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Le droit de dessin et modèle communautaire connaît des limites à son application et ces conditions pourront jouer dans l’affaire Darfurnica.
L’article 20 du Règlement 6/2002/CE limite les droits conférés par les dessins et modèles communautaires qui ne s’appliquent donc pas à des actes accomplis « à des fins non commerciales ». Or, justement, sur le site de Nadia Plesner, on ne trouve aucun prix de vente, rien n’indique que le tableau est proposé à la vente. Son auteur a peint ce tableau afin de faire passer un message politique et non à des fins commerciales. Cela est aussi affirmé dans un document rédigé par les avocats de Nadia : « Louis Vuitton is misleadingly trying to create a picture of Nadia selling all sorts of merchandising […] the fact of the matter is that she does not. » (1).
Nadia Plesner avait déjà été opposée à Louis Vuitton dans une première affaire où il s’agissait de t-shirts sur lesquels on trouvait la même représentation d’un enfant africain avec le sac Louis Vuitton et ces t-shirts étaient proposés à la vente pour financer un projet de soutien au Darfur.
Contrairement à cette affaire, où Nadia Plesner avait accepté de retirer ses t-shirt de la vente, Louis Vuitton ne peut pas s’opposer à l’utilisation de son dessin communautaire dans un tableau qui n’a pas une finalité commerciale.
Concernant la reproduction d’un dessin ou modèle, en lisant l’article 20. c) du Règlement, on peut en déduire, a contrario, qu’une reproduction qui n’est pas à des fins d’illustration ou d’enseignement est interdite. Même dans ce cas, on peut argumenter que l’utilisation du dessin communautaire de Louis Vuitton dans le tableau n’était qu’à une fin d’illustration. En effet, Nadia Plesner voulait mettre en perspective un jeune enfant africain avec les symboles de richesses en le faisant passer pour une personne célèbre telle que Paris Hilton, le tout illustré par un sac Louis Vuitton et un chihuahua. Comme l’auteur le dit dans une interview, le sac n’est qu’un symbole (2).
Un sac d’un autre marque de luxe aurait aussi bien pu être représenté comme symbole de richesse, l’essentiel du tableau ne réside absolument pas dans la représentation d’un sac de la marque Louis Vuitton.
(1) http://www.nadiaplesner.com/Website/Court_Order_Louis_Vuitton_vs_Plesner.PDF
(2) http://www.rnw.nl/nederlands/article/verboden-vuitton-schilderij-toch-tentoongesteld : « De tas is gemaakt als een statussymbool. Maar voor mij gaat het niet over Louis Vuitton. Dat heeft niets met mijn tekening te maken. Het was alleen een middel om de jongener een beetje als beroemdheid uit te laten zien. »
Très bien. Il y a avait d’autres arguments possibles mais j’apprécie votre recherche et remarques basées sur le Règlement.
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L’article 3.16 de la Convention Benelux dispose que « le droit exclusif à un droit à un dessin ou modèle permet au titulaire de s’opposer à l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué et ayant un aspect identique au dessin ou modèle ». Le second paragraphe de l’article 3.16 de la Convention Benelux précise que « par utilisation, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, la vente, la livraison, la location, l’importation, l’exportation, l’exposition, l’usage, ou la détention à l’une de ces fins. »
L’étendue de protection conférée au titulaire du droit s’apprécie de manière large. Prima facie, le droit dont dispose Louis Vuitton semble offrir la possibilité d’intenter une action en réparation ou/et en cession (article 3.17 CBPI) contre Nadia Plesner. En effet, l’artiste expose (donc utilise au sens de l’article 3.16 CBPI) un produit incorporant le modèle de Louis Vuitton.
Cependant, l’article 3.19 de la Convention Benelux prévoit certaines exceptions au droit exclusif dont dispose le titulaire.
Le titulaire du droit ne peut, en outre, s’opposer à :
« c) des actes de reproduction à des fins d’illustration ou d’enseignement ».
Bien que la note explicative de l’office du Benelux relative à l’article 3.19 (1) de la Convention ne précise pas ce qu’il faut entendre par « des actes de reproduction à des fins d’illustration », on peut logiquement considérer que l’œuvre de Nadia Plesner rentre dans le champ de cette exception.
Les règles en matière de dessins et modèles offrent donc la possibilité à Nadia Plesner d’écarter la demande Louis Vuitton sans devoir invoquer la liberté d’expression.
Il me semble que cette exception est une limite nécessaire au droit sur un dessin ou modèle afin d’empêcher qu’il ne constitue un frein à la création artistique.
Show lessIntéressant mais votre lecture de l’exception me semble trop large; or, les exceptions aux droits intellectuels doivent en principe être interprétées de manière restrictive.
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Le litige ne concerne pas un problème de protection en soi. En effet, le sac Louis Vuitton a été enregistré auprès de l’OHMI et est protégé au titre de dessin et modèle. L’étendue de cette protection nous intéresse davantage. Louis Vuitton peut-il s’opposer en vertu de son droit de dessin et modèle à la reprise du dessin communautaire dans la peinture « Darfurnica » ?
En son article 19, le règlement du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires permet au titulaire du droit de s’opposer à « l’utilisation » par des tiers du dessin ou modèle. Or, je ne conçois pas en quoi l’allusion au sac Louis Vuitton sur la peinture consiste en une « utilisation », au sens de fabrication, offre, mise sur le marché, importation etc. La peinture de Nadia Plesner ne rentre, selon moi, pas dans le champ de protection du droit de dessin et modèle. Peut-être le droit d’auteur est-il plus adéquat au cas d’espèce en ce qu’il permet d’interdire les reproductions ?
Show lessOK. Mais la question est de savoir si le droit de dessins et modèles inclut un droit de reproduction — peut-être peut-on le déduire des exceptions, mais les choses ne sont pas certaines. Il y avait d’autres arguments possibles (voir autres réponses).
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Le droit du dessin et modèle ne permet à priori pas de s’opposer à l’utilisation de cette reprise. Celle-ci étant faite dans un cadre de création et le modèle n’ étant ici utilisé à une fin de caricature provenant d’une reflexion personelle, il serait étonnant de considerer .
De plus, la place du modèle n’est pas prédominante et ne place pas celle-ci comme sujet principal de l’oeuvre. L’attteinte à la marque en parait dès lors d’autant plus infondée.
Transposant l’exeption de parodie du droit d’auteur, on peut biensure considerer cette oeuvre comme originale, l’utilisation du modèle a un but de railler, peut etre pas un ton humoristique mais tout du moins sarcastique (comment un juge définit l’humour?!), elle n’emprunte que des éléments strictement nécessaires à la caricature (dans le sens où Louis Vuitton est sans doute la marque de luxe ayant une charte graphique aussi connue et diffusée)
Show lessMais il n’y a pas d’exception pour la caricature/parodie en droit des dessins et modèles. En outre, s’agit-il de parodie? J’avais demandé des arguments tirés du droit des dessins et modèles. Attention sinon à la forme!
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Nadia Plesner, qui se préoccupe fort ce qui se passe au Darfour, trouve que les médias portent beaucoup trop d’attention à ce qui est brillant et aux stars. Cela étant, elle a peint un tableau illustrant un petit garçon noir ainsi que d’autres objets de luxe, dont un sac Louis Vuitton. De la sorte, l’artiste a voulu attirer l’attention du publique sur la situation au Darfour.
Or, ce sac est enregistré à titre de dessin et modèle à l’OHMI, ce qui confère un droit exclusif à Louis Vuitton (1) . En l’espèce, grâce à ce droit, Louis Vuitton revendique pouvoir interdire d’utiliser son modèle enregistré dans son tableau de Nadia Plesner.
Mais, y a-t-il utilisation du modèle enregistré ? Est-ce que le fait d’illustrer le sac revient à « une fabrication, une offre, une mise sur le marché, une importation, une exportation ou une utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est incorporé ou appliqué » (2) ?
Je pense que cette interprétation de l’étendue du droit exclusif va trop loin. En effet, il serait interdit d’exprimer son point de vue en utilisant un support matériel et concret de la société au motif de violer quelque droit enregistré à titre de dessin et modèle. De plus, la liberté d’expression artistique tolère que l’art soit interpellant et choquant (3). Nadia Plesner utilise, pour exprimer son point de vue, des objets de la société. Comme l’a soulevé son avocat, c’est ce qu’Andy Warhol a aussi fait (4).
Par conséquent, les conditions du doit de dessin ou modèle ne sont pas remplies. Cela étant, l’action de Louis Vuitton doit être écartée, sans qu’une balance des intérêts entre la liberté d’expression et le droit de dessin ou modèle ne doive être faite
(1) Art. 19 du règlement n° 6/2002 du conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, J.O.C.E., L. 3, 5 janvier 2002.
(2) Art. 19.1, du règlement n° 6/2002 du conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, J.O.C.E., L. 3, 5 janvier 2002.
(3) Affaire Bildender Künstler contre Autriche du 25 janvier 2007.
(4) Par exemple, il a peint des boîtes de conserves de la marque Campbell.
Votre argument sur la définition de l’étendue du droit est l’un des arguments possibles. Il y en a d’autres comme l’attestent les autres réponses. Bien pour la recherche.
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Ce n’est pas la première fois que Louis Vuitton est pris pour cible dans le cadre d’œuvre dont le but est de sensibilisé le monde occidental aux disparités entre notre société et celle des pays dit du tiers monde, pourtant pas si loin dans certain cas. C’était notamment le cas en 2007-2008 et si je me souviens bien, Louis Vuitton avait gagné en référé. Ici, Louis Vuitton a décidé d’assigner l’artiste sur base du droit de dessin et modèle. Celui-ci a été enregistré et il ne souffre d’aucune contestation que l’œuvre tombe bien sous le champ d’application du droit de dessin et modèle. C’est nouveau, ça présente un caractère individuel, il y a eu une divulgation au public. Il faut donc se poser la question de l’étendue de la protection conférée par ce droit. L’article 3.16 de la Convention de Berne sur la Propriété Intellectuelle (CBPI) nous dit qu’elle donne le droit de s’opposer à l’utilisation d’un tiers en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation, d’un produit dans lequel le DM est incorporé ou auquel il est appliqué ou le stockage du produit aux fins précitées. À toute règle il y a des exceptions et le droit de dessin et modèle n’y fait pas … exception. Elles sont au nombre de quatre. La possession personnelle, l’épuisement communautaire, la clause de réparation des produits complexes et enfin, les actes accomplis (article 3.19(1) et (2) CBPI). Ce dernier comprend notamment l’utilisation privée et à des fins non commerciales, tout porte à croire que l’artiste ne compte pas vendre l’œuvre. Si l’on poussait le trait au maximum, on pourrait dire qu’à titre subsidiaire, on tombe sous l’exception de l’utilisation à des fins d’illustration ou d’enseignement. N’a-t-elle pas fait ça pour nous enseigner, nous conscientiser à une problématique ?
Cependant, il faut s’interroger sur la pertinence de s’être basé sur la protection de dessin et modèle. N’aurait-il pas été plus judicieux de se baser sur le droit d’auteur ? En effet, comme je l’écrivais, ce détournement des modèles particuliers de la marque français n’est pas nouveau et n’y-a-t-il pas une volonté de faire du tord à la marque ? Après tout, Louis Vuitton n’est pas ou pas seul responsable des disparités que l’on vit entre le sud et nord du monde. Ne crée-t-on pas un amalgame qui porte préjudice à Louis Vuitton, du moins en partie ? À mon sens, on peut se poser la question.
Merci pour ces idées (mais attention à l’orthographe!)
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Est-ce qu’un sac Louis Vuitton peut être protégé par le droit des dessins et modèles? Il est clair que oui, l’objet de ce droit est de protéger l’aspect d’un produit ou d’une partie de produit. (Art. 3.1.2. CBPI). En l’occurrence, le design d’un sac rentre bien dans le champ d’application du droit.
On peut présumer que Louis Vuitton remplit les conditions de forme de la protection par le droit des dessins et modèles: il a pratiqué un dépôt et un enregistrement.
De même, on suppose que ce sac remplit les conditions de fond pour bénéficier du droit: nouveauté, caractère individuel, licéité et visibilité. (Art. 3.1.1. CBPI)
On ne se perdra pas à essayer de prouver qu’il avait été divulgué au public. (Art 3.3.3 et 3.3.4. CBPI)
Louis Vuitton agit ici sur base de l’article 3. 16. CBPI, qui confère un droit exclusif d’utilisation à son titulaire. Ce droit exclusif : “permet au titulaire de s’opposer à l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé (…) .” Et 3.16.2. CBPI de préciser : “Par utilisation, on entend en particulier (…) l’exposition (…) à l’une de ces fins.”
Il s’agit clairement de la base sur laquelle Louis Vuitton agit puisqu’elle permet de s’opposer à l’exposition du dessin et modèle en question.
Mais s’arrêter là serait un peu court.
L’article 3.19.1. CBPI exprime: “Le droit exclusif à un dessin ou modèle n’implique pas le droit de s’opposer :
a. à des actes accomplis à titre privé et à des fins non commerciales;
b. à des actes accomplis à des fins expérimentales;
c. à des actes de reproduction à des fins d’illustration ou d’enseignement, pour autant que ces actes soient compatibles avec les pratiques commerciales loyales, ne portent pas indûment préjudice à l’exploitation normale du dessin ou modèle et que la source en soit indiquée.”
Dans le cadre d’une oeuvre d’art, il ne serait pas idiot de soutenir que l’emploi d’un dessin et modèle d’un sac Louis Vuitton est un acte accompli à titre privé et à des fins non commerciales. Mais ce n’est pas le meilleur argument que cet article emporte.
Dans le cadre d’une oeuvre d’art, on peut soutenir la licéité de l’emploi car une oeuvre, en particulier telle que celle en cause peut être un acte à titre expérimental. Il semble juste en effet de considérer un tableau qui, même s’il parodie Guernica, est un acte à titre expérimental. C’est à dire qui sert d’expérience, qui ne sera accompli qu’une fois.
Enfin, soutenir que le cas présent est un acte de reproduction à des fins d’illustrations ou d’enseignement est la meilleure hypothèse pour que Louis Vuitton renonce à son action. En effet, une oeuvre d’art, graphique, porte par sa nature même des fins d’illustration et d’enseignement. L’auteur n’aurait aucun mal à expliciter devant un juge l’enseignement qu’elle voulait transmettre par ce tableau. De plus, cet acte est tout à fait compatible avec des pratiques commerciales loyales: l’auteur et le tableau ne font pas de concurrence. Il n’est pas porté préjudice au dessin. Et que la source en soit indiqué ce sera soumis à l’appréciation du juge, mais quand il s’agit d’une marque d’une telle renommée, on pourrait même aller jusqu’à penser qu’elle est implicite, par l’utilisation du dessin même.
Si ne fût-ce qu’une de ces conditions étaient remplies, Louis Vuitton ne pourrait plus s’opposer à l’utilisation de son sac dans le tableau.
Quant à savoir si une telle utilisation du sac, dans le tableau, ne porte pas atteint à l’image de la marque, c’est autre chose. Mais il faut en tout cas garder à l’esprit que Louis Vuitton, en déclenchant un procès, a donné beaucoup plus d’impact au tableau qu’il n’en aurait eu sans un tel battage juridictionnel. En quelque sorte, Louis Vuitton lui-même a attiré l’attention sur ce qui, selon lui pourrait lui être préjudiciable.
Mais de toute façon, Louis Vuitton a uniquement agi sur pied du droit des dessin et modèle, et en vertu de ce droit là, la Convention ne lui permet pas d’obtenir gain de cause.
Show lessD’accord mais votre analyse des exceptions ne me paraît pas convaincante, notamment quand on se rappelle que les exceptions doivent être restrictivement interprétées.
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Louis Vuitton fonde son action sur le droit de dessin et modèle communautaire.
Show lessEn vertu de l’article 3.1.4 de la CBPI, le symbole graphique de Louis Vuitton constitue un produit, et l”aspect de ce produit est considéré comme dessin ou modèle.
En vertu de l’article 3.16 CBPI, le titulaire du droit de dessin ou modèle a un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé. Par utilisation, on comprend notamment l’usage du produit dans lequel le dessin/modèle est incorporé (alinéa 2 de l’article 3.16 CBPI).
Louis Vuitton aurait donc la possibilité de s’opposer à l’utilisation du produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé. Cependant, le droit de dessin et modèle n’est pas absolu et des restrictions au droit exclusif peuvent exister. Selon l’article 3.19 CBPI, le titulaire ne peut pas s’opposer, notamment, à des actes de reproduction à des fins d’illustration ou d’enseignement, mais pour autant que ces actes soient compatibles avec les pratiques commerciales loyales, et qu’ils ne portent pas indûment préjudice à l’exploitation normale du dessin ou modèle et que la source soit indiquée. De plus, l’article 3.19.3 CBPI consacre la règle de l’épuisement.
On peut alors invoquer l’article 3.19 CBPI pour écarter l’action du demandeur dans une telle affaire, sans que l’on doive passer par une pondération des intérêts au regard de la liberté d’expression.
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Voilà quelques arguments, merci. Vous auriez pu davantage discuter la question de savoir si on a affaire à un produit et s’il y a une règle de spécialité des produits en droit des dessins et modèles. En principe, il n’y a pas de dessin sans produit dans le système de protection de la Directive et du Règlement. Mais la question n’a pas encore été tranchée par la Cour de justice de l’UE. En outre, peut-il y avoir une impression globale similaire sur l’usager averti dans ce cas?
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