Le développement de marchés de brevets est en plein essor, comme en témoigne la multitude d’initiatives visant à promouvoir l’échange de technologies : cellules de valorisation, plateforme internet, plateformes d’enchères, fonds de brevets, paniers de brevets… L’enjeu est de taille pour l’économie de la connaissance : il s’agit de faciliter l’accès aux innovations brevetées pour les agents économiques les mieux à même de les valoriser et, partant, de renforcer sur le long terme les profits des inventeurs – et donc leurs incitants à innover.
Ces marchés sont très particuliers en raison de la nature du produit échangé : la technologie, qui en dernière analyse se réduit à de l’information. Or pour vendre de l’information, il faut qu’elle soit rare, et donc secrète. Mais alors comment la vendre sans la révéler préalablement ? Et comment savoir si elle existe, et où la trouver ? De toute évidence le système de brevets joue là un rôle décisif. En combinant droit exclusif et publication, il établit un cadastre des inventions. L’application de critères de brevetabilité devrait en outre garantir aux acquéreurs que tout droit de propriété répertorié dans ce cadastre correspond réellement à une invention digne de ce nom. En un mot, le droit des brevets constitue la norme universelle à partir de laquelle le fonctionnement d’un marché des inventions devient envisageable sur une grande échelle.
Le rapport sur les marchés de brevets que le Conseil d’Analyse Economique français a rendu en 2010 discute précisément les potentialités de développement du commerce des brevets à une échelle véritablement industrielle. Ce faisant, il pose la question clé de la « commoditisation » des inventions brevetées, c’est-à-dire de leur transformation, à terme, en un bien marchand facilement échangeable sur une place publique de marché. Autrement dit, pourrait-on imaginer que des brevets soient un jour cotés en bourse, au même titre que des actions ?
Malgré l’existence d’un système de brevets, cette hypothèse se heurte à au moins deux difficultés majeures:
– Chaque technologie brevetée est spécifique, et de ce fait difficilement comparable aux autres. Ainsi deux brevets déposés la même année par la même entreprise dans le même domaine peuvent avoir des valeurs très différentes. Dans ces conditions, il est difficile de déterminer le prix d’un brevet par comparaison avec d’autres brevets, et donc de coter les brevets un par un.
– Les brevets sont de plus des droits imparfaits, qui ne recouvrent parfois que partiellement les inventions. Celles-ci doivent alors être combinées avec des savoir-faire spécifiques pour être exploitées efficacement. Dans ces conditions, l’achat d’un brevet n’implique pas nécessairement l’accès complet à la technologie : il se réduit au seul droit d’interdire l’exploitation.
Aux regards de ces difficultés, la « commoditisation » complète des brevets semble impossible, et l’idée d’une grande bourse des brevets quelque peu utopique. Toutefois cela n’invalide pas pour autant l’objectif d’un développement plus poussé des marchés de brevets. De fait celui-ci est déjà en marche. L’émergence de nouveaux acteurs jouant un rôle d’intermédiaire sur ces marchés témoigne d’autant d’initiatives visant à surmonter partiellement ces difficultés, et tendre ainsi vers un certain degré de « commoditisation ». L’accès à un même brevet (portant généralement sur une technologie mature directement exploitable) pourra par exemple être mis aux enchère sous formes de plusieurs licences d’exploitations identiques (correspondant chacune un volume donné de production). Ou encore des fonds spécialisés, dédiés à l’achat et à la valorisation de vastes portefeuilles de brevets dans un domaine technologique précis, pourront être cotés en bourse comme n’importe quelle société. Il est encore trop tôt pour savoir lesquels de ces modèles se révèleront viables sur le long terme. Souhaitons que leur développement entraîne celui du marché des technologies : que les meilleurs gagnent !