Dans une carte blanche publiée dans La Libre Entreprise du 5 février 2011 (voir http://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/article/640636/le-piratage-pas-toujours-du-vol.html ), notre collègue Axel Gosseries, professeur à l’UCL et par ailleurs ami d’ipdigit, nous explique que le piratage d’oeuvres protégées n’est pas toujours du vol. Il y a beaucoup de mots à peser ici. Le piratage pour commencer. Certes, c’est mieux que piraterie, mais l’on reste dans le registre de la flibusterie. Parlons plutôt d’atteintes au droit d’auteur, même si cela perd un peu de sel marin. Première question: les atteintes au droit d’auteur peuvent-elles être du vol ? Pour un juriste, la réponse est non car le vol au sens strict suppose la soustraction d’un objet. Or, en matière de droit d’auteur, la violation ne prive pas une autre de la jouissance d’un objet. Axel Gosseries rappelle bien que les oeuvres de l’esprit sont des biens non rivaux: l’auteur n’est pas dépossédé si d’autres téléchargent sans autorisation sa musique. Mais bien entendu, si, par vol, on englobe tout préjudice causé à autrui ou toute perte de rémunération, alors on peut s’aventurer à dire que violer le droit d’auteur, c’est voler les auteurs. Je n’aime toutefois pas beaucoup que l’on mêle ainsi le registre pré-juridique (s’agit-il d’une notion morale de vol?) quand la question est essentiellement balisée par le droit. C’est ouvrir la porte aux appels moralisateurs. Attention aux voleurs! Soit. L’argument d’Axel Gosseries est d’introduire une échelle des revenus dans l’équation de la violation: si les pirates (non, disons les contrefacteurs!) ont les moyens de payer ce qu’ils téléchargent sans autorisation, alors il y a du vol; s’ils n’ont pas les moyens (et Axel Gosseries donne l’exemple d’un seuil très bas: moins de 2 dollars) alors on ne peut leur reprocher de violer le droit intellectuel — étrangement, arrivé ici dans son raisonnement, Axel Gosseries parle de médicaments piratés, non plus de piratage musical. A suivre l’argument, beaucoup de ceux qui copient de la musique dans nos pays sont donc des voleurs! Humh! La conclusion ne s’impose pas. C’est vrai qu’il est juste de tenir compte des revenus des uns et des autres. Mais pourquoi sur le plan de la qualification de l’acte (comme atteinte au droit)? Il ne faut pas oublier que l’échelle des sanctions peut tenir compte de celle des revenus.
A méditer en regardant la photo qu’Axel Gosseries nous a aimablement proposé, en souvenir de certaines rencontres dans les bois. Rassurez-vous: pas avec des voleurs de grand chemin, simplement des artistes égarés.