Quand on soutient une approche équilibrée du droit d’auteur, on a rarement l’occasion de rapporter de bonnes nouvelles. Celle-ci en est une : le gouvernement britannique a annoncé une réforme visant une plus grande ouverture du droit d’auteur. Même si elle n’est pas révolutionnaire, cette déclaration semble annoncer un changement de dynamique dans la régulation du droit d’auteur au Royaume-Uni.
par Maxime Lambrecht
En mai dernier, le Pr. Ian Hargreaves rendait un rapport commandé par le gouvernement britannique sur “l’adaptation du cadre juridique du droit d’auteur à l’innovation et à la promotion de la croissance à l’ère numérique”. Le rapport proposait un certain nombre de changements législatifs dans le sens d’une plus grande ouverture du droit d’auteur. Certaines de ces propositions, comme la reconnaissance de nouvelles exceptions, ne sont pas vraiment de nature à impressionner un lecteur “continental”, vu que le droit anglais est largement en retard à cet égard. Mais d’autres recommandations sont plus innovantes, comme la réponse proposée au problème des œuvres orphelines, et un régime simplifié pour négocier des licences sur du contenu protégé.
Jusqu’ici, les commentateurs affichaient un optimisme réservé, vu les faibles chances que ces recommandations trouvent une suite politique. Mais le Secrétaire d’État à l’Économie et à l’Innovation, Vince Cable, a annoncé hier la décision du Gouvernement de suivre le rapport Hargreaves, en soutenant un certain nombre de changements législatifs. Nous exposerons ici les grandes lignes, en nous nous limitant aux propositions en rapport avec le droit d’auteur (cf. aussi IPKat)
Une extension des exceptions au droit d’auteur
Le gouvernement prévoit une extension des exceptions au droit d’auteur, et en particulier :
– l’introduction d’une exception pour copie privée, qui existe depuis longtemps en Belgique et dans beaucoup d’autres pays européens, mais pas au Royaume-Uni : copier un CD pour usage privé est encore considéré comme un violation du droit d’auteur.
– la reconnaissance d’une exception de parodie, également courante dans les droits nationaux européens
– l’introduction d’une nouvelle exception en faveur de la recherche, afin de faciliter l’usage des techniques de “data mining”
La justification invoquée est que certains actes actuellement couverts par le droit d’auteur constituent une “sur-régulation” doublement gaspilleuse : non seulement soumettre des actes comme la copie privée à l’autorisation préalable de l’auteur ne crée pas d’incitant à la création, mais en plus ces restrictions nuisent à des activités d’intérêt public, comme la recherche scientifique. Du coup, comme l’impact économique sur les ayants droit est présumé minimal, le gouvernement britannique prévient déjà de son intention de ne pas instaurer de “rémunération équitable” comme prévu par le droit européen, et comme institué dans d’autres pays européens (en Belgique, il s’agit de la redevance pour copie privée). Un tel dispositif, est-il précisé, nécessiterait la mise en place d’un nouveau prélèvement obligatoire, ce qui serait contraire avec la politique fiscale du gouvernement conservateur-libéral.
D’une manière assez prévisible, certains représentants des ayants-droit ont vivement décrié la proposition d’introduire une exception pour copie privée, la qualifiant d'”extrêmement dommageable” pour l’industrie.
Un “Digital Copyright Exchange” pour faciliter l’acquisition de licence sur le contenu protégé
Un des points de tension entre le droit d’auteur et l’évolution technologique réside dans les coûts de transaction imposés aux producteurs de contenus : alors qu’il n’a jamais été aussi facile de réutiliser des contenus existants, l’acquisition de licences d’utilisation de la part des ayants-droit reste très complexe. Ce processus dit de “rights clearance” constitue un obstacle important dans le domaine de la production audiovisuelle et multimédia (les films, documentaires, sont souvent composés d’une pluralité d’œuvres existantes), mais aussi pour les services de distribution de contenus en ligne ou de streaming (Spotify, Deezer). La proposition du rapport Hargreaves serait de créer un point centralisé permettant d’identifier les ayants droit et de faciliter l’acquisition de licences.
Apporter une solution législative au problème des oeuvres orphelines
Les œuvres orphelines sont ces œuvres dont les ayants-droit sont inconnus ou du moins impossible à contacter, de sorte que leur exploitation est empêchée par l’impossibilité d’obtenir une autorisation préalable. Google avait déjà tenté d’apporter une réponse de nature privée dans le domaine de l’édition, au moyen du fameux Google Books Settlement, dont la dernière version a été récemment rejetée par la justice américaine. Tant mieux, diront les critiques du projet porté par Google : c’est au législateur de trouver une solution équilibrée à ce genre de problème, et non à un acteur dominant de l’économie numérique.
Un changement de dynamique ?
Peut-être davantage encore que par son contenu, c’est par le changement de dynamique qu’elle implique que cette annonce du gouvernement britannique est significative (cf. arstechnica). Alors que la tendance est à la restriction de la portée des exceptions au droit d’auteur, il est question d'”élargir le cadre des exceptions au droit d’auteur au niveau le plus étendu que permet le droit européen” (ce qui reste encore mince).
Alors que l’emphase est trop souvent mise sur la répression des utilisations illicites, la réforme prévoit des dispositifs (Digital Copyright Exchange, cadre juridique pour les œuvres orphelines) permettant de faciliter les usages licites.
Alors que les réformes législatives visent souvent une protection par principe des droits d’auteur, les autorités reconnaissent la nécessité de fonder les réformes envisagée dans une étude objective quant à leur nécessité et à leur efficacité. Hargreaves pointe le rôle problématique des lobbys dans les décisions politiques relatives au droit d’auteur :
“A prominent and persistent example of the lobbying problem concerns the duration of copyright protection, which has been periodically extended in recent decades. In spite of clear evidence that this cannot be justified in terms of the core IP argument that copyright exists to provide economic incentives to creators to produce new works. As has been noted by a number of commentators, no one has yet discovered a mechanism for incentivising the deceased.”
Un autre exemple de réglementation sans base économique solide présenté dans le rapport Hargreaves est celui de la protection des bases de données en droit européen. L’UE a souvent eu tendance à adopter une approche plus maximaliste (au regard de la protection du droit d’auteur) que les États-Unis, dans l’espoir que cela lui confère un avantage compétitif. Espoir déçu lorsqu’un rapport d’évaluation de la Commission révéla une baisse de la production de bases de données depuis l’introduction de la directive, alors que les États-Unis continuaient d’afficher une croissance insolente dans ce domaine, en dépit de l’absence de protection légale.
Il est donc important que les pouvoirs publics reconnaissent l’importance d’une “evidence-based legislation”. Quant au récent Digital Economy Act, la version britannique de la riposte graduée, le gouvernement ne semble appliquer la recommandation que sur un point : le blocage des sites “voyoux” initialement prévu sera abandonné, car impraticable. Les autres parties du dispositif sont maintenues. A moins que les autorités britanniques ne tirent profit du délai d’entrée en vigueur pour continuer son examen de conscience ?
Maxime Lambrecht
Chercheur en droit à la Chaire Hoover (UCL)