modèle économique fonctionne parfaitement dans les pays industrialisés.
Mais pour ce qui est de la situation économique dans les pays du sud, cette théorie ne peut s’appliquer. Pourquoi ?
D’abord parce que les populations du sud sont relativement pauvres et ne savent pas supporter les prix très élevés des médicaments brevetés.
Ensuite, ces pays sont considérés comme étant plus des consommateurs de ces produits pharmaceutiques plutôt que des exportateurs. Ils ne bénéficient donc pas des profits qu’engendre le monopole des brevets.
Enfin, le marché des médicaments étant limité par rapport à la demande mondiale, les mesures que l’Inde prend pour renforcer la protection conférée par les brevets n’encouragent pas la recherche et le développement.
Lorsque l’on sait que l’Inde détient le titre record du plus grand nombre de malades atteints par le virus du Sida qui ne savent pas se soigner et que cela est dû à l’application, dans le monde entier, de l’accord sur les ADPIC et de la protection de la médication par les brevets, il est tout a fait normal que l’Inde réagisse face à cette situation et cela par n’importe quel moyen, même illégal.
J’estime qu’aucun droit intellectuel, que ce soit brevet ou autre, ne peut justifier la mort de presqu’un million d’êtres humains simplement parce que le prix du médicament qui pourrait les soigner est trop élevé. Il est normal que l’Inde ait mis tout en œuvre pour maintenir la santé publique de son pays , notamment en commençant à créer des médicaments génériques, copies conformes aux médicaments brevetés, de même qualité mais beaucoup moins chers et donc plus accessibles par le peuple.
En conclusion, je suis heureuse d’apprendre que l’Inde soit, ces dernière années, parvenue à garder le cap en évitant que les tarifs pharmaceutiques flambent sur son territoire, notamment en conservant une industrie de fabrication de produits génériques très dynamique car pour plusieurs millions de ses habitants, ces génériques s’avèrent être leur seul recours en cas de maladie. Je pense, par conséquent, que le droit intellectuel n’a pas d’autre choix que de s’effacer devant cette réalité !
Sources :
[1] J. MUELLER, « The tiger awakens : the tumultuous transformation of India’s system and the rise of Indian pharmaceutical innovation », University of Pittsburgh Law Review, vol. 68, 2007, p. 491.
[2] A. SUBRAMANIAN, « Médicaments, brevets : Le pacte sur la propriété intellectuelle a-t-il ouvert une boite de Pandore pour l’industrie pharmaceutique ? », mars 2004, http://www.evb.ch/fr/p9513.html
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Je souhaiterais, à l’occasion de ce commentaire réagir sur la conclusion de cet article (« à deux poids, deux mesures ?), en mettant en évidence une solution juridique de mise en œuvre de ce principe par l’assouplissement de la politique de brevetabilité des produits pharmaceutiques.
En effet, en matière de politique pharmaceutique, nous pouvons affirmer que nous sommes face à un non-sens : au sein des pays développés, le prix relativement élevé des trithérapies ne pose pas une réelle difficulté étant donné notre niveau de vie ; pourtant la demande, certes importante, est moindre que dans les pays en voie de développement. A contrario, la demande dans ces derniers ne fait qu’augmenter sans que cela s’accompagne d’une facilité d’accès en raison des prix exorbitants pour ces populations.
Une solution ne serait-elle pas de faire payer les médicaments en Europe à un prix plus élevé afin de conserver l’incitation des titulaires de brevets tout en diminuant le prix jusqu’au coût marginal pour les pays en voie de développement afin de respecter le caractère non-rival du droit de propriété intellectuelle ?
Dans cette optique, nous pourrions nous orienter vers une initiative de l’OMS consistant à élargir le système bien connu des « patent pool » (panier de brevets) au domaine pharmaceutique en créant un Medicines Patent Pool. « En élaborant de nouveaux modes de gestion des droits de propriété intellectuelle associés aux médicaments contre le VIH, (…) on pourrait faire en sorte que les populations des pays en voie de développement bénéficient au plus vite des dernières nouveauté en matière de traitement contre le VIH. » (1)
Ce système permettrait de faire face à nouvelle politique en matière de propriété intellectuelle conséquente aux accords ADPIC. En effet, les pays en voie de développement sont soumis à l’obligation de breveter leurs médicaments (2) . Il est donc urgent d’encourager un système de licence volontaire afin de respecter le caractère non rival de tout droit de propriété intellectuelle en permettant l’accès aux médicaments dans les pays du sud tout en gardant un incitant nécessaire à l’innovation par le biais d’une rétribution aux titulaires de brevets (3).
« En jouant un rôle essentiel dans l’obtention de licences relatives à la production de traitements à faible coût indispensable dans des régions aux ressources limitée, le Medicines Patent Pool remplit parfaitement cette fonction. (…).Le Medicines Patent Pool sollicite la concession de licences volontaires de la part des titulaires de brevets sur des médicaments antirétroviraux afin de créer un regroupement de ressources. Les fabricants de médicaments, les concepteurs et les innovateurs peuvent alors avoir accès aux droits dont ils ont besoin pour fabriquer ou concevoir de nouvelles formulations ou des préparations adaptées qui pourront être mises en vente dans les pays en développement. » (4)
En contrepartie des licences octroyées, les titulaires de brevets « perçoivent des redevances en provenance de tout un éventail de pays différents et disposent d’une plate-forme de collaboration pour améliorer l’accès aux traitements et élaborer les formulations nécessaires dans les pays en développement. » (5)
Nous voyons donc que ce mécanisme permet à la fois de respecter une exclusivité des titulaires de brevets en ne restreignant pas l’accès aux médicaments et en diminuant les coûts de transaction. En effet, en créant ce paquet de brevets, la négociation n’en sera que plus aisée car on ne serait plus dans la situation où plusieurs titulaires de brevets différents détiendraient des droits sur un seul traitement.
(1) http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2011/03/article_0005.html
(2) a l’exception des pays sous développés qui bénéficient d’un délai jusque 2016
(3) http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2011/03/article_0005.html
(4) http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2011/03/article_0005.html
(5)http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2011/03/article_0005.html
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Tout d’abord il est important de rappeler que les principes fondamentaux du droit intellectuel ont été négociés , élaborés et adoptés lorsque la plupart des pays en voie de développement étaient encore sous la coupe de la colonisation occidentale. Ils se sont donc vus soumis à ces réglementations au moyen de clauses d’extension. A la fin de la colonisation, bon nombre de pays peu développés ont choisis d’adhérer à un système de droit intellectuel, qui a alors commencé à s’ouvrir et à prendre en compte leurs besoins socio-économiques. Mais malgré tout, les principes de droit de propriété intellectuelle (DPI), restent libellés de manière à avantager largement les industries des pays modernes occidentaux, par rapport aux pays plus en retard.
Toutefois, il serait erroné de dire que les pays développés seraient les seuls à bénéficier des avantages de ce strict corpus juridique. En effet, celui-ci est également indispensable dans les pays en voie de développement (PVD), pour protéger toutes œuvres et inventions crées en leur sein, favoriser l’accès à l’information et inciter donc à la création et à un développement nécessaire. La véritable question intéressante soulevée in casu, porte enfaite sur l’inadéquation des exigences de protection relevant du régime de la propriété intellectuelle à la situation socio-économique des pays moins modernes. En effet, moins le pays sera développé, et plus grande sera la difficulté d’adaptation au niveau de protection des droits de la propriété intellectuelle.
Aussi, le domaine où ce déséquilibre est le plus problématique, surtout depuis les ravages de la terrible épidémie du sida, est celui des brevets portant sur des médicaments.
Depuis l’accord ADPIC de l’OMC en 1994, les médicaments sont dorénavant devenus brevetables puisque les Etats membres se voient imposer d’accorder un brevet « pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques ». La production de médicaments génériques fut depuis lors, formellement interdite. Par conséquent, une éventuelle non-conformité au système pourrait faire l’objet d’un recours bien lourd pour les P.V.D devant l’ORD de l’OMC, creusant encore un peu plus l’écart entre le nord et le sud. La fabrication de ces médicaments génériques avait d’ailleurs en 1998, fait l’objet d’une action en justice de 39 compagnies pharmaceutiques contre l’Afrique du Sud et son président Nelson Mandela, pour violation de l’accord ADPIC imposant le respect du brevet. Mais face aux pressions et protestations vives de la Communauté internationale prônant l’assouplissement du système, on a assisté en 2001, au retrait de la plainte.
En présence de deux intérêts apparemment contradictoires qu’il faut mettre en balance, il convient de se battre pour la défense de l’intérêt le plus prépondérant : c’est-à-dire la préservation de la vie et la dignité humaine. En conséquence de quoi, je suis d’avis qu’il convient d’empêcher l’industrie pharmaceutique d’exercer quelque mesure de rétorsion que ce soit, contre les organismes qui luttent courageusement pour fournir aux populations du tiers monde qui se meurent, les doses de médicaments nécessaires et vitales et ce, par quelque moyen que se soit. « Nécessité fait loi ». Non content de creuser lourdement les déficits des sécurités sociales européennes et mondiales, l’industrie pharmaceutique voudrait retirer le pain de la bouche du tiers monde, en le forçant à payer grassement le prix plein de médicaments. Prix qui, pour la plupart du temps, vaut cent fois le coût de leur production.
Nous sommes donc en présence d’un cas de force majeur où la protection de la vie humaine l’emporte sur toutes considérations mercantiles. S’il y a bien un secteur qui devrait être sévèrement réglementé par les pouvoirs publics, c’est bien notre santé et celle des plus démunis. Dans ce sens, la Communauté internationale a commencé à réagir. Notamment via un assouplissement de l’accord ADPIC prévoyant certaines marges de manœuvre pour faciliter l’accès aux médicaments dans les PVD, comme le système des licences obligatoires libellée à l’article 31, l’épuisement international des DPI et importations parallèles, ou encore la production de médicaments génériques. Aussi, les pays membres de l’OMC conclurent la Déclaration de DOHA, prévoyant des systèmes de licences obligatoires sur des médicaments brevetés pour faire face à des situations d’urgence nationale et de santé publique.
Enfin, d’autres hypothèses pourraient être envisagées pour concilier l’ intérêt de « santé publique » avec celui du financement de la recherche scientifique. Il faut bien admettre que la recherche de nouveaux médicaments coûte très cher. Mais on pourrait envisager l’élaboration d’un consensus scientifique et financier, sur le nombre d’années de protection du brevet relatif aux médicaments qui viennent d’être crées dans la sphère des pays développés uniquement. On pourrait faire vérifier par des études universitaires neutres, que par exemple : en cinq ans, le créateur d’un nouveau médicament contre le sida obtiendrait des sécurités sociales occidentales, des payements équivalents à un juste prix ne mettant pas réellement en péril l’extrême profitabilité de la multinationale titulaire du brevet. Rappelons enfin, que celles-ci ne payent pas d’impôt dans les pays à haute fiscalité car l’impôt des sociétés est fait pour les PME. Séchons là les larmes de crocodiles.
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Plusieurs points particulièrement intéressants sont à soulever dans cet article.
Premièrement, la politique de l’Inde face à l’OMC et aux accords ADPIC. En effet, si pour les pays occidentaux ces accords représentent une nécessité afin assurer la rentabilité de la recherche et du développement en leur sein, ils représentent cependant pour les pays en voie de développement un frein à une politique de soin de santé efficace mais surtout nécessaire.
C’est pour çà qu’il y selon moi lieu de soutenir légitimement la politique indienne qui en profitant de sa position économique dominante et incontournable s’oppose à la conception occidentale des droits de propriété intellectuels sur les produits pharmaceutiques et en fait bénéficier des pays qui n’ont pas la même influence potentielle au sein de l’OMC. Car comme cela a déjà été le cas dans le passé, le non respect des accords ADPIC peut entrainer comme conséquences pour les pays concernés de lourdes sanctions économiques au sein de l’OMC. Sanctions que des pays en voie de développement n’ont généralement pas le luxe de pouvoir se payer. Ainsi, vu sous cet angle, il y a probablement lieu de redessiner la base des arguments soulevés par les pays occidentaux dans le dialogue avec l’Inde et surtout le reste des pays émergents afin de déboucher sur un accord qui puisse bénéficier tant au pays détenteur de brevets que ceux sollicitent leur utilisation.
Ce qui m’amène au second commentaire. Si l’Inde et les pays détenteurs des brevets sont incapables de trouver un accord sur la conception même des brevets sur les produits pharmaceutique, il en résulte en pratique que l’efficacité du marché en est grandement affectée. En outre, et c’est ce qui est le plus préoccupant, c’est lorsque les ONG parviennent à démontrer que l’application stricte de ces brevets par certaines firmes pharmaceutiques et leurs lobbys serait même anti-économique et inefficace vis à vis des marchés émergents. C’est dés lors dans ce sens que je rejoins ce qui a été soulevé dans les commentaires précédent : Il y peut être lieu d’envisager une adaptation des prix aux différents marchés avec la mise en œuvre simultanée d’un cloisonnement des différents marchés dans le but de satisfaire au maximum l’offre et la demande de ceux-ci. Pour ce faire pourquoi ne pas partir des accords ADPIC et du système de sanction économique de l’OMC dans le but de réaliser cet objectif ? Beaucoup d’indice donnent à penser qu’à travers un système de ce type, tant les pays en voie de développement que les firmes pharmaceutiques pourraient y trouver leur compte ou du moins inévitablement améliorer la situation actuelle.
Show lessPDF du rapport Oxfam pré-cité:
http://www.oxfamsol.be/fr/IMG/pdf/PHARMApaperFINAL.pdf
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On l’a bien compris, le problème qui se pose ici, est le prix des médicaments. Le prix trop élevé des médicaments est généré par le monopole créé par le brevet. En effet ce monopole a pour conséquence une inefficacité statique du marché en excluant de celui-ci une série de personnes qui ont une disposition à payer inférieure au prix de monopole. En conséquence, le monopole, s’il a une fonction d’incitation à l’innovation, a également pour conséquence de créer une exclusion.
Ce phénomène d’exclusion existe dans tous les marchés où les brevets sont déposés. Cependant, la question dans le cadre du marché des médicaments attire beaucoup plus l’attention en raison de deux facteurs. Tout d’abord parce que les médicaments ne sont pas des produits quelconques, ils permettent de sauver des vies, d’atténuer les souffrances. Ainsi, on peut très bien imaginer vivre sans le dernier Iphone, alors qu’il n’est pas possible de demander à un malade du sida de se passer de la nouvelle trithérapie qui serait capable de le soigner. Or c’est ce que le brevet induit en octroyant un monopole de 20 ans sur l’innovation qu’il protège, il permet au titulaire du brevet de pouvoir fixer librement le prix de son médicament. Cela me permet d’en arriver à mon deuxième facteur. Les médicaments nécessitent de longues années de recherche avant de pouvoir être commercialisés. Il y a tout d’abord une phase de recherche du médicament qui prend plusieurs années et monopolise une équipe de chercheurs qu’il faut rémunérer. Viens en suite la phase de développement ensuite, la phase de test clinique et enfin la commercialisation. Tout ce processus peut prendre une quinzaine d’années, pendant lesquelles on dépense des millions de dollars. Ce processus extrêmement long et couteux explique que quand le médicament arrive sur le marché, c’est à un prix exorbitant que l’on peut le trouver en pharmacie.
Le marché du médicament pourrait par conséquent être le lieu idéal pour entamer une amélioration du système du brevet. Cette amélioration aurait pour but de maintenir l’incitation à l’innovation créée par le brevet tout en réduisant l’inefficacité statique résultant du monopole que le brevet offre à son titulaire.
On l’a vu, ce qui coute cher dans le médicament, c’est son développement. Une fois que la molécule a été élaborée, sa reproduction sous forme de gélule ou autre, ne coute pas grand-chose. Les firmes pharmaceutiques fixent un prix élevé pour pouvoir rentabiliser leur investissement et faire le plus de bénéfices possibles tant qu’ils ont un monopole sur le médicament. Ce faisant ils excluent les populations les plus pauvres. Or, les industries pharmaceutiques pourraient vendre aux plus pauvres les médicaments à un prix à peine supérieur à son cout de production (le cout marginal). Cela permettrait aux entreprises d’accéder a un nouveau marché tout en faisant des bénéfices et également aux populations africaines d’avoir accès aux médicaments nécessaires à leur survie. En cela, je retombe sur ce que Thomas a dit, à savoir proposer les médicaments à un prix plus juste. Mais pour maintenir cet incitant à l’innovation je pense que l’on devrait avoir deux prix, un élevé pour les populations les plus aisées et un plus faible pour les populations les plus pauvres. Un tel système créerait 2 marchés distincts pour le même médicament, ce qui permettrait de réduire le phénomène d’inefficacité statique. Afin d’éviter que l’on ne retrouve sur le marché européen des médicaments destinés au marché africain, l’Union européenne pourrait adopter une règle prohibant l’importation de ces médicament en se basant sur le modèle de la règle de l’inépuisement international permettant aux industries pharmaceutiques d’agir en contrefaçon pour l’importation d’un médicament destiné au marché africain dans l’espace économique européen. Je pense que cela réduirait les conséquences de la fabrication de génériques en Inde et permettrait donc d’aboutir plus facilement à un accord.
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Ce débat oppose fondamentalement deux conceptions.
De manière générale, le droit de propriété intellectuelle est un outil incitant à la recherche, au développement de technologies en leur offrant une “protection juridique d’exploitation”. Le secteur pharmaceutique (parmi d’autres) souffrirait probablement d’un risque de sous-production si les investissements consacrés au développement d’un médicament n’étaient pas protégés par un brevet. Sans brevet, il n’y aurait pas de retour sur investissement et plus globalement, pas (ou moins) de revenus. Cette façon “économique” de voir les choses se heurte à une dimension humaine qui est le droit d’accès au médicament. Le brevet pharmaceutique crée des barrières difficiles à franchir pour les pays dont les utilisateurs n’ont pas les moyens de s’offrir des médicaments aux prix pratiqués par les pays occidentaux.
J’aurais ainsi un autre principe/adage à formuler ici: “A l’impossible, nul n’est tenu”. Le médicament original est de toute façon hors de prix et sans la politique indienne de “pharmacie des pays pauvres”, les patients n’auraient de toute façon pas les moyens d’acheter un médicament hors de prix.
Il paraît donc effectivement nécessaire de donner la possibilité à ces pays d’encadrer un mode alternatif de distribution et de production de médicaments à prix réduits.
[1] A. Gosseries, “La propriété intellectuelle est-elle (in)juste?”, Ethique appliquée au droit, 2010.
[2] http://www.msf.fr/actualite/articles/novartis-perd-son-proces-contre-loi-indienne-sur-brevet
Bon début.
Est-ce que vous pourriez creuser un peu plus à partir des notions économique de discrimination par les prix et juridique d’ (interdiction des) importations parallèles?
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Sans aucune certitude sur ma compréhension de ces concepts, il me semble que lorsqu’un médicament est disponible sous deux formes (une copie et un original), l’existence de la copie va affecter la demande pour cet original.
Ainsi, sur une courbe de demande des consommateurs potentiels du médicament, un certain nombre va acheter l’original au prix pratiqué par l’entreprise pharmaceutique, tandis qu’une autre partie préférera utiliser la copie à prix réduit, pour autant qu’elle soit aussi efficace, même si de qualité inférieure. Une façon de réduire l’utilisation du médicament générique serait de proposer l’original à un prix plus “juste”, qui correspondrait à ce que les utilisateurs du médicament générique sont prêts à offrir pour acheter la copie.
Ce qui m’amène alors, sans aucune certitude toujours, à retomber sur l’interdiction des importations parallèles qui prohibent l’importation d’un médicament sous brevet d’un pays où son prix est réduit, vers un pays où son prix est plus élevé.
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La problématique exposée par Mademoiselle Coppens met en scène l’opposition de deux intérêts : l’accès à la santé publique et la protection de la propriété intellectuelle.
1. Analyse juridique
Cette problématique a été partiellement traitée par les accords sur les ADPIC de 1995 qui établissent un système de concession de licence obligatoire. En effet, ces accords prévoient la possibilité pour les pouvoirs publics d’autoriser un tiers à fabriquer un produit breveté ou à utiliser le procédé breveté sans le consentement du titulaire du brevet, et ceci essentiellement pour le marché intérieur à l’exclusion de l’exportation (articles 31 des accords sur les ADPIC).
Malgré ces premières tentatives d’équilibrage entre ces deux intérêts opposés, le problème subsiste pour les pays sous-développés : en effet, à quoi leur servirait le bénéfice de ces licences légales s’ils n’ont pas les infrastructures nécessaires pour fabriquer le produit pharmaceutique breveté ? Pour remédier à cela, le Conseil général de l’OMC a décidé en 2003, d’autoriser une dérogation à l’article 31 des accords sus – visés et ainsi permettre l’exportation de copies génériques fabriquées sous licence obligatoire vers des pays ne bénéficiant pas des infrastructures de fabrication nécessaires.
Il ressort donc de cette décision que tous les membres de l’OMC sont potentiellement admis à importer des produits pharmaceutiques génériques. Pour ce qui est de l’exportation, les pays exportateurs sont appelés à réviser leur législation pour qu’elle s’harmonise avec les accords sur les ADPIC et qu’elle précise que la fabrication sous licence obligatoire doit principalement servir à l’approvisionnement du marché intérieur. L’Inde a modifié sa législation en ce sens et est juridiquement autorisée à exporter ses produits génériques.
2. Analyse économique
Il apparait clairement que ces dérogations portent préjudice aux entreprises pharmaceutiques, puisqu’elles réduisent considérablement leur exclusivité juridique sur leur produit breveté (et ce même si les Etats concédants sont néanmoins tenus de rémunérer le titulaire du brevet en vertu des accords sur les ADPIC).
Ainsi la question qui s’impose n’est pas tant celle de la perte de bénéfice des grosses entreprises pharmaceutiques (qui ont des marges bénéficiaires considérables) que celle du maintien de l’incitation en matière de recherche et d’innovation médicale. En effet, les rémunérations octroyées par les Etats concédants sont-elles des incitants suffisants pour investir en R&D biotechnologique ? Evidemment tout dépend de l’étendue de l’exportation des produits génériques. Si elle est exclusivement limitée aux pays sous-développés non industrialisés, l’incitation ne baissera probablement pas ou très faiblement puisque les ventes des produits brevetés et les concessions de licences en pays développés permettraient de recouvrir les investissements effectués en R&D.
En ce sens, il parait logique de prévenir l’application d’un système mondial dans lequel même les pays développés importeraient des produits génériques, ce qui aurait pour effet de totalement remettre en question le système de brevet (c’est pourquoi de nombreux pays développés ont déclaré qu’ils n’utiliseront pas ce système en tant qu’importateurs).
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