Le dernier film de Spike Lee, « Miracle at Santa Anna », qui relate le rôle des soldats noirs américains pendant la seconde guerre mondiale, risque bien de faire beaucoup parler de lui. Mais pas tant pour son éventuelle qualité artistique que pour les complications juridiques qui ont entouré sa (non-)diffusion en Europe.
Le 16 octobre 2007, via ce qu’on appelle un « deal memo », la société On My Own, qui détenait les droits de distribution du film, avait cédé à TF1 International (aujourd’hui TF1 Droits Audiovisuels) le droit exclusif d’exploiter et de distribuer « Miracle at Santa Anna » dans le monde entier, à l’exception des Etats-Unis, du Canada et de l’Italie. En contrepartie, TF1 International s’était engagée à verser une avance de 11 millions de dollars à On My Own.
Mais, un an plus tard, alors que le long-métrage réalisé par Spike Lee était sorti depuis septembre 2008 sur les écrans américains, la carrière européenne de « Miracle at Santa Anna » était toujours au point mort, et cela à cause de la branche de distribution de TF1.
En effet, TF1 D.A. avait suspendu l’exploitation du film et avait renoncé unilatéralement à sa distribution. La chaîne française, officiellement, estimait que la version qu’on lui proposait n’était pas conforme à ce qu’on lui avait promis. En réalité, il se pourrait bien que TF1 ait été refroidie par une polémique qui avait pris naissance en Italie où Spike Lee était accusé d’avoir pris trop de liberté avec la vérité historique et craignait que la même polémique voie le jour en France. Les critiques mitigées à l’égard du film avaient certainement achevé de convaincre la chaîne de se désister à la dernière minute.
Devant le refus de TF1 D.A. d’honorer ses engagements, la société On My Own lui avait logiquement demandé de verser les 11 millions de dollars dus comme il était prévu dans le contrat. Au lieu de s’exécuter, TF1 avait engagé une action en justice pour résilier l’accord de distribution et réclamer une indemnisation pour préjudice.
Début 2009, excédé et persuadé d’être la victime d’une forme de censure abusive, Spike Lee, épaulé par On My Own, a décidé d’attaquer la filiale de TF1 qui a renoncé à distribuer le film et l’a assignée devant le Tribunal de grande instance de Paris.
Le litige, après quatre longues années, a trouvé un dénouement. Dans un jugement rendu le 21 juin 2011, la 3e chambre civile du Tribunal de grande instance de Paris a donné raison au célèbre réalisateur américain et à la société On My Own et a estimé que TF1 D.A. « avait manqué à ses obligations contractuelles et ne pouvait valablement refuser la livraison du film ». Par contre, le TGI de Paris a énoncé qu’« aucun manquement contractuel ne pouvait être invoqué à l’encontre de la société On my Own ». Il y a donc eu résiliation du « deal memo » aux torts exclusifs de TF1 D.A.
Entre préjudices moral et financier, TF1 D.A. a été lourdement condamnée à verser aux parties adverses quelque 32 millions d’euros, qui se divisent comme suit, et à faire état de cette condamnation dans la presse :
– 20 millions d’euros à la société On My Own au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi ;
– Un million d’euros à On My Own à titre de dommage moral ;
– Plus d’un million et demi d’euros à Spike Lee (1,7 M) pour préjudice moral, « privé du bénéfice de l’exploitation de son œuvre sur des territoires majeurs (…) et (qui) voit sa réputation entachée » ;
– 200 000 euros à James Mc Bride, auteur du livre éponyme qui a inspiré le film, également co-scénariste du long-métrage ;
– 9 millions d’euros à BNP Paribas (correspondant à la somme de 11 millions de dollars prévue initialement au contrat, assortie des intérêts).
Si le groupe de TF1 a indiqué qu’il envisageait de faire appel, tant en raison des fondements de cette décision que du niveau des dommages et intérêts alloués, il n’est pas sûr que cela aboutisse. C’est en tous cas au tour de TF1 de compter sur un miracle…
Pierre Crucifix
Sources :
– http://www.lepost.fr/article/2011/07/06/2542323_miracle-a-santa-anna-de-spike-lee-tf1-condamne.html
– http://www.20minutes.fr/ledirect/754933/tf1-condamnee-payer-32-millions-euros-spike-lee
